dimanche, décembre 15, 2013

Bloc-notes de la semaine du 9 au 15 décembre 2013





- Reculade – Pisa, on s’en fout… - Chantiers- .



Le Bloc-Notes (bien tardif et enrhumé, veuillez m’en excuser) porte essentiellement sur les arbitrages rendus par le ministre à l’issue des négociations sur le métier enseignant le jeudi 12 décembre dernier. Et en premier lieu sur la reculade concernant les profs de prépas. Celle-ci est révélatrice d’un certain nombre de tensions dans le système. Et plus globalement signifie qu’on voit déjà la fin du PISA-choc à la française… Mais il n’y a pas que les prépas, et on parlera aussi des RASED, de l’éducation prioritaire et des formateurs dans les ESPÉ. Je ne savais pas que j’étais un prototype…



Reculade
C’est le titre d’un article du journal Les Échos qui résume le mieux le bilan que l’on peut faire de cette semaine : “Peillon recule sur les prépas et hypothèque ses réformes ”. Car il s’agit bien d’une reculade dans la mesure où Vincent Peillon annonce qu’il suspend les discussions sur le secondaire parmi les chantiers ouverts sur le métier enseignant. Des chantiers qui étaient d’ailleurs très modestes.
Il faut d’abord lire cette décision comme le résultat du lobbying intense mené par les enseignants de prépa et le suivisme ou l’activisme (c’est selon) de certains syndicats (le SNES et le SNALC). Un article du Monde indique d’ailleurs que la consigne serait directement venue de l’Élysée et le journal ajoute: “Sans compter que les professeurs de prépa ne manquent pas de soutiens. Les normaliens, ex-élèves de prépa, sont nombreux parmi les politiques, les chefs d'entreprise, les journalistes… voire au sein même du gouvernement. Dans les hautes sphères du pouvoir, beaucoup rechignent à s'attaquer à la formation des élites."
Ce qui a aussi contribué à cette situation difficile c’est le sentiment de stigmatisation qu’ont eu certains et qu’on jouait une catégorie contre une autre . Le sentiment aussi que ce qui était pris aux uns risquait aussi d’être pris aux autres. Même si le Ministre a communiqué sur sa volonté de donner plus de clarté à un système très opaque et inégalitaire et a redit à plusieurs reprises son respect pour le travail des profs de prépa (comme des autres catégories) , il semble bien que c’est cette interprétation qui l’a emporté. Une tribune écrite par plusieurs enseignants (De Cock, Servat, Gintrac, Marzin, Fournier, Layani, Mazeau, Kuhn, Leon-Benbassat ) sur Médiapart et intitulée “Réforme Peillon : des enseignants piégés dans un dangereux chantier” résume assez bien ce sentiment du “piège tendu” par le ministre: “La manière avec laquelle s’est orchestrée la discussion (fort légitime) sur les inégalités scolaires est un modèle du genre : il fallait un diagnostic (PISA), des coupables (les politiques précédentes, les pesanteurs du système perpétuées, à leur corps défendant, par des enseignants crispés sur leur obsolète statut), des solutions (désigner à la vindicte les plus privilégiés d’entre eux). On savait que se délieraient chez certains professeurs de CPGE les langues les plus farouchement opposées à toute indexation du métier aux réalités de l’urgente démocratisation scolaire à construire. Ainsi suffirait-il de montrer publiquement du doigt ces « nantis réacs » pour prouver que leur appartenance au corps enseignant n’est qu’une alliance de façade. La manœuvre est subtile. D’abord parce qu‘elle rend invisibles les collègues de CPGE soucieux de fédérer les cycles, ensuite car il nous a fallu beaucoup de patience et d’auto-contrôle pour ne pas répondre à certains de nos collègues CPGE interviewés dans les médias ainsi qu’aux tribunes indigestes vantant les derniers bastions des hussards noirs de la république . Leur répondre en effet que les week-ends de nombreux professeurs sont, autant que les leurs, occupés par la correction de copies, par la préparation de séances pour des classes de plus en plus nombreuses, par l’angoisse du lendemain pour les cours difficiles ; à leur répondre enfin que beaucoup d’enseignants, vacataires, certifiés, agrégés, passent de nombreuses heures de concertation, de régulation, de tête à tête avec leurs élèves, ou de discussions avec les parents. S’il y a bien une réalité partagée par tous, c’est l’alourdissement de nos charges de travail.
Même si on peut ne pas partager tous les arguments de ce long texte et notamment la méfiance voire la défiance qui le traverse, il montre bien en tout cas la tension qui a été à l’œuvre au cours de cet épisode. Une tension chez de nombreux profs de prépas sincèrement persuadés, à tort ou à raison, d’œuvrer pour la méritocratie et l’égalité des chances et qui prennent pour leur compte la critique d’un système dans lequel ils évoluent. Tension aussi dans le monde enseignant qui trouve ici les limites d’une unité fantasmée mais dont les inégalités de traitements (dans tous les sens du mot !) montrent l’inverse. Tension enfin dans les rapports entre les enseignants et leurs organisations syndicales qui n’avaient pas au départ poussé de hauts cris et joué le jeu de la dramatisation devant ce qui n’étaient que des propositions. Mais la pression de la base et la compétition syndicale accrue à la veille des élections professionnelles a eu vite raison de cette posture gestionnaire.
Mais tout cela n’est rien au regard du défi majeur qui est posé au ministre. Cela ferait presque un beau sujet pour le professeur de philosophie Peillon “Peut-on faire preuve d’équité sans remettre en question certains avantages ? ”. Ou, pour le dire autrement, dans un contexte de pénurie et où les marges de manœuvre du ministre ont toutes été mangées par la promesse des 60 000 postes, peut-on donner plus aux uns sans donner (un peu) moins aux autres. Réformer dans un tel contexte suppose forcément une réallocation des ressources. Et cela n’est pas qu’une question de personnes ou de statut, c’est plus largement aussi la question posée par le rééquilibrage des moyens à destination du Primaire. On entend déjà certains dans le secondaire s’impatienter et demander un traitement égal.
Égalité ? Équité ? Décidemment un beau sujet de philo (et de science politique….)
Pour revenir à cette décision du jeudi 12 décembre, elle peut être interprétée aussi (et pas seulement par les plus progressistes) comme le signal d’une remise en question de la refondation et la porte ouverte à toutes les revendications catégorielles pour peu qu’elles aient les moyens de faire pression pour se faire entendre. Comme le dit Marie-Christine Corbier dans Les Échos (article cité plus haut) : “La ligne du ministre semble désormais claire, à l'image du résumé qu'en fait un député socialiste influent : « La ligne Hollande, c'est : "pas d'emmerdes", et Vincent Peillon se hollandise. » Pour montrer qu'il peut rester ministre, malgré sa candidature aux élections européennes. Ou simplement pour assurer son avenir politique, au gouvernement ou ailleurs….
On peut être encore plus méchant comme sait l’être Hara-Kiri dans une couverture d’il y a quelques semaines (en hommage aux tontons flingueurs) : "les socialistes, ça osent rien, c'est même à ça qu'on les reconnaît"....
Ça va être de plus en plus dur de fatiguer le doute…

PISA, on s’en fout !
Cette reculade est aussi le symptôme que les effets de PISA se sont très vite dissipés. Et la société Française, si elle peut se désoler pendant une semaine d’être le pays où l’influence de l’origine sociale est la plus forte dans le monde, reste en fait très attachée à l’élitisme Républicain, à la méritocratie et à une « égalité des chances » de plus en plus illusoires. “PISA, on s’en fout”, c’est ce qu’on pouvait lire en filigrane des débats sur les prépas.
Car les très nombreuses tribunes produites par les éminents collègues de prépas ou par les hommes politiques (qui sont souvent issus de ces mêmes prépas) montrent bien qu’il est difficile de critiquer et de remettre en cause un système qui vous a fait réussir…
Un exemple, parmi beaucoup d’autres, avec cet éditorial du journal Les Échos : “Une fois de plus, on a trouvé la source de tous les maux de la société française : les élites. Hier les riches, les patrons ou les médecins libéraux, aujourd’hui les profs de prépas et leurs élèves, cette aristocratie enseignante et étudiante dont il ne faudrait plus voir dépasser les têtes. A croire qu’après plus de trente ans d’exercice du pouvoir, c’est encore et toujours la passion pour l’égalité qui irrigue le parti socialiste au détriment de sa culture de réforme.”. On y voit poussés à l’extrême, une bonne partie des thèmes qu’on a retrouvé dans les différents argumentaires qui ont circulé : “ Pourquoi détruire un système qui fonctionne bien ?”, “ nous contribuons à la lutte contre les inégalités, la preuve, nous accueillons beaucoup de boursiers”, et bien d’autres encore. Plus encore que la question de la rémunération des profs de prépas et qui se comportent comme n’importe quelle catégorie devant une menace sur leur salaire, c’est cet appel aux grands principes qui me semble révélateur du malaise et de l’oubli trop rapide des conclusions de PISA. Car ce que nous disait cette enquête internationale et ce que nous disent la quasi-totalité des sociologues de l’éducation depuis plus de quarante ans, c’est que malgré des exceptions, la France reste celle des “héritiers”. Et que ce pays qui a la religion du diplôme s’accommode d’un noyau dur de 20% d’élèves en échec et ne fait pas suffisamment d’efforts pour lutter contre cette situation. On préfère penser qu’on peut continuer avec notre système dit “méritocratique” alors que les “mérites” semblent alors bien mal répartis puisque nous sommes le pays où l’origine sociale joue le rôle le plus important dans la réussite aux diplômes. Mais l’opinion semble s’en arranger…
Une citation pour réfléchir sur ce thème : « L’enseignement ne connait qu’un seul problème, les élèves qu’il perd... Vous dites que vous avez recalé les crétins et les paresseux. C’est donc que vous prétendez que Dieu fait naitre les crétins et les paresseux chez les pauvres... » Les enfants de Barbiana, Lettre à une maitresse d’école, (Mercure de France, Paris, 1968.)

Chantiers
Le ministre a lâché sur les classes prépa, mais pas sur tous les chantiers ouverts (il y avait treize commissions de travail). Il annonce des mesures sur l'éducation prioritaire : dans 100 établissements, parmi les plus difficiles, les heures des professeurs seront revalorisées (1 heure comptera pour 1,1 heure). Ce qui va libérer du temps de travail à ces enseignants pour du travail pédagogique ou des rencontres avec les parents, importants dans ces établissements. Ce qui permet aussi à Vincent Peillon d'affirmer qu'il n'a « pas besoin de [s'] attaquer aux professeurs de prépas pour [aider] l'éducation prioritaire » puisque beaucoup, comme nous l’évoquions plus haut lui avaient reproché de vouloir prendre aux uns pour donner aux autres.
Concernant les directeurs d'école, il y aura "tout un travail de simplification administrative", explique le ministère. "On va dégager du temps pour ceux qui en ont le plus besoin, les petites et moyennes écoles. On va le programmer dans le temps, en 2014, 2015 et 2016", indique-t-on. Les directeurs d'école de deux ou trois classes seront dispensés de faire classe un jour par mois pour mieux assumer leurs autres responsabilités. Les décharges seront augmentées pour les écoles de 8 et 9 classes. Pour les directeurs d'écoles de trois classes et plus, un allégement des APC (activités pédagogiques complémentaires) est prévu, par exemple pour rencontrer des parents.
Autre chantier important, celui des RASED. Vincent Peillon a validé les conclusions du chantier-métier consacré aux enseignants spécialisés E et G et aux psychologues de l’Éducation nationale. Les trois spécialités du RASED sont réaffirmées ainsi que l’importance du travail en réseau. La relance de la formation est inscrite, dans la perspective de re-création de postes. Mais ces créations ne sont pas chiffrées pour l’instant.
M. Peillon devait aussi annoncer la création d'un nouveau statut, le professeur formateur académique, pour le second degré. Ces "professionnels de terrain", nous dit l’AFP au nombre de 500 en deux ans, garderont un temps de travail dans leur classe mais enseigneront aussi dans les Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé).
Je ne peux que me réjouir de cette “création”. Mais il y a un seul problème : ça fait huit ans que je suis dans cette situation !

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot


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