samedi, novembre 30, 2013

Bloc Notes du 25 novembre au 1er décembre 2013





- Profs de prépas hatifs - unité ou division ? – Ressources humaines – PISA rapido - Kiwis - .



Pour changer, il n’y aura rien sur les rythmes dans ce bloc notes. On va y parler essentiellement du métier d’enseignant. Du métier ou DES métiers ? On le sait, Vincent Peillon a lancé des négociations sur ce sujet. Et certaines des propositions (dont notamment une qui concerne les prépas) qui sont sur la table déclenchent déjà des réactions dans une profession prompte à réagir. Pour aller plus loin que cette seule question des prépas, on peut essayer de comprendre si cela peut coaguler des mécontentements (ou pas...) et élargir aussi la réflexion à la gestion des ressources humaines dans l’éducation nationale.
Pour finir on attendra la livraison de Pisa, prévue le 3 décembre et on ira aussi faire un petit détour par la nouvelle Zélande.



Profs de prépas hâtifs
Ca s’agite dans les salles des profs de lycée en ce moment. Le SNALC-FGAF et le SNES-FSU accompagnés des associations de professeurs de classes préparatoires APHEC, APPLS, UPA, UPLS, UPS et UPSTI vont déposer, ce jeudi, un préavis de grève pour le 9 décembre. « La décision effective de faire grève sera prise le mercredi 4, à l’issue d’une journée de rassemblements et de manifestations dans les académies et en fonction des résultats de la réunion prévue au ministère sur le sujet, le 2 décembre », indique aux « Echos » Dominique Schiltz (SNALC)
De quoi s’agit-il ? Dans le cadre des discussions que Vincent Peillon a ouvertes avec les syndicats pour réformer le métier d’enseignant, le ministère met sur la table la remise à plat de décharges jugées obsolètes. Et, en ce qui concerne ceux exerçant en prépa, deux heures hebdomadaires sont dans le collimateur du gouvernement. Un professeur de classe prépa doit, en théorie, 10 heures d’enseignement par semaine. Mais la plupart en font 8 à 9. Ceci, grâce à deux heures de décharge qui leur sont octroyées : l’une, à ceux qui enseignent en deuxième année ; l’autre, à ceux ayant des classes de plus de 35 élèves. Deux heures aujourd’hui mises en cause au motif que les professeurs de deuxième année finissent leur service à Pâques, lorsque les étudiants passent les concours, ce qui leur offre le temps de préparation nécessaire à leurs cours. Concernant la décharge pour cause d’effectif, les partisans d’une réforme considèrent qu’avoir 35 élèves en prépa n’est pas anormal. En cumulant traitement, heures supplémentaires et heures d’interrogation orale (les « heures de colle »), un professeur de classe prépa gagne en moyenne 4.800 euros nets par mois ; un professeur de chaire supérieure, 5.700 euros… avec, en fin de carrière et en cumulant le maximum d’heures supplémentaires et d’heures de colle, la perspective d’émoluments pouvant atteindre 9.800 euros nets comme l’avait évoqué la Cour des comptes dans un rapport récent. Mais les associations d’enseignants font valoir que de tels niveaux de revenus sont exceptionnels. Les défenseurs de la réforme, eux, n’hésitent pas à les évoquer.
Le ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon , s'est défendu vendredi de vouloir s'en "prendre aux classes préparatoires", Il affirme qu’ "Il n'y a aucune volonté, aucun projet de s'en prendre aux classes préparatoires et de vouloir les supprimer”. "Les situations mêmes des professeurs de classes préparatoires sont très disparates. Il y a en a qui ont des situations peut-être meilleures que d'autres", a-t-il dit invoquant pour justifier ses propositions un souci "de transparence et de justice". "Cette estimation que je vois circuler me semble totalement fausse, a donc affirmé Vincent Peillon. L'objet n'est pas de baisser les salaires. L'objet est de faire que les uns et les autres aient des salaires qui se justifient en fonction des tâches accomplies."
D’autant plus que la question qui est cachée derrière la remise à plat des heures de prépa est celle des “pondérations” pour l’ensemble des enseignants. C’est technique mais les enjeux sont importants. Le ministre aurait proposé une pondération de 10% pour chaque heure de cours en première et terminale avec un maximum de 1 heure supplémentaire . En éducation prioritaire chaque heure serait majorée de 10% sans plafond. Enfin les heures de STS seraient payées 1,25h et celles de CPGE 1,5 h ce qui est proche du système actuel. Donc les propositions visent avant tout à rendre plus attractifs les postes en éducation prioritaires en tenant compte de la difficulté liée à ce type de classe.

Unité ou division ?
En tout cas, passer de la querelle des rythmes au statut des enseignants, c’est comme passer de “La petite maison dans la prairie” à “Game of Thrones”. Winter is coming… Essayons de comprendre pourquoi ça risque de bloquer, ou pas…
Notons d’abord que si les profs de prépa sont remontés contre ce qui n’est pour l’instant qu’un projet, il n’est pas sur que la mobilisation dépasse leurs rangs. Car il y a une perception des inégalités chez les enseignants qui peut empêcher l’action collective de se faire. Pour le résumer de manière triviale : Les profs de CPGE sont-ils les footballeurs (ou les patrons du CAC 40) de l’éducation nationale ? Les écarts de traitements importants entre ces enseignants et le reste de la profession limitent la portée d’une action collective et peuvent faire que le sentiment d’injustice l’emporte sur la mobilisation collective.
Mais, à l’inverse, il se peut aussi que le réflexe corporatiste l’emporte sur la nécessité d’un rééquilibrage. Beaucoup pourraient se dire que la remise à plat vécue comme une attaque supposée ou réelle contre certains avantages pourrait à terme concerner d’autres catégories. Et il est vrai que le gel du point d’indice et les salaires relativement bas par rapport à la moyenne européenne peuvent conduire une bonne partie des enseignants à une certaine méfiance contre une réforme qui se fait à moyens constants (hormis les postes créés). Le découragement peut servir d’unité à une profession pourtant si hétérogène et divisée.
Rien n’est simple, tout se complique. Et tout l’enjeu sera de savoir si le corps enseignant est un corps homogène ou non et si ce qui fait l’unité tient plus à des réflexes corporatistes ou à des valeurs partagées. Mais quoi qu’il en soit se contenter de dire que "ces salauds de riches" de profs de CPGE paieront est absurde et injuste. Mais défendre le statu quo et contester l'ensemble de la démarche au motif du métier qui est attaqué l'est tout autant. Car une réforme des CPGE semble légitime et nécessaire : d'une part pour renforcer leurs liens avec le 1er cycle universitaire, d'autre part pour revoir aussi le système de rétribution à l'intérieur des classes préparatoires qui est à la fois inégalitaire et opaque, que ce soit pour la répartition des HS, la variation des pondérations et celle des heures de colles. Car les inégalités sont aussi très fortes parmi cette corporation.

Ressources humaines
Sur le site de l’association “Aide aux Profs” on pourra lire une interview de Josette Théophile, ancienne DGRH de l’Éducation Nationale qui en a été débarquée à l’été 2012. Elle y dénonce "notre conception théorique du service public prompte à habiller en 'égalité de traitement' la difficulté d’apporter des réponses adaptées à des problèmes différents". Peu amère car dit elle “je suis convaincue que mon départ n’est pas lié à l’alternance politique, mais plutôt à la querelle entre les partisans de l’immobilisme et ceux de l’évolution, qui se répartissent agréablement de gauche et de droite… ”, elle donne son point de vue sur ce que peut faire, et ce que devrait faire, le ministre actuel : "Il est possible de négocier avec les organisations syndicales un accord global" et non pas "corps par corps" sur l’évolution des métiers d’enseignant”. Pour elle, le temps de travail des enseignants doit se gérer "autrement, par exemple avec des fourchettes par type de missions sur un calendrier qui peut être trimestriel ou annuel", la gestion des emplois du temps relevant "de chaque établissement [...] dans le respect des fourchettes fixées par l’accord national".
Rémi Boyer est le fondateur et président de cette association Aide aux profs. Dans une interview donnée au blog des journalistes éducation du Monde il explique qu'il faut se préoccuper des "secondes carrières” et permettre notamment aux enseignants en souffrance de pouvoir partir. Alors que dans la gestion actuelle "tout est fait pour retenir les enseignants" Il préconise de “faire sauter les verrous de la mobilité de carrière. Sur les 4 500 professeurs qui ont demandé, en 2012, à bénéficier du dispositif « seconde carrière » pour ne plus enseigner, à peine 100 ont accédé à un poste administratif, comme attaché d’administration. Rien ne permet de faire autre chose que d’enseigner dans les plans académiques de formation, et il faut attendre cinq à sept ans pour obtenir un congé de formation. Les bilans de compétences ne sont plus financés. Certaines académies refusent même des demandes de démission tant le déficit d’enseignants dans certaines disciplines est grand !
Y a t-il vraiment une gestion des ressources humaines à l’Éducation Nationale ? En dehors des difficultés d’organisation, si souvent pointées, le problème est aussi lié à la représentation du métier et à la construction de l'identité professionnelle. Notez tout le vocabulaire religieux associé à l'enseignement : on parle de “vocation”, de "mission" voire de “sacerdoce” quelquefois...Dans ce contexte, il est logique que la “dé-mission" soit vécue et interprétée comme une forme de trahison ou d'échec. Alors que si le métier d'enseignant était vécu comme un métier “normal" (même s'il a ses spécificités), le fait d'en partir serait alors bien mieux vécu.
Je constate en tant que formateur que les enseignants qui abordent le métier d'enseignant après avoir eu une carrière ailleurs avant ont en général une approche très saine du métier et de la formation. Bien plus d'ailleurs que ceux qui ne sont jamais sortis du système scolaire. Il faut donc militer pour les "deuxièmes carrières" mais aux deux bouts de la chaîne. D'accord pour qu'on rentre à tout âge dans l'enseignement mais aussi pour qu'on puisse en sortir quand on le souhaite ! L'un va avec l'autre. C'est pour cette raison que l’action d’une association comme “Aide aux profs” est utile car elle met l’accent sur un manque criant de véritable gestion des ressources humaines dans notre système éducatif centralisé et déresponsabilisant.

Pisa Rapido…
Attention ! Livraison imminente de PISA le 3 décembre.
Louise Tourret sur Slate.fr nous en sert déjà une petite tranche en nous prévenant : "Nos mauvais résultats aux tests Pisa ne sanctionnent pas les élèves, mais nos politiques" et en s'étonnant que jusqu'à maintenant les résultats de cette enquête n'aient pas eu d'effets sur le système éducatif français.
Pour ceux qui l’ignoreraient ou l’auraient oublié, PISA signifie “Programme international de suivi des acquis des élèves” (ou “Program for International Student Assessment”). C’est une comparaison internationale des acquis des élèves de 15 ans révolus menée aujourd’hui dans les 34 pays de l’OCDE et de nombreux autres pays partenaires. La comparaison est faite tous les trois ans sur la lecture, les mathématiques et la culture scientifique et s’accompagne aussi d’“enquêtes de contexte“. Les résultats des enquêtes de 2000, 2003, 2006 et 2009 seraient bien trop longs à détailler ici, mais dans ses grandes lignes, Pisa montre que notre pays occupe une place très moyenne dans le classement et sans cesse en baisse. Par exemple, nous étions 18e en 2009. Une place médiocre qui a surpris lors de la première parution de l’enquête, et qui a fait l’objet de bien des critiques. Pas sur notre système mais sur les modalités et la rigueur de l’enquête elle même…
Alors que dans d’autres pays, il y a eu un vrai “Pisa-choc”, cela n’a pas été le cas en France. Concernant les évaluations des élèves, les statisticiens de l’Education nationale soulignent à quel point les données de cette enquête recoupent leurs propres études. Et les détails de l’enquête sont asez éloquents. Par exemple, les élèves français sont plutôt bons en QCM et plutôt médiocres quand il s’agit de développer les réponses. Là où nous sommes très forts en revanche, c’est pour le taux de non réponse au questionnaire, et comme le rappelle Eric Charbonnier, analyste à la direction de l'Education de l’OCDE, la France se trouve dans le groupe de tête pour ce qui concerne le stress scolaire, recueillant la troisième place pour l’anxiété en 2003, derrière le Japon et la Corée. Les sociologues de l’éducation, Baudelot et Establet ont aussi montré dans un livre consacré aux derniers résultats de 2009 que le système français était profondément inégalitaire et favorisait ceux qui étaient déjà favorisés
Il y a encore une quinzaine d’années, un ministre de l’éducation (Jack Lang) affirmait que nous avions le meilleur système d’éducation, les comparaisons internationales telles que PISA (ou PIRLS) incitent à plus de modestie. Et à poser la question de l’efficacité de notre système au delà des clivages politiques. C’est que pointe Louise Tourret sur Slate.fr : “ Faites le calcul : sous quels gouvernements et quel ministre un élève de 15 ans en 2000, 2003, 2006, 2009 a-t-il passé sa scolarité? Tout le monde (et personne en particulier) peut-être responsable de nos mauvais résultats.”. Je souhaiterais rappeler aussi une de mes phrases fétiches (avec ma métaphore des musiciens du Titanic qui ont continué à jouer du mieux qu’ils pouvaient pendant le naufrage) à destination des enseignants qui voient ces enquêtes comme une remise en cause de leur travail : "on peut faire son travail du mieux que l'on peut dans un système qui dysfonctionne...."
En écho à l'article de Louise Tourret, et pour faire le lien avec la gestion des ressources humaines, Emmanuel Davidenkoff (France Info) anticipe lui aussi les résultats de Pisa et pose la question (en s'appuyant sur une note d'Andréas Schleicher) directeur éducation de l'OCDE) : Les gagnants de l'enquête PISA seront-ils ceux où les professeurs sont recrutés parmi les meilleurs étudiants ?
En fait pour Schleicher, le lien n’est pas évident mais le directeur éducation de l’OCDE considère qu’il faut faire ou refaire du métier d'enseignant une profession hautement respectée, donc le rendre aussi attractif intellectuellement que financièrement. Et dans les établissements, permettre un management qui favorise les progrès individuels et collectifs du corps enseignant. Donc se doter d’une vraie politique de ressources humaines mais on a bien vu que les enseignants sont rétifs à cette individualisation et craignent un management à la tête du client.

Kiwis
En 2007, la Nouvelle-Zélande a complètement transformé son système éducatif. On y fait entièrement confiance aux écoles et aux enseignants avec une large autonomie des équipes pour la mise en oeuvre du curriculum. Sur le site d’informations éducatives québécois Infobourg on trouve une série de trois articles sur ce pays qui a su mener des transformations et tenir compte des enseignements des comparaisons internationales.
Les résultats de 2009 du programme PISA de l’OCDE (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) classent les élèves de la Nouvelle-Zélande en 7e position pour leurs résultats académiques globaux. Des données préliminaires ont montré que ces résultats vont être en augmentation pour le dépôt du rapport de 2013. Toutefois, pour être complet il faut souligner que le système éducatif reste perfectible avec une réussite toujours faible des élèves d’origine maorie. Mais c’est le constat des inégalités qui a enclenché les profondes transformations du système.
La principale évolution tient à la définition des programmes et l’adoption d’une logique curriculaire. Les grandes lignes du curriculum de la Nouvelle-Zélande englobent la 1ère à la 13e année dans un seul document explicatif de… 49 pages! D’ailleurs, l’infographie du curriculum tient sur une seule page que je vous invite à lire. En d’autres termes, ce document fixe les finalités et des objectifs très généraux d’apprentissage et ensuite c’est aux équipes d’enseignants de les mettre en œuvre. Collectivement…
Comme le dit un des articles de ce mini-dossier : en Nouvelle-Zélande, on fait entièrement confiance aux écoles et aux enseignants. Cependant, si confiance rime avec flexibilité, elle rime aussi avec rigueur ! Chacune des plus de 2500 écoles du pays construit en toute autonomie son curriculum scolaire, en fonction de sa réalité et des 8 principes établis par le gouvernement (attentes élevées, les bases du, traité de Waitangi diversité culturelle, inclusion, apprendre à apprendre, engagement communautaire, cohérence et orientations futures). L’évaluation des enseignants se fait sur leurs capacités à collaborer, à partager et à réfléchir, et non sur leurs performances, comme c’est le cas aux États-Unis (cf articles précédents). Ils doivent, dans ce cadre, présenter un plan de développement professionnel et un portfolio (blog, vidéo, etc.). Le développement professionnel est hautement encouragé et les enseignants bénéficient même de congés pour organiser leurs idées au retour d’un colloque ou d’une formation. Ils produisent et mutualisent les évaluations des élèves destinées à vérifier que les objectifs sont atteints et celles ci sont soumises à un regroupement d’éducateurs dont le mandat est d’en valider la qualité…
En conclusion, le système éducatif de la Nouvelle-Zélande a confiance en ses enseignants et leur donne énormément de pouvoir et de flexibilité. En contrepartie, ceux-ci sont évalués et doivent démontrer qu’ils sont réflexifs, collaboratifs et qu’ils partagent leurs réalisations. Le système ne s’appuie pas, comme chez nous sur une vision individualiste et “libérale” du métier et sacro-sainte “liberté pédagogique” mais sur une réelle autonomie des équipes.
La Nouvelle Zélande, c’est intéressant à observer pour en débattre et voir s’il est possible de s’en inspirer. Et pas que pour le Rugby…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

dimanche, novembre 24, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 18 au 24 novembre 2013



C’est du brutal… - Façon puzzle – ce besoin de faire des phrases – nervous breakdown – une ordonnance et une sévère - 


Un bloc notes en forme d’hommage à un film culte ….
Avec les nouveaux fronts qui s’ouvrent comme celui du temps de travail et du statut des enseignants et des contenus des programmes, mais aussi la querelle des rythmes qui n’en finit pas, l’actualité éducative est aussi pleine de rebondissements qu’un film de gangsters…



C’est du brutal…
Vous avez aimé la petite querelle sur les rythmes, vous allez adorer la polémique sur le temps de travail des enseignants.
Pour les amateurs de films c’est comme passer de “Ne nous fâchons pas” à “Les Tontons flingueurs”…
Régi par le fameux décret de 1950, le métier d’enseignant se résume, officiellement, au temps passé face aux élèves. Un professeur des écoles assure ainsi 24 heures de cours par semaine, un certifié, dans le secondaire, dispense 18 heures et un agrégé 15 heures. Une vision réductrice du métier qui ne tient pas compte de toute la diversité des fonctions et des missions accomplies par les enseignants. Hier et aujourd’hui…
C’est un des dossiers les plus sensibles qu’ouvre donc Vincent Peillon. Un de ceux à côté duquel la réforme des rythmes pourrait apparaître comme une “promenade de santé” selon les mots prêtés au ministre.
Des propos de Vincent Peillon sont aussi repris dans un article de Caroline Brizard, du Nouvel Obs qui délimitent prudemment le périmètre des discussions. "Ma volonté n’est pas d’attaquer les enseignants, mais de les conforter", affirme Vincent Peillon. Outre les heures devant les élèves -15 heures par semaine pour les agrégés, 18 heures pour les capésiens, une différence à laquelle le ministre n'entend pas toucher - les discussions vont identifier les autres tâches qu’assurent aujourd’hui la plupart des professeurs : rencontrer les parents, se concerter avec les collègues, accompagner les élèves… Elles devraient être inscrites dans les textes. Mais certains professeurs font plus que cela encore. Ils assurent la responsabilité du numérique dans leur établissement, ils portent un projet particulier… Le ministre évoque pour eux une forme de valorisation : "Je souhaite que les enseignants qui sont le plus engagés dans la réussite de leurs élèves aient une reconnaissance, y compris indemnitaire". Il ne peut pas chiffrer cette indemnité, puisqu'elle sera l’objet d’une négociation. Autre volet de la négociation, celui de la formation continue dont l’enjeu est celui de l’évolution de la pédagogie. "Nous allons mettre davantage de moyens humains pour permettre aux professeurs de partir en formation continue. Nous prévoyons le recrutement de quelques centaines d’emplois supplémentaires à la rentrée prochaine", annonce le ministre.
Comment mettre cela en œuvre avec une marge de manœuvre très faible puisque l’essentiel de l’effort a porté sur les re-créations de postes et qu’il ne reste presque plus rien pour des augmentations salariales ? Cela passe forcément par des rééquilibrages qui ne vont pas faire plaisir à tout le monde. On envisage ainsi d'alléger le quotidien des enseignants de zone d'éducation prioritaire (ZEP), en piochant dans les avantages octroyés à ceux réputés les plus privilégiés… C'est en tout cas une piste mise sur la table des négociations. Plus précisément nous apprend le Figaro le projet consisterait à supprimer les diminutions horaires liées aux «heures de première chaire», dont bénéficient uniquement les professeurs de première et de terminale, ainsi que celles des professeurs de classes préparatoires. Les décharges horaires seraient calculées différemment avec un système de «pondération» uniforme censé bénéficier à plus de monde, incluant les enseignants de ZEP.
Y a pas que de la pomme (de discorde) mais y en a !


Façon puzzle…
Vincent Peillon propose treize ( !) groupes de travail sur ces questions. Quelle sera l’attitude des syndicats et du milieu enseignant (on a vu que c’était de plus en plus distinct…) face à ces changements ? Va t-on vers une nouvelle glaciation avec en tête l’échec de la “revalo” de Jospin en 1989 ?
Laurent Mouloud dans L’humanité s’essaie à un repérage des sujets tabous et de ceux qui pourraient être l’objet d’avancées. Selon lui, le ministre ne devrait pas s’attaquer à des sujets polémiques comme la bivalence (enseignement de deux matières), une « ligne infranchissable », a rappelé Daniel Robin, du Snes-FSU. Mais il va devoir faire des propositions concrètes sur le quotidien des enseignants. En juin 2012, le rapport de la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin (CRC) a mis en évidence la dégradation, ces dernières années, des conditions de travail. L’élue évoquant notamment des enseignants « soumis à des injonctions contradictoires (…) et qui perdent progressivement prise sur leur travail ». Autre question centrale, celle des salaires alors que les professeurs français sont payés, en moyenne, entre 10 et 15 % de moins que leurs homologues de l’OCDE. Un point crucial sur lequel Vincent Peillon, rigueur budgétaire oblige, aura peu de marge de manœuvre.
Du côté syndical, à la question de l’Express Faut-il changer le statut de 1950, décrets qui fixent le nombre d'heures d'obligation de service par semaine?, voici la réponse de Daniel Robin, secrétaire général du SNES-FSU, syndicat national des enseignements du second-degré, majoritaire : “Oui car au-delà des heures de cours, il y a le travail invisible: réunions pédagogiques, conseils de classe, rencontre des parents, préparation des cours, corrigés des copies.... Au total, un enseignant du secondaire travaille en moyenne 42 heures par semaine, bien plus que le temps de travail légal en France. Il est essentiel que ce temps de travail soit rendu visible. ”. Mais le responsable syndical s’empresse d’ajouter que cela doit passer par des hausses de rémunération. Avec toutefois une certaine prudence : “Nous sommes conscients du cadre budgétaire qui contraint le gouvernement. Nous n'allons pas exiger des hausses immédiates, mais un engagement à inverser la tendance en matière de rémunérations. ”. Les revendications du SNUipp-FSU, majoritaire pour le primaire sont, elle plus fortes encore et pointent le décalage entre le sort réservés aux professeurs des écoles par rapport à leurs collègues du secondaire. Un sentiment de déclassement qui joue fortement sur le malaise de cette catégorie et qui rejaillit sur les freins à la réforme des rythmes dont nous parlerons plus loin.
Les syndicats considérés comme “réformistes” (SGEN-CFDT, SE-UNSA) sont favorables, quant à eux, à une discussion plus large et à des rapprochements entre les différents corps, voire à un “corps unique” pour le SGEN . Ils évoquent aussi un allè̀gement de la charge globale de travail et un service “TTC” (toutes tâches comprises) intégrant toutes les missions avec une baisse significative du nombre d’heures de cours. Pour rendre visible et reconnu, tout le “travail invisible” et pourtant bien réel évoqué plus haut.
On l’a compris, le sujet est hyper-sensible. D’autant plus que l’état d’esprit des salles des profs est quelquefois en décalage avec les négociations des instances syndicales. On l’a bien vu avec le primaire. Et le climat est aussi alourdi par la multiplication des rumeurs. Ainsi, depuis quelques jours circule dans le petit monde de l’éducation une sorte de présentation « powerpoint » (que le Monde s’est procuré ) de ce qui pourrait être une réforme des missions des professeurs agrégés et du concours de l’agrégation. Sans savoir quel était précisément le statut de ce document, qui en était l’auteur - parfois sans même l’avoir eu entre leurs mains ! -, des organisations d’agrégés (bien connues pour leur conservatisme) se sont insurgées contre la « casse » de l’agrégation. Cela donne une idée du climat. Tout comme les assemblées de profs de prépas dans les lycées dont certains envisagent de bloquer les établissements .
Touche pas au grisbi !

ce besoin de faire des phrases…
Pourquoi est-ce si difficile de réformer le statut des enseignants ? On pourra lire une très bonne analyse d'Arnaud Gonzague dans le Nouvel Obs sur le métier de prof et ses contradictions : “Pourquoi est-il si délicat de chercher à redéfinir officiellement ce qu’est le métier d’enseignant, notamment au collège et au lycée ?[...] Ce qu’il faut comprendre, c’est que le métier d’enseignant dans le secondaire (collège et lycée) français vit dans la négation d’une partie de son activité. Autrement dit, il y a ce que font les profs sur le papier et ce que font les profs dans la réalité. [...] Dans la réalité, évidemment, ils font bien d’autres choses” . C’est le fameux “travail invisible que nous évoquions plus haut : les préparations de cours et les corrections bien sûr, les conseils de classe mais aussi les réunions de coordinations, le travail en équipe et en partenariat, l’aide et le soutien. Et aussi la formation. "Dans un monde rationnel, les enseignants seraient désireux de faire valoir ces heures auprès du ministère, parce qu’elles constituent la vraie noblesse de leur métier” souligne un expert interrogé dans cet article. “Mais voilà, le monde des syndicats enseignants est loin d’être rationnel ! " Et le journaliste du Nouvel Obs poursuit ainsi son analyse : “ Car pour beaucoup d’entre eux [les enseignants], la "noblesse" du métier réside encore dans l’excellence académique – c’est-à-dire la maîtrise technique de leur matière sanctionnée par un Capes ou une agrégation. Reconnaître le reste de leur mission, c’est inscrire officiellement du "travail en plus" dans leurs agendas, même s’il est déjà très souvent accompli dans les faits. Mais surtout, cela revient à leur faire admettre qu’ils ne sont pas de purs esprits distillant leurs connaissances à des "apprenants", mais bien des adultes qui s’adaptent aux réalités changeantes d’élèves en chair et en os, avec leurs rêves, leurs difficultés, leurs contextes familiaux…
Cette analyse est intéressante, si toutefois, on oublie pas que LES enseignants, ça n’existe pas et qu’il y a (fort heureusement) des situations et des positionnements très divers. Mais elle pointe un élément, essentiel à mon avis, qui est le décalage entre le prescrit et le réel, entre le discours et les pratiques. Comment rendre visible ce travail invisible alors même que la reconnaissance de celui-ci bouscule la construction de son identité professionnelle ?
Mes chers collègues….Comme nous avons des tas de choses en commun, je vous aime bien, tous (ou presque) mais je l’avoue j’ai quelquefois du mal avec certaines discussions de salles des profs. La déploration permanente et le cynisme de certains, ce n’est pas mon truc… Mais, j’ai appris aussi au fil des années (trente deux, déjà) qu’il fallait se méfier des discours de façade et que les actes (produit de la nécessité) étaient bien souvent sans rapport avec les affirmations péremptoires et la référence à une identité professionnelle mythifiée. Les enseignants ont bien souvent une approche intime et individuelle du métier qui les rend rétifs à tort ou à raison aux injonctions. On ne fera pas volontiers ce qui est imposé alors qu'on le fera quand même si on estime que ça correspond à ses valeurs ou à la conception qu'on se fait soi même du métier. C'est aussi toute la différence entre le discours, très important chez des gens du "verbe" dans la construction de l'identité professionnelle et les pratiques qui évoluent bien plus vite sous la pression des circonstances. Au final, c’est peut-être ce qui me rend optimiste, car avec l’évolution de la formation, c’est dans cette reconnaissance d’un travail “déjà là” qu’il pourra y avoir une remise à plat des missions des enseignants. Et une réflexion sur les missions et les valeurs de l’École. Mais j’arrête là avec cette parenthèse d’opimisme militant.
j'ai plus ma tête, j'ai plus ma tête !

Nervous breakdown
Ne croyez pas cependant que la “saison 1” de la querelle des rythmes soit terminée. Dans une chronique qui a beaucoup circulé dans les réseaux sociaux Hubert Huertas, sur France Culture affirme “Rythmes scolaires : passée l'hystérie, la montagne était une dune ”. Et l’éditorialiste argumente “C’est l’enseignement principal de l’enquête lancée auprès de 3842 communes par l’Association des maires de France, présidée par le maire UMP de Lons le Saunier, Jacques Pélissard. Objet, la fameuse réforme des rythmes scolaires, présentée, dans le débat politique, comme une catastrophe oscillant entre Tchernobyl et Fukushima. Finalement quatre maires sur cinq en seraient plutôt satisfaits. […] Oui cette adaptation coûte cher. 150 euros en moyenne par élève. Même si ce n’est pas les 4 à 500 euros dénoncés par Jean-François Copé, toujours fidèle à ses nuances de dentelière, trois communes sur quatre ont des difficultés et réclament que le conseilleur soit aussi le payeur, donc que l’Etat mette la main à la poche. Dans l’ensemble les activités périscolaires, tellement critiquées, se passeraient plutôt bien, et seraient même appréciées, avec un taux de fréquentation de 85%. Cependant le recrutement des animateurs n’a pas été simple, surtout en milieu rural. L’organisation de la journée a répondu aux demandes et aux contraintes, et a souvent évolué depuis le début de l’année. Le modèle initial, qui prévoyait de libérer du temps scolaire sur quatre jours, pour les activités, en tranches de 45 minutes, n’est plus majoritaire, chaque ville s’est adaptée à sa manière. Bref, le paysage est nuancé, et il contraste avec le drame, ou le psychodrame mis en avant depuis le début de l’année.
Le journaliste fait allusion à l’enquête de l’AMF (Association des maires de France) qui a déjà été commentée dans les précédentes revues de presse . On pourra aussi lire un compte rendu de la visite du ministre au salon de l’Éducation sur le site des Cahiers Pédagogiques où l’on voit que la contestation doit être nuancée et qu'il y a aussi des soutiens. Même s’il ne faut pas nier les difficultés qui continuent à exister dans la mise en œuvre de cette réforme.
Dans Les Échos, Marie-Christine Corbier résume ainsi la situation : “Alors que le front des élus semblait s’éclaircir hier, celui des enseignants s’est obscurci avec l’appel à la grève. Le principal syndicat du primaire exige une « remise à plat partout où les écoles le demandent», et pointe «un climat d’exaspération». ” Face à une réforme des rythmes “mal pensée et contestée”, “la nécessaire transformation de l’école reste à quai”, déplore le SNUipp-FSU, qui réclame un “budget ambitieux” et “ une amélioration des conditions de travail”. C’est ce qu’on peut lire dans une interview de Sébastien Sihr dans Le café Pédagogique à la limite du grand écart (ce qui peut être très douloureux ). Vincent Peillon a réagi en rappelant que les professeurs des écoles avaient obtenu “ une indemnité qu’ils réclamaient depuis quinze ans” et en parlant des créations de postes. Les dirigeants du principal syndicat du primaire suivent une partie de leur base en donnant corps à un sentiment de lassitude d’une partie des enseignants qui se ressentent, à tort ou à raison, comme stigmatisés, abandonnés, etc. C’est la thèse développée dans une chronique d’Emmanuel Davidenkoff déjà signalée par Lionel Jeanjeau dans la revue de presse de Vendredi 22 novembre . Emmanuel Davidenkoff considère que la question des rythmes scolaires n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un malaise plus profond et qu'on ne fera rien évoluer dans le système si on stigmatise les enseignants du primaire. Ceux-ci se sentent aujourd’hui mis en accusation de tous les maux de l’École.
Dans son style efficace, le journaliste pointe une vraie difficulté. Mais on a envie à notre tour d’en poser une autre qui est celle du rôle des "corps intermédiaires" que sont les syndicats : doivent-ils donner prise à tous les ressentis ou les canaliser de manière positive ? les amplifier ou les relativiser ? Soit on reste dans la déploration et c'est alors la justification de l'immobilisme soit on essaie de le dépasser. On peut aussi rajouter une deuxième question, c'est celle de savoir comment s'alimente ou pas ce sentiment de stigmatisation et là se pose accessoirement aussi la question du rôle des médias...
Pour faire transition ,  c’est la même Marie-Christine Corbier dans Les Échos qui fait le lien entre plusieurs sujets de cette chronique et souligne que “l’appel à la grève arrive alors que viennent de s’ouvrir des discussions sur le métier d’enseignant qui font craindre au SNUipp de ne pas être traité sur un pied d’égalité par rapport aux professeurs du second degré, et dans un contexte où les mesures catégorielles sont bien maigres. Mais le message du principal syndicat du primaire pourrait bien être brouillé par la prochaine étude Pisa de l’OCDE sur l’évaluation des systèmes éducatifs dans le monde, qui paraît le 3 décembre. Et dont le ministre, qui prédit des résultats catastrophiques, entend se servir pour défendre sa politique.
L'époque serait aux tables rondes et à la détente.

Une ordonnance, et une sévère…
Primaire : le rapport qui accuse était le titre initial d’un article du Monde qui s’est transformé ensuite en “D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ?”. Il est vrai que si on veut éviter la stigmatisation dans une période hyper-réactive, il vaut mieux éviter ce genre de titre !
Selon ce rapport de l’inspection générale intitulé "Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008" les programmes scolaires réformés sous Xavier Darcos ne sont pas seuls responsables des difficultés de l'école primaire. Les auteurs expliquent aussi cet échec par "des éléments de fond, récurrents" indépendants du contenu des textes. D'autres facteurs rentrent en ligne de compte : la formation et en particulier la formation continue, la gestion du temps, la différence entre le prescrit et le réel, le travail empêché.... Un exemple : "Plus que la légitimité des contenus à faire acquérir", les enseignants rencontrés par la mission d'inspection générale se sont plaints d'un "manque de temps". Cette dernière propose donc de mieux évaluer le temps réel de classe: en théorie, une semaine à l'école primaire compte 24 heures d'enseignements. Récréations et "temps interstitiels de régulation nécessaire de la vie de classe" déduits, le rapport évalue le temps "réel" de classe à 22 heures.
Un rapport à lire en intégralité et qui devrait alimenter la refonte des programmes mais aussi les autres chantiers de la refondation et notamment la question du temps de travail et du statut.
Quand ça change, ça change... Faut jamais se laisser démonter.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

samedi, novembre 16, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 11 au 17 novembre 2013

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Procrastination collective - Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….- Territoires et périmètres - Mémoire courte et dictature de l’instant - Débat citoyen ? - Rigueur ?- La facture sociale – Tocqueville - .



La réforme des rythmes que je persiste à qualifier simplement de “retour à la semaine de 4,5 jours” est un bon analyseur des blocages de la société française et du fonctionnement de l’opinion publique. Dans cette (trop) longue chronique j’essaie d’en démonter de nouveau quelques uns. Au risque de me répéter et de lasser…

Procrastination collective
Il faudrait attendre qu’un dispositif soit parfait pour qu’on s’y mette ? Mais c’est le meilleur moyen de ne jamais le faire !
Ségolène Royal, dans une intervention récente qui s’apparentait à du positionnement politique (voire à de l’offre de services) déplorait qu’on n’ait pas réfléchi en amont et expérimenté avant cette réforme. On pourrait lui rappeler qu’il y a eu un travail d'une grande commission nationale sur les rythmes en 2011 initiée par Luc Chatel, lui remémorer aussi que la question a été abondamment traitée en amont avec les syndicats (dès avant l'élection de Hollande). Des expérimentations ? Il y en a eu dans plusieurs villes dont Angers par exemple....
On n’est pas prêts”, “il fallait prendre le temps de discuter”, On a pas été consultés”” “il faut chercher le consensus”…. Ces phrases sont entendues ici ou là pour justifier les réticences voire l’attentisme. Discuter, oui bien sûr. Mais sur quoi et comment ? Il y a en gros deux manières : la consultation et la concertation. La consultation se situe avant une décision et peut avoir des vertus pédagogiques pour faire émerger un constat partagé. Ce fut le cas des consultations Thélot et Meirieu adressées à tous les enseignants. Mais avec finalement peu d’effets sur la transformation du système. La deuxième méthode serait la concertation. Elle peut se situer après la décision pour décider collectivement de la mise en œuvre et de ses modalités pratiques. Ce n’est pas vraiment dans la culture française habituée à une logique centralisatrice et bureaucratique. C’est pourtant ce qui aurait du se passer. Il faut dire que les cartes ont été brouillées avec une consultation qui s’est adressée au départ aux seuls corps intermédiaires durant l’été 2012. Le constat semblait partagé. Mais le lourd passif de la période précédente et les pesanteurs du système administratif combinés avec les logiques propres à chaque acteur (familles, enseignants, municipalités,…) ont contribué à cette situation complexe dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Ce que nous montrent les enquêtes sur le terrain, c’est que là où ça se passe le mieux, c’est dans les communes où il y avait déjà une culture du travail en partenariat et une priorité donnée à l’enfance et à la jeunesse. Comme nous l’écrivions déjà dans le Bloc Notes du 9 octobre , l’enjeu de la réforme des rythmes tout comme celle des autres évolutions de l’École tient d’abord à l’engagement des acteurs. Plutôt que d’accumuler les préalables et de sombrer dans l’esprit de critique qui s’apparente à une forme de procrastination collective, plutôt que d’accumuler les procédures et la méfiance, il faut se redonner collectivement de la capacité d’agir.
Mais là, on se heurte aussi à une autre caractéristique française qui est la culture du conflit ou plutôt du “tout ou rien”. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Laurent Frajerman, chercheur à l'institut de recherches de la FSU dans une interview à Libération où il souligne que “L’Education nationale, comparativement à d’autres secteurs, connaît une surconflictualité.”. Le “grand soir” ou rien du tout…?


Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….
L’autre argument souvent utilisé pour s’opposer à cette réforme est que la dévolution aux communes des activités accompagnant le temps scolaire (le fameux “TAP”) risque de remettre en question l’égalité républicaine. Au lieu de lutter contre les inégalités, on les aggraverait. La décentralisation serait la porte ouverte à la compétition et la concurrence
Mais ce qu’il faut d’abord rappeler c’est que l’égalité républicaine est un mythe (fondateur mais un mythe quand même) et que les inégalités existent déjà ! Elles n’ont même jamais été aussi fortes. L’oublier c’est nier tous les travaux des sociologues de l’éducation depuis plus de trente ans et les résultats des enquêtes internationales. Par ailleurs, la décentralisation dans le domaine de l’éducation a surtout créé de l’émulation et on a vu les Régions et les départements faire de gros efforts pour rénover et créer des établissements scolaires accueillants et efficaces.
Ce que révèle surtout le débat actuel sur la “réforme” des rythmes comme l’a d’ailleurs relevé Vincent Peillon lui même à l’assemblée , c’est qu’en effet, il n’y a pas les mêmes priorités dans les communes et les mêmes sommes dépensées. Et malheureusement jusque là, la politique de l’enfance n’a pas été vraiment un critère de choix des électeurs pour juger des projets des équipes municipales…
Il est à noter aussi que ce sont les mêmes qui ont à la bouche l’argument de l’égalité républicaine qui n’hésitent pas à annoncer qu’ils enfreindront les lois de cette même République..!

Territoires et périmètres
Le retour à la semaine de 4,5 jours est aussi un révélateur des querelles de “territoires” dans tous les sens du terme qui marquent notre société.
Louise Tourret dans Slate.fr y insiste ironiquement en parlant de “lutte des classes” au sens où les activités se font souvent dans des lieux qui sont aussi ceux du travail des enseignants et que cela n’est pas sans poser des problèmes de “vivre ensemble” de méfiances réciproques et de logiques différentes entre les différents acteurs (enseignants, animateurs et intervenants, personnels communaux,…)
L’enjeu du territoire qui n’a peut être pas été assez envisagé par l’équipe ministérielle c’est surtout celui de la difficulté à faire travailler ensemble dans les communes des personnes aux statuts et aux “cultures” différentes. Et l’attentisme actuel n’arrange rien. Comme nous le notions plus haut, cette culture du travail en partenariat est loin d’être répandue également selon les communes. Et ce n’est pas seulement une question de sensibilité politique…
Le “territoire” c’est aussi une question de périmètre de compétences qu’on souhaite préserver jalousement. La France de tradition jacobine est le pays de la “circulaire”… Et ici le ministère s’est aussi donné des bâtons pour se faire battre. La circulaire sur les rythmes qui sert de base à la mise en œuvre de la réforme n’est pas forcément d’une grande souplesse. Et les cadres de l’Éducation Nationale qui l’appliquent le font avec plus ou moins d’autonomie et sont quelquefois jaloux de leurs prérogatives et du pouvoir qui va avec. Au point de bloquer certaines initiatives et marges de manœuvre. Le climat de crispation n’incite pas non plus à la négociation. On constate d’ailleurs que le Ministère concède des aménagements notamment pour les maternelles. L’obligation du mercredi matin est aussi considéré comme une rigidité par certains opposants à la réforme qui souhaiteraient revenir au samedi matin. Mais là, malheureusement on se heurte à d’autres logiques qui sont celles de l’évolution des familles.


Mémoire courte et dictature de l’instant
Nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises : la réforme n’a que trois mois… Peut-on juger d’un dispositif au bout de trois mois ? Imaginons que je porte un jugement définitif sur un élève au bout d’un seul trimestre !!!
Nous vivons une dictature de l’instant qui n’est pas propre à ce sujet de débat. Mais qui est particulièrement problématique dans le cas de l’École. Car le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. Rien de pire comme poste que celui de Ministre de l’Éducation. Il sait qu’il travaille pour des résultats qui ne se verront au mieux que dix ans plus tard….
La dictature de l’instant se double d’une mémoire courte. Dans une interview au Nouvel Obs, Christian Forestier ancien recteur et coprésident du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires (initiée par Luc Chatel, le prédécesseur de Vincent Peillon) parle à propos de cette querelle des rythmes d’un “ concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ” et rappelle qu’il y avait un accord total des différents acteurs sur la nécessité de revenir à une semaine de 4,5 jours et de repenser d’ailleurs l’ensemble du rythme scolaire. Y compris chez les maires de droite et chez les représentants syndicaux…
La mémoire courte, elle est aussi dans l’oubli de la situation précédente. Qu’était l’état de l’École sous la présidence Sarkozy ? Combien de postes supprimés ? Combien de personnes dans les rues pour défiler contre le passage à quatre jours ?


Débat citoyen ?
La question des rythmes est aussi un révélateur de la manière dont les médias traitent les questions de l’École et pus généralement de la construction de l’opinion publique sur ce sujet comme sur d’autres.
En tant que militant pédagogique faisant depuis 2003 une revue de presse sur l’actualité éducative, je devrais me réjouir que l’École occupe aujourd’hui une place si importante dans les journaux télévisés, la presse écrite et les sites d’information. Je ne cesse de clamer que “les questions d’École sont l’affaire de tous et doivent faire l’objet d’un débat citoyen” alors pourquoi se plaindre ?
Malheureusement, on est bien loin d’un réel “débat citoyen” et la presse, habituée à des analyses binaires est bien d’avantage préoccupée à compter les forces des camps en présence... sans réellement descendre sur le terrain. Toutefois, on voit enfin apparaître comme le notait la revue de presse de vendredi 15 novembre des témoignages et des reportages qui introduisent de la nuance là où il n’y avait jusque là que des positions très tranchées.
En France, il y a 64 millions de “spécialistes” de l’École… Mais pour que l’opinion se construise et que le “débat citoyen” ait lieu, et sans vouloir jeter la pierre aux journalistes éducation trop peu nombreux (et qui font ce qu’ils peuvent) plutôt que des sondages peu sérieux et des micro-trottoirs, il faut de la mise en contexte, du rappel historique, de la nuance. Du terrain et aussi de la rigueur scientifique.


Rigueur ?
Quelle parole des experts ? Comment sortir du ressenti pour aller vers une évaluation rigoureuse ? Peut-on porter un jugement après seulement trois mois ? Jean-François Copé est-il un spécialiste reconnu de la chronobiologie ? NKM est-elle une experte en pédagogie ?
Prenons un seul exemple : “Les enfants sont fatigués ”. Plus ? autant ? moins que l’an passé ? plus que ceux qui ne sont pas passés aux 4,5 jours ? Bien malin qui pourrait le dire avec sérieux et rigueur. Voyons ce que répond le chronobiologiste François Testu dans une interview au Nouvel Obs sur ce sujet de la fatigue des enfants : “Je dirais plutôt que c’est subjectif. Qu’est-ce qui leur permet de dire que leurs enfants sont plus fatigués que l’année précédente ? Les scientifiques qui s’intéressent à la question le savent : mesurer la fatigue physique et psychologique est une chose très complexe. En tout cas, on est sûrs d’une chose depuis longtemps : les enfants qui retournent en classe en septembre après la coupure estivale sont épuisés jusqu’aux vacances de la Toussaint – et cela, la réforme des rythmes scolaires n’y est pour rien.”.
Puisque nous sommes sur le terrain de la chronobiologie continuons avec François Testu qui, dans cette même interview, insiste sur ce qu’il estime être l’enjeu majeur de ce retour à 4,5 jours. “La réforme des rythmes scolaires a surtout été pensée pour les enfants les plus fragiles, issus des familles les moins favorisées sur le plan culturel – les 20% d’élèves qui se trouvent en échec scolaire quand ils arrivent en classe 6e. Ceux-là, quand ils se trouvent hors des murs de l’école, sont trop souvent livrés à eux-mêmes, ne bénéficient pas assez d’émulation intellectuelle, n’ont pas assez de régularité dans leurs horaires, pas assez d’encadrement éducatif, etc. Donc ils souffrent énormément du retour à l’école du lundi et du jeudi car, tout à coup, ils retombent dans un environnement extrêmement régulier en terme d’horaires et où leur intelligence est à nouveau très sollicitée. Ce contraste est terrible
Notons toutefois qu’il y a un débat entre chronobiologistes sur ce point précis. On pourra lire sur son blog, l’avis de Claire Leconte, chronobiologiste également qui réfute notamment la position du premier basée sur une “courbe de vigilance classique" dont elle conteste la validité. Elle a aussi un avis critique sur la réforme en cours. Un avis critique qui a toute sa place dans un débat “citoyen” et rigoureux… Mais dans un débat médiatique ?
Signalons aussi que le même François Testu signe avec Georges Fotinos (autre chercheur bien connu) une tribune dans Libération. . Après avoir rappelé, tout comme Christian Forestier cité plus haut que la réflexion est ancienne et faisait jusque là une certaine unanimité sur la nécessité de réformer les rythmes, ils font surtout des propositions pour sortir du blocage actuel.Elles méritent d’être entendues car elles reviennent sur des blocages que nous évoquions plus haut dans cette chornique. “il nous semble possible d’améliorer le dispositif actuel sur trois points. D’abord, introduire une plus grande souplesse d’organisation du temps scolaire, qui ouvre aux enseignants comme aux collectivités locales par les innovations possibles une véritable appropriation du projet par les acteurs. Ensuite, mieux prendre en compte l’âge des enfants qui permet de réexaminer l’obligation d’intégrer systématiquement les écoles maternelles dans le dispositif de réorganisation du temps scolaire. […]. Il faudrait aussi envisager sérieusement, au regard de la volonté du gouvernement de démocratiser pour tous les enfants l’accès à la culture et au sport (dans un souci de développement personnel et de réussite éducative, mais aussi du renforcement du lien social), une pérennisation de l’aide apportée par l’Etat en rapport avec le contexte et l’ambition éducative locale. ”.


La facture sociale
Dans le constat de la résistance à la réforme, il serait trop facile de s’en prendre au seul corporatisme enseignant et même de se demander s’il est vraiment possible de réformer l’École . Je ne suis pas, moi même, toujours tendre avec mes chers collègues. Et certains me le rendent bien d’ailleurs !
Mais sans tout excuser, il faut d’abord rappeler que les enseignants évoluent dans un système qui comporte ses effets pervers. Et il faut aussi chercher des explications à cet emballement peut-être excessif dans un contexte général et dans un lourd passif. Le gouvernement actuel, et le ministre actuel de l’éducation ont pu certainement faire des erreurs mais paient aussi une facture sociale dont ils ne sont pas les seuls débiteurs.
Le système éducatif est un système extrêmement rigide nous l’avons dit plus haut. Et cette rigidité, ces problèmes de “territoire” et de périmètres que nous avons tenté d’analyser se combinent pour aboutir à des crispations et des postures qui donnent le sentiment d’être indépassables. La techno-structure de l’EducNat produit de la circulaire, les syndicats à la veille d’élections professionnelles sont trop souvent dans la posture, les politiques eux aussi en campagne s’emparent d’une question que pour beaucoup ils ne maîtrisent pas. Les enseignants ont le sentiment, à tort ou à raison, de subir une réforme plus que d’en être partie prenante. Et de devoir s’adapter encore à une nouvelle situation après des années où le système éducatif a été malmené. Même si, rappelons le, bien d’autres catégories sociales subissent des situations bien pires.
Celui qui approche le mieux ce malaise enseignant, c’est le journaliste Emmanuel Davidenkoff dans sa chronique sur France Info . Il résume parfaitement la situation des enseignants du primaire et montre que la résistance au changement est surtout le produit d’une histoire à la fois ancienne (le sentiment de déclassement, la défiance vis-à-vis de la pédagogie) et récente (cinq ans de suppressions de postes). La “facture sociale” que nous payons (!) c’est aussi celle du lourd passif du sarkozysme et de la casse de l’École.


Tocqueville
C’est cette fatigue accumulée, cette “frustration relative” qui est aussi à l’origine des blocages. Pour finir, je voudrais finir par une citation d’un penseur du XIXeme siècle, Alexis de Tocqueville
« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. ” Alexis de Tocqueville L’ancien Régime et la Révolution . 1856
Je ne sais pas si ça peut consoler,  mais Vincent Peillon peut relire Tocqueville...
 ... et François Hollande aussi…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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Légitimité

J'ai participé mercredi dernier à l'émission de France Culture “Du grain à moudre” qui avait pour thème "Qui a eu cette idée folle, de vouloir réformer l'école ?"
Je suis allé sur le site et j'ai été surpris par la teneur de certains commentaires. Notamment ceux qui me déniaient ma légitimité à parler et niaient même ma qualité d'enseignant.

Quand je suis invité par les médias ou dans des institutions pour m'exprimer, j'ai toujours un peu le sentiment d'être un "imposteur". Parce que je ne suis pas à proprement parler un expert, je ne suis pas universitaire, je n'ai pas fait vraiment de "recherches" au sens académique du terme, je n'ai pas écrit de livres... Or ce sont ces personnes là qui sont traditionnellement invitées dans les médias pour s'exprimer. “expert en rien et spécialiste en tout (ou l’inverse)” ai-je écrit par dérision pour me présenter sur mon compte Twitter…
Toutefois je me réjouis à chaque fois (même si c’est un effort et pas du tout facile) d’avoir la possibilité de porter une parole qui n’est d’ailleurs pas seulement la mienne.

S’il y a en revanche un point sur lequel je n’ai pas du tout le sentiment d’être un “imposteur” c’est celui d’être enseignant « de terrain ». Cela fait trente deux ans que j’enseigne à des vrais élèves, qui se trouvent être en plus aujourd’hui ceux de la banlieue et même de la ville qui m’a vu grandir et où j’habite. Je fais cours, plus ou moins bien selon les jours et les heures, je corrige des copies (c’est d’ailleurs l’essentiel de mon activité de ce week-end, les conseils de classe approchent), je travaille avec mes collègues, je participe à la vie de l'établissement, je peste quand la machine à café ou la photocopieuse est en panne...
Par ailleurs depuis huit ans je suis formateur en temps partagé à l’IUFM et aujourd’hui l’ESPÉ. Le temps partagé c’est bien un choix et une question de légitimité de mon discours et de ma pratique d’enseignant.
Et je suis aussi président d’une association qui est un mouvement pédagogique et je suis donc, je le revendique, un militant. Tout ça me prend du temps certes, mais j’essaie de tenir tout ensemble et de préserver aussi une vie familiale comme plein d’autres personnes.

Je suis toujours surpris et même meurtri par le procès en légitimité qui est souvent fait et qu’on retrouve dans les commentaires de l’émission “du grain à moudre”. L’intervenant serait forcément “déconnecté du terrain”, n’aurait alors aucune légitimité à parler. Le “président d’association” utilisé pour me qualifier (ce qui est juste) renvoie dans l’imaginaire de certains à une supposée “élite” coupée du réel ou des “hautes sphères” qui n’auraient que mépris pour le bas peuple. Curieuse conception de la vie associative et des “corps intermédiaires”…
Même si je comprends assez bien (de par ma formation et mon histoire personnelle) les raisons qui amènent à ces représentations, lorsqu’elles s’appliquent à votre propre cas, c’est toujours désolant. Et, je vis assez mal cette négation de ma légitimité à parler. Dans l’état de crispation dans lequel se trouve le monde enseignant, cela va même plus loin puisqu’en tant qu’enseignant du secondaire, on en vient aussi quelquefois à contester une parole qui ne connaitrait pas la réalité du terrain du primaire. Je ne vais pas ici faire étalage de ma vie personnelle mais il se trouve que pour des raisons familiales je pense avoir une idée assez précise de ce qui se passe aussi dans ce niveau d’enseignement.

Mais quand bien même, ce n’est pas la question. Car ce qui me fait répondre à ces invitations des médias, même si ce n’est pas facile (et même un effort) c’est le sentiment d’être le porte-parole de tout un mouvement (le CRAP-Cahiers Pédagogiques ) composé d’enseignants engagés dans l’action dans leurs classes et leurs établissements, et de tous niveaux. Cette parole est issue d’une réflexion collective et de la vie démocratique qui la permet. Et c’est surtout cela qui me donne de la force et qui au final me permet de surmonter ce syndrome de l’imposteur

dimanche, novembre 10, 2013

Bloc Notes de la semaine du 4 au 10 novembre 2013

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- Tout va bien – Tête près du bonnet - Recrutement – Reformer la réforme – Devoirs - .



Le bloc notes de la semaine revient une nouvelle fois sur la question des rythmes à travers une enquête qui montrerait que ça ne va pas si mal mais aussi avec des menaces de grève. On évoque aussi le recrutement des enseignants qui progresse.
La question des réformes est au cœur d’une réflexion sur les méthodes de changement. Pour finir, vous aurez même droit à des devoirs à la maison.  Et comme il fait froid, il y a des bonnets partout...! 



Tout va bien… ?
Comme Lionel Jeanjeau l’annonçait dans sa revue de presse du 8 novembre le ministère de l’Education a publié ce vendredi un premier bilan de la réforme des rythmes (émanant en fait de la Degesco). D’après lui, la réforme s’applique “ sans difficultés dans la quasi totalité (93,5%) des communes l’ayant adoptée en septembre. Le bilan porte sur 3 223 communes parmi les 4000 (81%) qui se sont lancées dans la réforme cette année. La réforme a été adoptée en septembre 2013 par 17 % des communes scolarisant 22 % des écoliers du public, les autres devant le faire en septembre 2014. Il s'agit d'un bilan établi au ministère par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) sur la base de données fournies par les directeurs académiques des services de l'Education nationale (Dasen).Ceux-ci devaient classer leur perception de la mise en place en trois couleurs:
- vert lorsque le dispositif a été mis en oeuvre sans difficulté recensée (ni par la mairie, ni par les parents d'élèves ou le personnel enseignant),
- orange si des difficultés existent mais que des ajustements sont en cours pour les surmonter et…
- rouge si des adaptations significatives restent à mettre en œuvre. Selon les résultats obtenus, 1,3% seulement des communes connaissent ce genre de difficultés et 5,2% considèrent qu'il faut encore améliorer le système. Le rapport noterait aussi que sur les communes analysées, la gratuité des nouvelles activités périscolaires “ est la règle quasi-générale ”. Et le texte ajouterait que “dans les cas très minoritaires où les activités ne sont pas gratuites, leur coût est progressif et modéré ”.
C’est lors d’une interview à Canal Plus que le ministre a d’abord communiqué sur ce rapport : “ Le bilan dont nous disposons, j'attendais en fait qu'il soit complet, c'est-à-dire sur les 4.000 (communes) pour le rendre public, mais étant donné l'ambiance du débat, on est à 3.200 remontées précises, j'ai souhaité les faire connaître, parce que elles vont contre ce grand mouvement qui laisse à penser que c'est une catastrophe. ”a t-il déclaré. “ Cela ne veut pas dire qu'il n'y a eu aucune difficulté, c'est une grande réforme, il faut adapter les choses ”, a-t-il poursuivi. Dans les 93,5% de communes classées vert, “ aujourd'hui que ce soit les parents, la collectivité locale elle-même ou les professeurs disent ça se passe bien ”, a-t-il dit.“ Après vous avez à peu près 5% dans lesquelles il y a eu des difficultés, souvent assez lourdes ” et “ plus 300 modifications depuis le début de l'année ”, et “ il reste, ce n'est pas rien, plus de 40 communes dans lesquelles il y a des difficultés que nous considérons encore être lourdes ”, a-t-il ajouté. Parmi les 3.223 communes étudiées, 199 ont procédé au total à 318 ajustements (plusieurs possibles par commune), selon le ministère. “ On constate donc que les organisations mises en place sont robustes ”, estime le ministère. Sur ces 199 communes, les ajustements ont pu porter sur le temps scolaire (20,2%), le temps périscolaire (24,5%), la pause de la mi-journée (8,8%), l'articulation des temps (21,1%), la gestion des locaux (11,6%) ou encore la communication (13,8%).
Quoi qu’on en pense, le décalage entre cette enquête et la perception et le ressenti dans l’opinion et chez les enseignants est surprenant. Sans doute peut-on expliquer le fossé entre cette sérénité affichée et le volume médiatique pris par cette querelle sur les rythmes par le fait que Paris, l’une des rares très grandes villes passées aux quatre jours et demi, figure parmi les 6,5% de communes rencontrant des problèmes. À ce propos, on pourra lire l’interview de Colombe Brossel (Maire adjointe de Paris, chargée de l’éducation) sur le site des Cahiers Pédagogiques . Mais c’est surtout sur le site du journal Le Monde que l’on pourra lire les annonces de Bertrand Delanoë à l’issue d’une rencontre le 7 novembre avec les agents municipaux. La municipalité a proposé d'"ouvrir" 250 nouveaux postes pour apporter un renfort dans les écoles polyvalentes (maternelle et élémentaire) aux responsables éducatifs chargés de la coordination des ateliers périscolaires. En outre, les animateurs devront désormais être présents un quart d'heure avant et un quart d'heure après les ateliers (les mardis et vendredis après-midi) "pour les démontages, et pour sécuriser les entrées et sorties des enfants afin de tranquilliser les parents".

La tête près du bonnet
On cherche clairement à désamorcer la contestation alors que des syndicats appellent à une grève nationale le 14 novembre. Y parviendra t-on ? Rien n’est moins sûr.
La CGT, FO, Sud et la Faen (et des syndicats locaux du SNUipp) appellent en effet les enseignants et autres personnels travaillant dans les écoles à se mobiliser pour le retrait du décret instaurant la semaine de 4,5 jours dans le primaire.
Quant au Snuipp-FSU national (principal syndicat du primaire) il pourrait appeler à une grève début décembre si des discussions ne sont pas “rapidement ouvertes” par le ministre de l'Education nationale prévient le Snuipp-FSU dans un communiqué intitulé “Stop à la cacophonie (daté du 6 novembre 2013). Le syndicat écrit : “Aujourd’hui, dans l’Express, on apprend que 30% des maires n’appliqueraient pas la réforme des rythmes à la rentrée 2014. Dans Le Figaro, on apprend également que le Premier ministre annoncerait au congrès des maires fin novembre « qu’il proposerait de laisser du temps aux maires pour mettre en œuvre la réforme ». Déjà, l’année dernière, c’est après ce même congrès que la réforme a vu son application étalée sur deux ans.La cacophonie ne peut plus durer. Voilà bien la première fois qu’une réforme de l’Éducation nationale est suspendue aux possibilités de mise en œuvre des collectivités locales. Maintenant, cela suffit ! […] Pour être entendus, les enseignants vont-ils devoir mettre des bonnets multicolores sur leurs têtes ?”.
Tiens, revoilà, les bonnets rouges. Comme nous le pointions dans le dernier bloc notes, il est clair que les reculades (même si on communique sur “le sens de l’écoute et du dialogue”) à propos de l’écotaxe, ont contribué à décrédibiliser la parole publique. Comme en plus, le salon de l’éducation se tient en même temps que celui des maires, on imagine assez bien le cocktail explosif…
L’autre souci, c’est que, comme nous l’avons déjà dit et écrit, cette réforme supposerait une concertation large et en amont pour les communes qui n’y sont pas encore passé. Mais aujourd’hui beaucoup, au lieu d’utiliser ce temps, font de l’attentisme voire de l’obstruction… Et parient sur l’abandon de la réforme…

Recrutement et ESPÉ
Vincent Peillon était en visite jeudi matin à l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPÉ) d'Auvergne. “J’ai le bonheur de voir et d’annoncer aujourd’hui à Clermont que les jeunes reviennent vers le métier d’enseignant. Nous avons 50% de plus d’inscrits dans le 1er degré et +20% dans le secondaire.
Pour la nouvelle session 2014, l’augmentation du nombre d’inscrits aux concours du professorat semble en effet se confirmer alors que l’effet d’aubaine du deuxième concours s’estompe. Dans le premier degré, on compte donc pour la prochaine session plus de 66 000 inscrits. Dans le second degré, qui totalise près de 87 000 candidats, les disciplines confrontées de manière récurrente à des difficultés de recrutement connaissent une embellie, avec une progression du nombre d’inscrits de 10 % en lettres modernes, de 19 % en anglais et de 13 % en mathématiques. Par ailleurs, “ Le rapport entre le nombre d’inscrits et le nombre de postes ouverts au concours permet d’envisager un taux élevé de sélectivité, gage de qualité du recrutement” estime le ministère.
Si l'on considère les choses sur un plan strictement statistique, avoir plus de candidats pour un nombre donné de postes, augmente la sélectivité. Mais reste après à savoir sur quoi se fonde vraiment cette sélection et ce qu’on appelle la “qualité”…Les "nouveaux concours” tels qu’ils se dessinent (des “sujets zéros” ont été proposés dans les différentes disciplines) seront-ils en mesure de vraiment offrir des réponses appropriées à la question de ce que devrait être un enseignant du XXIe siècle ? Les jurys de concours dans leur mode de fonctionnement actuel seront-ils capables d’opérer cette mutation. La formation proposée dans les ESPÉ sera t-elle à la hauteur...?
Autant de questions qui, là aussi, supposent un travail de longue haleine et des remises en question profondes. Alors que l’ambiance générale est à la morosité et au pessimisme. Et que l’amertume n’a jamais tenu lieu de politique…
Mais pour cela il faut dépasser les crispations actuelles, les radicalisations qui aboutissent en miroir à des discours de “communication” qui confinent à l’auto-persuasion. Il faut de la nuance et de la  critique constructive  pour avancer. Je me permets de re-citer un extrait d’un communiqué du CRAP-Cahiers Pédagogiques pour illustrer cette marge étroite : “ Tant pis si pour les uns, dans l’institution, nous pratiquons trop notre devoir d’impertinence, tant pis si pour les autres, nous serions trop bienveillants et trop positifs. La question n’est pas là, mais bien de ne pas s’enfermer dans la résignation ou dans le commentaire”.

Réformer la réforme
Bien qu’il ait déjà été signalé dans la précédente revue de presse, je voudrais revenir à mon tour sur l’article d’Emmanuel Davidenkoff “il faut réformer la réforme” paru dans L’Express. De retour de Doha, le journaliste note que cette question de la généralisation de dispositifs pédagogiques alternatifs était au fond le véritable sujet du World Innovation Summit for Education (Wise). Il rappelle que les principes de l’“éducation nouvelle” et des pédagogies dites innovantes sont connus depuis très longtemps. L’éducation nouvelle, ça fait cent cinquante ans qu’elle est nouvelle… Et Davidenkoff de poursuivre “Le véritable génie de celles et ceux qui parviennent à étendre des dispositifs disruptifs, finalement, tient moins à leur habileté pédagogique qu'à leurs compétences en matière de conduite du changement. Raison pour laquelle, à l'échelle mondiale, le changement en éducation est plus souvent porté par des entrepreneurs sociaux que par des acteurs issus du monde de l'éducation […] Les services publics d'éducation sont-ils capables non tant de se réformer que de réformer leur façon de se réformer?
Cette question de la conduite du changement est aussi au cœur d’un livre qui mériterait d’être lu attentivement par les “décideurs”. Ecole : la grande transformation ? - Les clés de la réussite. Les deux auteurs, Romuald Normand et François Muller, s’attachent à mettre en évidence les leviers du changement et montrent surtout que les transformations se font au sens propre par un “renversement”, c’est-à-dire une remise en question de la vision pyramidale, centralisatrice et si jacobine de la réforme “à la française”.
Dans l’opinion publique et les médias, on a d’ailleurs souvent présenté les enseignants français comme rétifs au changement, conservateurs et peu enclins à faire évoluer leur pratique. Et dans les politiques éducatives menées ces dernières années, c’est la méfiance qui a prévalu. Elle se fonde sur cette représentation et aboutit à une volonté de vouloir faire passer “en force” des réformes en s’appuyant sur les cadres intermédiaires (chefs d’établissement, inspecteurs,…) dont beaucoup sont plus des freins que de réels leviers…
L’École fait des réformes, la médecine fait des progrès”, cette métaphore souvent citée par Philippe Meirieu devrait nous interpeller à plus d’un titre. D’abord sur les dangers du mot “réforme”. C’est en effet générateur d’effet pervers car cela suppose que ce qui était fait avant n’était pas bien (on met “à la réforme” ce qui est cassé…) et cela crée évidemment des résistances. Pire encore, dans un métier où l’on se met en “je” et où la dimension personnelle et affective est très forte dans la construction de l’identité professionnelle, la réforme est vécue alors comme la remise en cause de son propre travail sinon de sa propre personne. On peut rajouter aussi que dans la culture anti-autoritaire des enseignants, il y a une réticence à obéir aux injonctions (on a la tête près du bonnet…). Alors qu’on fera spontanément la même chose…
La métaphore citée plus haut nous interpelle aussi sur la manière de faire des progrès. Pour progresser, la médecine s’appuie sur les savoirs partagés la diffusion et la capitalisation des innovations. Or, dans l’éducation nationale, malgré des progrès dans la mutualisation des supports de cours il y a encore une réelle difficulté à diffuser les innovations et à analyser et évaluer les dispositifs mis en place. Y compris au sein d’un même établissement où il est quelquefois difficile de savoir ce que fait son collègue et de donner de la cohérence à un collectif qui ne soit pas basé sur la méfiance et l’individualisme.
Sur la conduite du changement, la France et les Français mériteraient un bonnet…d’âne…

Devoirs à la maison
Pour finir, je voudrais signaler un dossier intéressant de la Croix sur “le casse-tête des devoirs à la maison” et ses enjeux. On note que plusieurs sondages confirment l'attachement des français aux “devoirs à la maison” alors que ceux-ci sont supposés être interdits depuis 1956. Certes, il y a des enseignants qui abusent, mais “apprendre une poésie” ou “relire un texte” est-ce de l'ordre du devoir à la maison ?
La question est, selon moi, mal posée. Car derrière il y a surtout un point essentiel : la relation entre l'École et les familles. Qu'on le veuille ou non, le “travail à la maison” est aussi un lien entre le monde de l'École et celui de la famille qui peut être plus ou moins éloignée des codes de l'École. C'est peut-être là dessus qu'il faut travailler pour que ce lien fasse du sens, que les parents puissent investir cet espace “entre-deux”. Il y a là des choses à inventer pour éviter le cloisonnement et/ou la sous-traitance mais au contraire la coopération et l'alliance entre enseignants et parents. Et, osons rêver, faire en sorte qu’apprendre (si c’est un effort) ne soit pas une souffrance…
Autre dimension majeure : la question des "devoirs” renvoie à la pression scolaire. Pour réussir, il faudrait alors être surchargé de travail et dans cette représentation, les parents jugeraient les enseignants qui ne donnent pas de travail comme peu soucieux de la réussite de leur progéniture (ce qui est évidemment faux !). Lorsque les enjeux de l'école et de la réussite scolaire pour éviter le chômage polluent toute la relation familiale , c'est que la société est vraiment malade...
On retombe sur une question de rythme et d'équilibre : ne pas oublier que l'enfant n'est pas qu'un élève... Et si la question du rythme était d’abord et avant tout celle de notre société toute entière ?

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

dimanche, novembre 03, 2013

ESPÉ et formation des enseignants : mon bilan d’étape



"Si l’on se préoccupait de l’achèvement des choses on n’entreprendrait jamais rien." François 1er


Même s’il est difficile de porter un jugement global à partir d’informations éparses et d’un vécu propre à l’ESPÉ où je travaille (ESPÉ-Paris), je me lance dans un bilan d’étape après près de 3 mois (on a commencé fin août) de fonctionnement de la formation des enseignants.
Je rappelle que j’ai une triple “casquette” :
  • je suis professeur (agrégé) de Sciences économiques et sociales en lycée (de banlieue) depuis 32 ans.
  •  Je suis en “temps partagé” depuis 8 ans , c’est à dire que je dois 192h années à la structure qui m’emploie (j’ai deux feuilles de paie !). Autrefois l’IUFM et aujourd’hui l’ESPÉ. J’ai coutume de dire que ce statut est bien un choix pédagogique et même politique (question de légitimité de mon discours…). J’y assure des formations disciplinaires (SES) mais aussi transversales : réflexion sur l’évaluation et les compétences, gestion de classe, autrefois économie et sociologie de l’école, évaluation des systèmes éducatifs…
  • Je suis aussi président (à mes moments perdus…)  d’un mouvement pédagogique : le CRAP-Cahiers Pédagogiques. A ce titre, j’ai participé à la concertation pour la refondation à l’été 2012 et précisément dans l’atelier 4 consacré à la formation. Nous avons rassemblé nos propositions dans unebrochure que vous pouvez toujours trouver sur notre site.
Je tiens aussi à rajouter (même si ce n’est pas le sujet de ce texte) que je ne suis pas forcément certain de conserver un poste à l’ESPÉ l’an prochain dans la formation pour plein de raisons (statutaires, organisationnelles, institutionnelles et personnelles). Mais je ne pense pas que cela soit un élément explicatif majeur de mon analyse.
Je rappelle aussi que ce n’est pas le premier billet que je consacre à ce sujet et vous pouvez les retrouver ici ou sur mon blog et divers médias (France Info et France Culture notamment) . Et que ma position est toujours la même : critique certes, mais pour faire avancer les choses, pas pour les bloquer…


Construire des formations, c’est pas de la tarte…
Le premier constat que je voudrais faire tient à la difficulté à construire aujourd’hui les contenus des cours pour les différents destinataires de ces formations. Pour le dire de manière un peu abrupte : les maquettes ont été construites avec des intitulés mais pas toujours en réfléchissant de manière approfondie au contenu des séances.
Encore une fois, au risque de me répéter, je suis sûr qu’il y a des endroits où ça s’est bien mieux passé mais pour ma part je repérerais quelques difficultés qui ont gêné ce travail.

  •  Le flou persistant sur les épreuves de concours qui n’a été levé – et encore pas complètement – que depuis des rencontres avec les présidents de Jury et la publication de sujets “zéro”
  •  l’incertitude également sur la structure de l’ESPÉ et les querelles de territoire qui en ont résulté : qui fait quoi ? Comment ? Dans quelles structures ? Avec quels intervenants ? La question du “modèle économique” de cette formation et de sa gouvernance n’est d’ailleurs toujours pas tranchée.
  •   La difficulté à discerner avec précision ce qui relève du “transversal” et du disciplinaire. Ce n’est toujours pas réglé quand on voit les problèmes posés par la mise en place de la culture commune.
  •  La même question se pose sur la distinction (artificielle selon moi) de la didactique et du pédagogique. Et de savoir qui fait quoi dans ce domaine et sous quelle forme.
  •  Le poids des habitudes. Sans vouloir critiquer plus que de raison, les personnes qui ont présidé à la construction des maquettes actuelles, il faut dire bien souvent que c’était une solution de facilité (compréhensible ?) dans un système assez rigide que d’essayer de plaquer des cours déjà existants (et avec les personnes qui vont avec) plutôt que de tout vouloir ré-inventer.
  •   La multiplicité des statuts dans cette période transitoire. CAD2, FSTG, M1, M2 en stage, EAP, contractuels… on s’y perd...!
  • Les problèmes de périmètre géographique : Par exemple, depuis une dizaine d’années, la formation des SES (la matière que j’enseigne) était inter-académique pour des raisons d’économie d’échelle. Dès avant la construction des ESPÉ, le rattachement des IUFM aux universités (plus encore que la seule masterisation) a mis à mal cette logique et a conduit à des logiques de repli académique qui à mon sens conduisent dans notre région bien particulière à du gaspillage de ressources humaines. Je pense que cette situation n’est pas propre à ma discipline et qu’elle handicape sérieusement des synergies souhaitables et à l’heure où il faut faire des économies (eh oui, je suis aussi contribuable…) elle n’est pas très rationnelle lorsqu’elle se heurte encore à des questions de territoire...
  •  L’urgence, enfin, qui nous a conduit comme dans beaucoup d’autres ESPÉ à “bricoler” des solutions supposées transitoires (mais on sait que dans l’E.N. le transitoire a tendance à durer…) et qui nous a contraint à peu nous voir autour d’une table et à travailler chacun dans son coin pris par nos autres impératifs de fin d’année précédente. Je ne suis pas sûr que dans l’état d’épuisement et de désabusement qui règne en ce moment il y ait beaucoup d’énergie pour s’y remettre à la fin de l’année.



Qui décide ? Qui pilote ? Les éternels problèmes de territoire...
Je rajouterai à cela une question plus polémique et qui renvoie au premier point de la liste. Qui décide vraiment ? Quelle est la marge d’autonomie de chacun ? En principe les universités sont autonomes. Mais on peut dire, sans trop exagérer, que la construction des masters MEEF aboutit, de fait, à une standardisation (souhaitable selon moi) des formations proposées et qui pouvaient être très diverses selon les académies. On peut s’en réjouir, c’est mon cas. Même si je déplore par ailleurs que dans ce qui s’est joué au niveau des deux ministères (MEN et MESR) ce soit celui de l’enseignement supérieur, mieux structuré et habitué à ces logiques de lobbying qui ait gagné. On notera aussi que les situations financières de bon nombre d’universités mettent aussi à mal leur supposée autonomie.
Devant cette évolution, qu’a fait le ministre ? Il a cherché à contrebalancer ce pouvoir excessif des universités en redonnant du pouvoir aux inspecteurs. La réunion inédite le 17 mai 2013 de tous les IA-IPR à la mutualité, après celle des IEN (Primaire) le 8 février de la même année avait pour but de réaffirmer le poids de l’“État-employeur” dans la formation des enseignants. Alors que la logique qui a prévalu dans les négociations (MEN/MESR) était simple “Tout ce qui est avant le bac, c’est vous (le MEN) ; tout ce qui est après c’est nous (le MESR)”. C’est simpliste mais pas très loin de la vérité…
On a donc redonné du pouvoir aux inspecteurs. Ils ont, de fait, un poids non négligeable dans la détermination des contenus de la formation et encore plus dans la partie formation en établissement (choix des tuteurs, des “berceaux”, initiative des réunions de coordinations…). Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
Parce que je suis très vieux ( !), j’ai quelquefois tendance à dire qu’en supprimant les IUFM, on a certes “créé” les ESPÉ mais aussi restauré quelque chose qui ressemble pas mal aux CPR (système antérieur aux IUFM) où les IPR avaient la haute main sur l’ensemble de la formation. Et dans le premier degré, on est pas loin des écoles normales tant l’univers du primaire semble étranger aux universitaires et laisse donc beaucoup de marge aux ex-IUFM. Les IPR ont l’avantage de connaître le terrain et de savoir ce que c’est qu’un élève qui apprend (ou qui n’apprend pas) et de connaître les pratiques réelles de classe. J’ai pu constater personnellement le rôle positif qu’ils ont pu jouer dans certaines négociations difficiles avec des universitaires dont la logique était plus éloignée de la préparation au métier.
Mais, sans remettre en cause les personnes qui ont certes leur marge de manœuvre personnelle mais qui sont aussi le produit de la structure et des contraintes dans lesquelles elles agissent, on peut dire qu’il y a des risques dans cette évolution. D’abord parce la relation inspecteurs/enseignants est trop souvent marquée par le clientélisme et donc aussi par le conformisme. Cela pose alors la question du critère de recrutement des formateurs (dans les classes et dans les ESPÉ) et accessoirement celle de leur formation.
Et puis, parce que je suis un vieux militant pédagogique, c’est aussi parce que cette structuration conduit à renforcer les cloisonnements disciplinaires. Les IA-IPR sont recrutés sur une base académique et même si leurs fonctions ont évolué, ils restent structurés sur une base essentiellement disciplinaire où on retrouve les enjeux de territoire que nous évoquions plus haut. Comment former des enseignants qui coopèrent et travaillent  entre disciplines et entre niveaux dans un tel cloisonnement ? Comment requestionner les contenus dans la logique du socle commun et des compétences et construire une logique curriculaire indispensable dans un système qui reste malgré tout figé ?

Les “ex-IUFM” (dont je suis, mais je me soigne…) voient cela d’un mauvais œil car ils le ressentent comme une marginalisation ou du moins une remise en question de leur autonomie. Les discussions sont vives aujourd’hui car elles se font sur le mode de la crainte et de la défense des acquis. Les débats récents sur la gouvernance et les statuts des ESPÉ en sont un des phénomènes les plus marquants. Il est difficile de construire quelque chose de nouveau quand on a le sentiment qu’on va y perdre. Sentiment renforcé encore quand on sait que la plupart des intervenants à l’“ex-iUFM” sont à temps plein et n’ont pas de « point de chute » en établissement (et “chute” peut être prise et vécue dans les deux sens du mot…).
Étant en temps partagé et satisfait par la conjonction  de mes deux métiers (même si c’est pas facile au quotidien), ce n’est pas mon cas.


Un “choc de culture”
Il y a un vrai “choc de culture”. L’enjeu des ESPÉ c’est de considérer qu’au lieu de tirer chacun la couverture à soi, il s’agit d’agir dans le même sens pour le “bien commun”. Faire travailler ensemble des universitaires, des “ex-iUFM”, des formateurs-tuteurs dans les classes, des personnels de la formation continue et pourquoi pas (demain ?) des militants des mouvements pédagogiques, ce n’est pas de la tarte ! Et dans le même temps, il y a une certaine urgence puisqu’il s’agit de ne pas rater la formation des futurs enseignants. Beaucoup de formateurs sont au bord de la rupture voire du “burn-out” . On est dans un bon nombre de cas dans ce que les psychologues du travail appellent le “travail empêché”. 
J’ai écrit dans des billets précédents que je ne pensais pas que la structure universitaire telle qu’elle est aujourd’hui était la meilleure structure pour favoriser cette intégration. Les luttes de pouvoir, les cloisonnements, le clientélisme sont malheureusement inscrits dans l’ADN universitaire français. On ne peut pas dire non plus que la réflexion pédagogique soit au cœur de l’enseignement universitaire. Comment penser les difficultés d’apprentissage lorsqu’on est au sommet d’un système qui vous a fait réussir ?
L’argument souvent mis en avant par les défenseurs de ce choix universitaire de la nécessité de la recherche pour permettre l’innovation et l’évolution du métier me semble très discutable. Car il suffit de voir comment celle ci est le plus souvent structurée selon les principes évoqués plus haut pour se rendre compte qu’elle est malheureusement le plus souvent (pas toujours, j’en conviens !) déconnectée d’une véritable recherche-action qui serait pourtant nécessaire. Elle est aussi peu apte à infuser faute de lien avec l’enseignement (il y a toutefois quelques revues comme les Cahiers Pédagogiques qui essaient de faire ce travail de vulgarisation mais elles sont peu aidées…)



Les occasions ratées et les opportunités
Ce que je défendais (et défend toujours) c’était une place de concours qui ne soit pas, comme on en a pris la malheureuse habitude avec ce gouvernement, un compromis boiteux. Mettre le concours en fin de M1 était la pire des solutions puisqu’elle combinait les inconvénients du bachotage en première année. Celui-ci est inévitable quelque soit la nature des épreuves et peut même conduire à une dénaturation de la réflexion pédagogique au profit d’une “messe” servie à ceux qui veulent l’entendre. Car, même si ce n’est pas le sujet, il faut aussi s’interroger sur les compétences en matière pédagogique et didactique des membres des jurys de concours et la manière dont ceux ci sont composés. Mais c’est une autre histoire… (qui peut toutefois faire capoter une partie de la réforme…)
Le concours en M1 installe également durablement la formation à l’université puisqu’il y a continuité avec le M2, nous l’avons vu. Mais il y a, de fait, construction d’une énorme usine à gaz (plus ou moins selon la taille et la complexité des académies, j’en conviens).  Les ESPÉ ne sont alors que des “agences” chargées de (tenter de) rassembler des énergies disparates. Une structure autonome avec une gouvernance plus simple aurait été à mon sens plus efficace. Avec une vraie réflexion voire une remise en question de la formation et de la pédagogie des formateurs actuels. A condition aussi d’y intégrer plus la dimension universitaire qui a manqué aux IUFM (le “U” a été un peu oublié) et de renforcer la recherche en son sein.

Ce n’est pas le choix qui a été fait. Il faut faire avec. On notera toutefois que le ministre ne cesse de dire que la situation est transitoire et devra donc être aménagée voire revue. On notera au passage qu’on entend beaucoup moins Mme la Ministre de l’Enseignement Supérieur (et son cabinet) sur ce même thème. Même si un groupe de suivi des ESPÉ a été nommé avec à sa tête Daniel Filâtre (qui a été le principal artisan –voire le seul – de leur création).

On peut se dire aussi que dans cette affaire, il s’agit d’un coup de billard à plusieurs bandes. On rétablit une formation bien malmenée par la droite, on crée une structure nouvelle pour faire taire les critiques (souvent excessives) sur les IUFM, on en profite pour homogénéiser des formations universitaires qui partaient dans tous les sens, et on oblige les universitaires à parler un peu plus de pédagogie (ce qui n’est pas une mince affaire même si j’en connais beaucoup qui ne rentrent pas dans cette critique). Ce qui peut à terme faire bouger les choses…
ESPÉrons…



Bonnes fées et mauvaises fées
Mais le problème, c’est que cette évolution là se situe sur le moyen terme. Et que l’immédiat c’est la formation des étudiants et des futurs enseignants qui se fait dans le flou et la précipitation alors que c’est l’avenir de l’école qui se prépare. L’urgence nous fait souvent oublier l’essentiel et s’accommode mal des visions stratégiques. D’autant plus que le temps du politique n’a rien à voir avec le temps de l’École…
Des délais très courts, une fatigue accumulée (4 “réformes” en cinq ans), des injonctions contradictoires, des moyens pas toujours au rendez vous alors que les effectifs sont en progression, des “vieux réflexes” qu’il faut combattre, des enjeux de territoires, des rapports de forces…  Beaucoup de mauvaises fées se sont penchées sur le berceau des ESPÉ.
Restent quelques bonnes fées : le sens du service public qui fait que malgré tout on fait tourner la machine, des convictions fortes sur ce qui fait (enfin) consensus “enseigner est un métier qui s’apprend”, l’“optimisme de l’action” qui l’emporte encore sur le “pessimisme de l’analyse” et encore un peu d’enthousiasme…
Mais celui-ci n’est pas en quantité illimitée…

Nothing has ever been achieved by the person who says, It can't be done.”
Eleanor Roosevelt

Il faut conjuguer le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté
Romain Rolland (repris par Antonio Gramsci)



Philippe Watrelot




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