jeudi, septembre 15, 2005

Conversation avec mon père

Jeudi dernier (le 8 septembre), mon père, 71 ans, me laisse un mot sur mon
répondeur "salut mon grand (c'est moi, son grand...). Je viens de voir un
type à la télé ce matin et je voulais savoir ce que t'en penses. Son livre,
ça s'appelle "la fabrique du crétin", ou quelque chose comme ça... Moi j'ai
trouvé ça intéressant ce qu'il raconte. "

Rentré de cours, je le rappelle en fin d'après midi

Moi (méfiant) : salut papa, alors t'as vu quoi à la télé ?

Lui : Bien c'est un prof qui s'appelle Brighelli et qui était interviewé ce
matin sur France 2 aux quatre vérités. Il a écrit un bouquin sur l'école où
il dit qu'elle fabrique aujourd'hui des crétins et que le niveau baisse.
J'étais assez d'accord avec ce qu'il dit c'est pour ça que je voudrais
savoir ce que tu en penses, toi qui travaille dans la pédagogie (sic)

Moi : je n'ai pas lu ce livre mais j'en ai entendu parler. En revanche, je
connais un peu ce prof car il a été au lycée de Montgeron quand j'y étais.
Je n'en garde pas un bon souvenir. Humainement ce n'est pas quelqu'un de
très sympathique et j'ai le souvenir de quelqu'un qui méprisait les élèves.
Pour moi c'est un critère rédhibitoire. Alors ça ne me donne pas un a priori
très favorable.

Mon père : Oui d'accord mais sur ce qu'il dit. Tu vas pas me dire que
l'école va bien quand même. Et le niveau ? Tu crois pas que le niveau
baisse ?

Moi (remonté comme une pendule) : écoute Papa, pour aller vite c'est simple.
Si tu veux comprendre les idées du CRAP tu prends l'exact contrepied de ce
que dit ce triste sire. Sur le niveau, je te rappelle que c'est un discours
vieux comme le monde. On peut trouver des grecs et des romains qui se
lamentaient déjà de la baisse du niveau... Si c'est ça, on doit avoir touché
le fond depuis très longtemps !
Quand on regarde les évaluations, on s'aperçoit que ce n'est pas aussi
simple. Les compétences des élèves d'aujourd'hui sont différentes et sur
bien des points supérieures à autrefois. En plus il faut tenir compte du
fait que l'on scolarise plus d'élèves qu'autrefois.

Mon père : peut-être mais moi j'ai quitté l'école à 14 ans et je ne fais pas
de fautes d'orthographe !

Moi : peut-être en effet, pour l'orthographe. Mais quand on regarde ce qu'on
demande aux élèves d'aujourd'hui (argumenter, comparer, faire preuve
d'imagination, etc...) on voit bien aussi que les compétences sont plus
grandes sur d'autres points.

Mon père : et l'autorité ? T'en fais quoi de l'autorité ? Les élèves
aujourd'hui ne respectent plus les profs! On n'ose plus sanctionner

Moi : La société a changé. On ne peut plus aujourd'hui être dans le même
mode de relation avec les jeunes qu'autrefois. Et d'ailleurs est-ce que tu
acceptais cet autoritarisme de ton époque? Toi même, est-ce que tu te
comportes comme ça avec tes petits enfants ?
Il faut réinventer l'autorité (sur la négociation, la coopération,...) pas
la "restaurer". Toi qui es de gauche, comment tu peux accepter un tel
discours réactionnaire ?
Quant aux sanctions, il n'y en a malheureusement jamais eu autant. Tu ne lis
pas ma revue de presse ?

Mon père : Et est-ce que tu penses qu'on peut enseigner à tout le monde ? On
voit bien qu'il y a des élèves qui ne sont pas faits pour l'école... L'élève
au centre, pour eux ça ne marche pas : on ne peut pas leur demander de
découvrir tout seul ce qu'on ferait mieux de leur enseigner...

Moi : Ce que tu viens de dire c'est ce que dit Brighelli ?

Mon père : ben oui, c'est ce que j'ai compris. Il n'a pas l'air de beaucoup
aimer les pédagogistes.

Moi (de plus en plus énervé et attristé) : Si tu veux énerver un pédagogue,
traite le de "pédagogiste" ! De toutes façons, ça ne m'étonne pas de
quelqu'un qui était invité à l'université d'été de "Sauver les lettres".
Tu te rends compte de tout ce qu'il y a derrière ces propos : l'idée
d'inégalité naturelle, la résignation plutôt que l'action. C'est proprement réactionnaire et vraiment
loin de tes propres idées...
Moi, je crois - et c'est un principe qui guide mon action (comme on disait
aux Cemea) - à l'éducabilité. Tout être humain a la capacité de progresser
et d'apprendre s'il en a le désir et si on lui en donne les moyens.
La pédagogie ce n'est certainement pas mettre l'élève au centre et le
laisser se démerder. C'est créer les conditions de l'apprentissage :
susciter le désir d'apprendre et lui donner les moyens d'y parvenir. Parce
qu'on apprend mieux quand est actif et encore plus acteur dans la
construction de son savoir. Tout l'inverse de ce que dit Brighelli !

Mon père (un peu secoué par ce flot de paroles et par ma véhémence) :
Peut-être bien mais n'empêche que c'est lui qui passe à la télé et qui a
écrit un bouquin !
T'as qu'à en écrire un de bouquin toi aussi !!!

Je n'ai pas su quoi répondre...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour.

Je suis passée par ici presque par hasard.
Ceci dit, commec'est le premier comentaire que j'ai pu lire de cet ouvrage démago et haineux, je tiens à vous remercier.

Célia.
http://www.livejournal.com/community/gremlins_cie/

 
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