jeudi, juillet 16, 2015

Départ

Lorsque tout marche bien, il est grand temps d'entreprendre autre chose.
Fernand Deligny Graine de Crapule 1945


Lors de la prochaine assemblée générale du CRAP-Cahiers Pédagogiques (le 19 octobre 2015), je quitterai mes fonctions de président de cette association. J’occupe cette fonction depuis 2007 et je suis impliqué dans la direction de l’association depuis 2002 puisque j’ai été auparavant secrétaire général du mouvement.
Il me semble normal, dans le fonctionnement d’une association comme de toute autre structure, d’organiser le renouvèlement régulier des instances. Cela fait plus d'un an en interne que j’annonce ce départ et évidemment que nous préparons la transition.


Permanence
Ce qui fait la force d’une association et d’un collectif quel qu’il soit c’est sa capacité à survivre aux individus qui la composent. Le Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques existe sous sa forme actuelle depuis 1963 et la revue, dont l’association est l’éditeur, existe quant à elle depuis 1945. Les deux structures ont vu se succéder de nombreuses équipes avec des personnes très estimables à leurs têtes. J’ai modestement fait ma part dans cette œuvre collective et d’autres la poursuivront. 
Car un des enjeux est en effet de favoriser le renouvèlement et le rajeunissement des acteurs. L’autre enjeu c’est de comprendre que même si les structures coopératives comme la nôtre s’accommodent du leadership de quelques uns, la richesse humaine réside d’abord dans l’action collective et la qualité de l’ensemble des personnes qui composent ce collectif.


Numérique et Personnification
Je suis arrivé dans les instances de l’association à un moment où les médias évoluaient fortement et le répertoire d’actions qui s’offrait aux mouvements sociaux, de fait,  aussi. Mon mandat et mon activité en ont tenu compte et j’ai essayé d’anticiper et d’en tirer parti.
Ces quinze années de début de siècle sont incontestablement marquées par l’essor du numérique. Les supports de diffusion ont considérablement évolué. Nous sommes passés d’une revue papier à une multiplicité des supports : revue au format pdf, hors-série numérique,.. Le site né à la fin des années 90 est passé du stade de simple vitrine à celui d’une véritable boutique en ligne et d’un site d’actualités avec des publications spécifiques. En amont, nous avons pu aussi grâce à l’outil numérique rendre plus facile et plus efficace la réalisation des textes et la fabrication de la revue.
Mais le numérique c’est aussi l’importance prise par les réseaux sociaux. Nous avons délibérément choisi de nous y investir notamment parce que c’est aussi là que se trouvent les enseignants. J’ai pour ma part créé ce blog dès 2003 et la revue de presse que j’ai produite seul avant qu’elle ne devienne une œuvre collective a été un vecteur de l’échange avec bien sûr la promotion de nos publications.  Car si vous n’avez rien à échanger, à offrir, sur les réseaux sociaux, vous ne pouvez vous y inscrire durablement. Cela veut dire, entre autres, que la présence et la notoriété reposent sur un subtil équilibre de don/contre don et de promotion.
Si la société est devenue numérique cela a aussi profondément affecté l’information. Nous sommes de plus en plus dans une société du spectacle et de l’information en flux continu. Pour diffuser nos idées la revue est bien sûr le “canal historique” mais cela passe aussi par une présence dans les médias. Et cela suppose de composer avec plusieurs logiques. Nous sommes bien sûr un mouvement qui exprime des positions élaborées collectivement. Mais les médias s’attachent aussi à des individus (des “bons clients”) et il faut aussi composer avec une logique de personnalisation si l’on veut être invité et entendu. On dit quelquefois que les journalistes sont des “gate keepers” : ils agissent un peu comme des physionomistes de boites de nuit qui décident de qui peut entrer ou ne pas entrer… Le président d’une association a donc une fonction de représentation extérieure qui peut aboutir à cette logique de personnification dans le champ médiatique. C’est ce qui m’a conduit à occuper cette position particulière. Ce qui comporte des risques et des effets pervers : il n'est jamais bon de réduire un mouvement à un individu. Et cela peut conduire aussi à des excès lorsque, comme c’est le cas en ce moment, cela conduit à des attaques personnelles.


Ce que j’ai appris...
Mais qu’on ne se méprenne pas, mon départ n’est pas lié à la tension de la période récente. Il est prévu et annoncé depuis longtemps et il correspond dans nos instances à la fin de deux mandats successifs.
J’aurais pu continuer encore. Mais lorsque la routine s’installe même si on a le sentiment de  faire bien le boulot et qu’on a développé quelques compétences, il est temps de passer à autre chose.
J’ai appris beaucoup au cours de ces années. Même si on peut se dire qu’un enseignant devrait avoir une certaine facilité pour parler devant un public, s’exprimer dans les médias est une compétence spécifique qui s’est construite progressivement. Tout comme la capacité  à animer un collectif, conduire des réunions, déléguer,... Rien de cela n’est naturel et la vie associative permet cet apprentissage informel.
Il faut aussi concilier le leadership et le collectif. Le dirigeant associatif est d’abord un animateur qui peut impulser mais qui sait qu’il ne peut rien faire sans les autres, qu’il doit convaincre mais aussi respecter (et faire respecter) les orientations décidées collectivement. Il doit aussi composer, négocier, quelquefois arbitrer, jouer un rôle de médiateur. Tout cela est passionnant… et terriblement prenant.
Le CRAP est aussi, comme je me plais à le dire, une petite entreprise de l’économie sociale. Nous “produisons” une revue papier huit fois par an, cinq hors-série numériques et des évènements (colloques, rencontres,...). Nos ressources proviennent à plus de 80% de la vente de nos publications. Nous avons vu au cours des dernières années nos subventions se réduire et c’est évidemment une contrainte supplémentaire alors que, par ailleurs, nous payons les salaires de six personnes... Comme beaucoup de structures comparables, nous sommes toujours dans une situation précaire et une bonne partie de notre énergie est malheureusement mobilisée par cette situation. Je le répète ici une nouvelle fois, l’aide de l’État n’est pas à la hauteur.
« Frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui ». Cette citation de Michel de Montaigne apprise au collège, me revient en mémoire pour évoquer ce que m’a le plus apporté le CRAP-Cahiers Pédagogiques. Car notre association est avant tout un formidable lieu de réflexion collective et de débats qui m’ont permis d’affiner ma réflexion. J’ai d’abord et surtout beaucoup appris des autres dans une stimulation intellectuelle permanente. Il faut argumenter, développer son raisonnement, confronter les idées, écouter l’autre et ce qu’il peut apporter pour faire avancer notre propre réflexion. On nous blague quelquefois pour cela mais au  CRAP-Cahiers Pédagogiques nous sommes très pointilleux sur l’organisation et la distribution de la parole, sur le respect des horaires et des objectifs assignés à une réunion. Mais cette rigueur est la condition même d’un échange réussi et le meilleur moyen d’éviter la si décriée “réunionite”. Ah, si tous les débats dans les établissements scolaires pouvaient être comme au CRAP !
Dessin de Jack Koch réalisé en direct lors des assises de la pédagogie en octobre 2012
Enfin, j’ai aussi et surtout appris à dire “Merci”. C’est sûrement le mot le plus important et qu’on oublie trop souvent. L’engagement quel qu’il soit ne peut plus se retrouver aujourd’hui dans le seul modèle de l’abnégation du militant qui s’oublie dans la “cause”. Un engagement bénévole (et même salarié) durable suppose qu’on se sente reconnu, valorisé et donc... remercié. Un responsable associatif ne doit jamais oublier cette dimension et créer les conditions de cette forme d’engagement. Et dire “Merci” très souvent.
D’une certaine manière, ce billet n’est d’ailleurs qu’un immense Merci... !


Et après ?
« Qu’est-ce que tu vas faire après ? », « on ne t’imagine pas rester sans rien faire ». Depuis que j’annonce ce départ, la question revient sans cesse chez mes amis, avec un souçon d’inquiétude...
Après ? Rien.
Il est indéniable que lorsqu’on est responsable d’association on développe donc des compétences spécifiques. Et on se dit quelquefois qu’il est dommage que celles ci ne soient pas exploitées ensuite. Mais de toutes façons, je l’ai constaté avec d’autres que moi, l’Éducation Nationale est peu propice à la validation des acquis de l’expérience et n’est guère favorable à ceux qui ne suivent pas les procédures classiques. Mais surtout on ne construit pas un engagement militant dans une perspective de “carrière”, ce serait inconvenant et même ridicule. Les occasions de m’investir autrement viendront éventuellement en leur temps.
À 56 ans, la retraite n’est pour l’instant qu’un horizon (qui par définition, recule au fur et à mesure qu’on avance... ! ). Si je quitte la présidence des Cahiers Pédagogiques, je n’en continue pas moins d’être enseignant et pour l’instant encore formateur en temps partagé. En fait, je reviens à deux mi-temps au lieu de trois !
Je ne sais pas encore si je poursuivrai au même rythme pour le travail de veille de l’actualité éducative à destination des 5000 personnes qui me suivent sur Facebook et sur Twitter. Mais je continuerai probablement à alimenter ce blog !

Philippe Watrelot



[si on veut revenir en arrière, on peut aller lire sur ce même blog un texte écrit en décembre 2007 (au moment de mon élection) et où je disais déjà ce que m'apportait la vie associative]

mercredi, juillet 08, 2015

Mascarade...


Ce jeudi 8 juillet, la commission d'enquête « sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession » vient de rendre son rapport. Celui ci est rédigé par le rapporteur Jacques Grosperrin et on peut le lire en ligne sur le site du Sénat sous le titre “Faire revenir la République à l’ École”. J’avais été auditionné par cette commission d’enquête le jeudi 9 avril 2015 et j’en avais rendu compte sur mon blog. Mon intervention (le propos liminaire d’une part et les réponses aux questions des sénateurs d’autre part) sont toujours visibles sur le site du Sénat.

Dans mon premier billet de blog qui rendait compte de cette audition, j’avais dit ma surprise lorsqu’un sénateur assis confortablement dans son fauteuil de velours rouge m’avait dit que j’étais dans un “déni de la réalité” alors que j’enseigne depuis 33 ans et pour l’essentiel dans des lycées de banlieue... J’ai failli me lever et partir à ce moment là et je me dis, avec le recul, que j’aurais du le faire en demandant au Sénateur Grosperrin qui formulait cette incongruité, pourquoi alors, m’avoir invité à venir et m’exprimer, si c’était pour disqualifier alors ma parole ?

Cette commission d’enquête était une mascarade. Et le mot est faible. Il m’en vient de plus grossiers. Le rapport rédigé par le sénateur Grosperrin relève de la malhonnêteté intellectuelle.  D’abord parce que la majeure partie des personnes invitées allait dans le sens où il voulait déjà aller. Et qu’ensuite les conclusions qu’il en tire semblaient déjà écrites avant même ces auditions...

J’étais évidemment méfiant en me rendant à cette convocation. Mais je suis respectueux des institutions de la République et je suis aussi toujours convaincu qu’il faut porter la parole du mouvement que je représente y compris en “milieu hostile”. Car, il ne faut pas être dupe, cette commission d’enquête au titre à rallonge et finalement très explicite était une initiative de l’UMP/ les “Républicains” (les guillemets sont volontaires). La sénatrice Marie-Christine Blandin (Groupe Écologiste), membre de cette commission, le rappelle très clairement dans un communiqué publié sur son blog. Elle explique aussi pourquoi elle a voté contre ce rapport.

Au delà des “valeurs de la République” dont J. Grosperrin considère qu’il faut les inculquer voire les asséner comme un catéchisme à des jeunes a priori suspects, le rapport se transforme vite en une sorte de manifeste pour une école conservatrice et fondée sur les conceptions les plus rétrogrades des apprentissages.

Peut-être l’auteur de ce rapport cherche t-il avec un tel propos à se positionner pour un futur poste de Ministre de l’Éducation dans un nouveau quinquennat sarkozyste qu’il appelle de ses vœux ? On ne sait si cela relève de la conviction ou de l’opportunisme. Car on a connu en effet Jacques Grosperrin plus nuancé et subtil lors de précédents travaux sur l’éducation (notamment lorsqu’il était député et qu’il travaillait sur la formation des enseignants ou le socle commun).


Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être attristé et même scandalisé par le temps et l’argent dépensé par cette honorable institution pour écrire de telles inepties. Il y a de quoi en perdre ses “repères républicains”...!

Philippe Watrelot 
le 8 juillet 2015


Liens complémentaires.

Pour compléter ce billet d'humeur, vous pouvez lire aussi une analyse plus approfondie de ce rapport sur le site Aggiornamento

Toujours sur Aggiornamento, il faut lire le billet de Laurence de Cock qui a été aussi auditionnée : « 
“La vérité, toute la vérité, rien que la vérité” : j’ai prêté serment devant le Sénat»

Curieusement, l'audition de Philippe Meirieu n'a pas été enregistrée sur le site du Sénat. Vous pouvez lire le texte sur le site personnel de Philippe Meirieu.




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