dimanche, janvier 03, 2016

15 mots pour 2015




Avec ces 15 mots je vous propose une rétrospective de l’actualité éducative de l’année 2015. Une année qu’on aimerait pourtant vite oublier...

1. Charlie
Le 7 janvier… On ne peut commencer cette rétrospective sans évoquer cette terrible journée. Même si il y a eu ensuite d’autres journées tout aussi difficiles. Elle fait partie de ces rares moments où tout le monde se rappelle ce qu’il faisait ce jour là, à cette heure là, lorsqu’il ou elle a appris la nouvelle.
Pour ma part, c’était lors d’une réunion du bureau du CRAP-Cahiers Pédagogiques. Et l’horreur a pris un sens particulier car l’une des victimes était Charb qui a, pendant de nombreuses années, proposé un dessin chaque mois dans notre revue. Et on se souvient tous aussi de l’émotion et de la journée du 11 janvier et des manifestations à Paris et ailleurs qui ont suivi ces attentats.
Je suis Charlie”… ce slogan qui a émergé lors de ces journées en a exprimé toute la dimension positive de l’unité face à l’adversité. Mais il a pu être aussi interprété comme une injonction et a conduit certains à dire qu’ils n’étaient pas “Charlie” en réaction. Les médias et les politiques se sont focalisés sur les quelques incidents qui ont émaillé la minute de silence dans certains établissements.
On le sait, il y a souvent dans les médias un effet de lampadaire : on cherche là où il y a de la lumière et on s’intéresse surtout à ce qui dysfonctionne.  Plutôt que de mettre le projecteur sur quelques incidents il aurait fallu nuancer. Et surtout s’interroger et essayer de comprendre les mécanismes qui conduisent un certain nombre d’élèves à ne pas se reconnaitre dans le deuil et surtout pour quelques uns à glorifier des assassins. Il fallait aussi analyser les mécanismes qui conduisent aussi des jeunes, passés par l’École française, à partir pour le “Jihad” et à devenir des meurtriers. Mais la réponse a été surtout sécuritaire. On se souvient d’Ahmed, ce gamin de huit ans convoqué au commissariat de Nice. On se souvient aussi de ce collègue prof de philo à Poitiers, muté d’office sur ordre du Recteur pour “apologie du terrorisme”. La psychose et le repli l’ont emporté sur la générosité et la réflexion sur les valeurs.

2. Valeurs (de la République)
Le jeudi 22 janvier 2015, Najat Vallaud Belkacem, du perron de Matignon, annonçait “Onze mesures pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République”. Ce discours est bien sûr une réaction aux attentats des 7 et 9 janvier. On y trouve aussi bien la volonté très 3ème République de “Renforcer la transmission des valeurs de la République” et de “Rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains” que des mesures plus éducatives et pédagogiques comme la création d’un “parcours citoyen” de l’école primaire à la Terminale ou la nécessité de renforcer le lien avec les parents ou encore la lutte contre le décrochage. Mais la mesure la plus intéressante est la mesure 8 “renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux” qui veut réformer la  carte scolaire. Elle rejoignait des déclarations de Manuel Valls quelques jours plus tôt qui fustigeait avec des mots très forts l’ “apartheid social”. Cette mesure donnera lieu quelques mois plus tard à une expérimentation de réforme de la carte scolaire qui reste bien modeste.
Le discours de la ministre contrebalançait la posture essentiellement  autoritaire du chef de l’État. Mais, ce discours ambivalent n’a pas donné la tonalité et on s’est surtout trouvé confronté à un climat post attentat assez particulier et finalement nocif pour l’éducation. Un climat révélant un rapport à la jeunesse (et en particulier celle des banlieues) assez bizarre voire pervers fait de méfiance, d’intolérance et de refus de l’altérité.
Soucieux de capitaliser sur l’“esprit du 11 janvier” et  se basant sur une idée de ce qu’on croit être l’opinion on a surtout vu un exécutif très préoccupé de ne pas donner une image de laxisme. L’esprit du 11 janvier qui avait été propice à une réflexion riche sur le “vivre ensemble” et la nécessité de redonner du sens à ces valeurs s’est vite dissipé au profit d’une vision essentiellement sécuritaire de la République. La caricature de cette vision on la trouve dans la constitution au Sénat d’une “Commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession” dont les conclusions semblaient déjà tirées avant même la fin des auditions ! Une mascarade que j’ai dénoncée en juillet au moment de la publication du rapport issu des travaux de la commission. Au delà des “valeurs de la République” dont le rapporteur J. Grosperrin considère qu’il faut les inculquer voire les asséner comme un catéchisme à des jeunes a priori suspects, le rapport se transforme vite en une sorte de manifeste pour une école conservatrice et fondée sur les conceptions les plus rétrogrades des apprentissages.

3. Collège
C’est le 11 mars 2015 qu’est présentée en Conseil des Ministres la réforme du Collège. À l’époque, ce projet ne suscite que peu d’échos dans la presse. On y déplore même le  manque d’ambition d’une réforme jugée peu novatrice. Et puis tout s’est emballé... Je tentais une rétrospective de cet emballement dans mon bloc notes du 17 mai.
Si la polémique est vite montée c’est à la fois le résultat d’un rapport de forces syndicales mais aussi d’un emballement médiatique. La négociation syndicale a été marquée par une relative fermeté du Ministère. Le premier acte se situe durant les négociations syndicales qui suivent la présentation du projet de décret à la fin mars. Face à la fermeté du ministère sur des points jugés essentiels, le 31 mars le SNES et d’autres syndicats quittent avec fracas les négociations. Le 10 avril, le Conseil Supérieur de l’Éducation, instance consultative représentant toutes les composantes de l’école et de la société, approuve à une large majorité (51 pour 25 contre) le projet de réforme du Collège. On pourrait croire alors, que l’affaire est réglée et que malgré les protestations habituelles la petite réforme va passer sans heurts. Mais le vote au CSE va agacer encore plus les syndicats enseignants hostiles qui, au regard des dernières élections professionnelles, sont majoritaires dans la profession. Cela a abouti à une escalade verbale et des postures et à un clivage très marqué.
Ensuite parce que certaines catégories d’enseignants (latin, langues,…) ont su mobiliser les personnalités médiatiques et donc aussi une partie de l’opinion. Enfin, le débat politique s’est emparé de ce sujet ainsi que de la réforme des programmes présentée en parallèle par le Conseil Supérieur des Programmes.
Si le débat a aussi vite monté, c’est aussi parce que  cette “petite” réforme pose quand même des questions qui fâchent et appuie là où ça fait mal. En effet, derrière tout cela, on retrouve des conceptions différentes du métier d’enseignement et de la définition de son identité professionnelle. On l’a souvent écrit ici même, pour beaucoup d’enseignants du secondaire, l’identité professionnelle se définit par la discipline d’enseignement. Et cela amène à considérer comme secondaires toutes les autres dimensions du métier d’enseignant : les travaux interdisciplinaires, l’accompagnement et tout ce qui a trait à la vie de la classe. En particulier, l’interdisciplinarité : c’est “pour de faux”.
Cela heurte aussi une conception individualiste du métier d’enseignant. La co-intervention, le travail en équipe ne sont pas des choses aussi fréquentes que cela. Et cela est souvent/quelquefois vécu comme un regard intrusif dans l’intimité de la classe. Une réforme qui tend à “imposer” cela (même si c’est pour 15 à 20% du temps) peut être alors mal ressentie d’autant plus qu’elle se heurte aussi à une culture anti-hiérarchique assez forte qui voit le supérieur comme une menace à sa liberté. Ces caractéristiques sont largement le produit d’une construction et d’un système. Elles sont le produit du mode de recrutement, des concours et de la formation initiale, de la rémunération... Elles sont renforcées par un système qui jusque là a souvent été une structure bureaucratique et infantilisante.
Il faut aussi souligner que le débat ne recoupe pas exactement le clivage droite/gauche. Un bon nombre d’enseignants hostiles à la réforme se déclarent “de gauche”. Même s’ils en viennent sur les forums à trouver des qualités à certains pamphlétaires de droite parce qu’ils s’opposent à la réforme et qu’on trouve aussi de nombreuses prises de position pour une pédagogie très traditionnelle et une défense d’une école élitiste. Mais la réforme est aussi attaquée car on conteste le fait qu’elle permettrait de lutter contre les inégalités. On a donc une confusion des repères et une parole qui se libère, inquiétante dans ses excès et ses implicites. La réforme du collège et des programmes en brassant ces mots piégés d’“idéologie égalitariste” ou de “nivellement par le bas” agit ainsi comme un révélateur des contradictions du monde enseignant et de l’opinion.

4. (pseudo) Intellectuels
Le 30 avril au micro de RTL Najat Vallaud-Belkacem fustigeait les “pseudo-intellectuels […] qui parlent sans avoir regardé le contenu de la réforme”. Que n’avait-elle pas dit là ! On lui a fait payer la facture de cette erreur de communication au centuple…
Au delà de la formule, la suite de l’intervention est pourtant intéressante : “Un phénomène assez curieux est à l'oeuvre: des éditorialistes, des polémistes, des pseudo-intellectuels —car pour moi quand un intellectuel s'exprime sur un sujet, il a la rigueur intellectuelle d'aller vérifier de quoi il parle — s'expriment sans avoir lu le contenu de cette réforme", précisait la ministre. “Ce qui les fait en général commenter des contre-vérités, voire des mensonges absolus” complétait-elle.
Il y a en France 66 millions de “spécialistes” de l’École. Tout le monde médiatique se sent autorisé à donner son avis sur tous les sujets concernant l’École. Il faudrait alors plutôt dire que le statut d’intellectuel (et encore moins celui d’éditorialiste) ne vous confère pas d’expertise dans le domaine de l’Éducation. D’autant plus quand les jugements portés se font sans avoir lu véritablement le projet et sur une idée déjà bien établie de l’École et de son évolution qu’on répète à l’envi. On devrait donc plutôt parler de “pseudo-experts”.
C’est en tout cas  une expression qu’elle va payer cher et qui va exacerber encore plus la mobilisation des faiseurs d’opinion.
Plutôt que ces « polémiques dans la polémique » on aurait préféré que les intellectuels réagissent à cette interview surprenante par sa radicalité et sa franchise de Najat Vallaud-Belkacem pour Le Point le 20 avril 2015 : “Tout le monde est d'accord pour déplorer les faibles résultats et les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu'il s'agit d'offrir à tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle systématiquement de "nivellement par le bas". Alors, oui, ces débats le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité. Ce qui me guide, moi, c'est le souci de démocratisation de la réussite. Je ne me satisfais pas qu'un élève sur quatre ne maîtrise pas les compétences attendues en français à la fin du collège. Je ne me satisfais pas que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance des élèves soit bien plus marquée chez nous que dans la plupart des autres pays de l'OCDE. [...] Ce qui est frappant, c'est que ce débat sérieux et profond - élitisme dynastique versus élitisme républicain qui suppose qu'on rebatte vraiment les cartes en offrant de mêmes chances de réussite à chacun - n'est jamais mené de façon franche, en tombant les masques. Les défenseurs d'un système inégalitaire et de reproduction sociale ne vous le diront jamais frontalement, sans doute parce qu'ils perçoivent ce que leur position peut avoir d'intenable dans un pays amoureux d'égalité. Alors, ils recourent à une stratégie désormais bien rodée : multiplier les contre-vérités pour embrouiller les esprits et faire douter de la réforme. Il suffit de la lire pour dégonfler leurs accusations, mais ils savent pouvoir compter sur le fait que peu prennent malheureusement le temps de le faire.” . Car cette déclaration là, méritait un vrai débat intellectuel !

5. Programmes
Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a été créé par la loi de refondation de juillet 2013. Une instance indépendante voulue par Vincent Peillon au départ pour sortir la fabrication des programmes de l’opacité et de l’intrusion du politique... Sur le deuxième objectif, on peut dire que le politique a été supplanté par le médiatique !
Après bien des vicissitudes, la démission de son premier président et pas mal de retard, le CSP avait remis en début d’année sa copie sur le socle commun. Des principes qui avaient été votés par le Conseil Supérieur de l’Éducation le 12 mars dernier.
La mission du CSP et de son nouveau président Michel Lussault était ensuite d’élaborer des projets de nouveaux programmes des cycles 2, 3 (CM et 6ème) et 4 (5ème, 4ème, 3ème ). Ce projet fut présenté le 13 avril, c’est-à-dire presque en même temps que la réforme du Collège (alors que cela aurait du arriver plus tôt). On a donc eu une séquence où se trouvaient mélangés le projet de réforme du Collège et les projets de programmes. On a eu un petit emballement sur le “jargon” des programmes et en particulier d’EPS mais comme souvent ce sont les programmes d’histoire qui ont été l’objet de toutes les attentions et des critiques des fameux intellectuels médiatiques évoqués plus haut. Abandon de la chronologie, le siècle des Lumières en option et même “enseignement de l’Islam”, on a surtout joué à (se) faire peur avec des rumeurs malveillantes. Chez les enseignants les avis étaient plus mitigés voire favorables. Les projets présentés permettaient une plus grande autonomie des enseignants. Tous les programmes ont donné lieu à une consultation durant le printemps.
 La remise du projet définitif par le président du Conseil Supérieur des Programmes, Michel Lussault, à la Ministre s’est faite le vendredi 18 septembre. Et cette journée s’est transformée en journée du patrimoine !  Elle donnait en effet des gages aux critiques les plus virulentes en communiquant sur le retour de la chronologie, la nécessité du « roman national », le b-a-BA et... la dictée ! (voir plus bas). Ces nouveaux programmes ont été rejetés par le CSE le 8 octobre 2015. Ils ont malgré tout été publiés le 26 novembre.

6. Dictée
"Les élèves feront une dictée chaque jour" C’est ce qu’on a retenu de l’intervention de la Ministre le vendredi 18 septembre lors de la présentation des programmes élaborés par le CSP.
La communication avait pourtant (bien ?) commencé avec une tribune dans Le Monde où la Ministre s’employait à tenir les deux bouts de la corde en évoquant à la fois le retour aux “fondamentaux” mais au service d’un socle commun et de la lutte contre les inégalités en parlant d’une “école de l’exigence” qui est un bon slogan pour contrer ceux qui l’accusent de “laxisme” et de “brader les savoirs”.
Oui, mais voilà, cette tribune était titrée : “Najat Vallaud-Belkacem veut « des dictées quotidiennes à l’école »” . Et les autres interventions médiatiques vont marteler le message sur la dictée alors que la formule “dictée quotidienne” n’est pas présente une seule fois au fil des 375 pages des programmes du CSP. Mais  l’enjeu était pour la Ministre et ses communicants d’allumer un contre-feu en focalisant le débat, les médias et l’opinion sur ce sujet.
Mais si la ministre a fait appel aux mythes scolaires pour calmer l’opinion et les éditorialistes, elle a aussi jeté le trouble chez les enseignants. Qui n’avaient pas besoin de cela...
Cette affaire est en tout cas emblématique du poids pris par la communication dans le débat sur l’éducation.

7. Notes
La fin de l’année 2014 nous avait fait espérer que les grands jurys et autre conférence nationale sur l’évaluation et le redoublement allaient relancer la dynamique de la refondation. Mais en vain.
Le Vendredi 13 février , la conférence nationale sur l’évaluation des élèves , lancée en juin 2014 à l’initiative de Benoit Hamon, débouchait  sur sept recommandations. Dans sa recommandation n°3, le jury proposait de «généraliser l'abandon de la notation chiffrée tout au long des cycles 1, 2 et 3, classe de 6e comprise, et de la remplacer par un autre type de codage reflétant la situation de l'élève». Mais dès cette publication, Najat Vallaud-Belkacem faisait savoir par son entourage qu’elle ne retenait pas cette proposition n°3 et se réservait sur les prochains arbitrages prévus initialement en avril...  
Éclipsés par le débat sur le collège et dans un contexte difficile, les projets concernant l'évaluation (bilans périodiques en primaire, brevet et évaluation du socle en collège) ont été finalement présentés le 30 septembre en conseil des ministres et ensuite devant le CSE. Quelques jours avant, ils commençaient à “fuiter”. Et  c'est le Monde qui y consacrait tout un article avec un titre assez juste : “La fin des notes n’est pas pour demain ”...
On peut dire que le débat sur l’évaluation réduit bêtement à “Pour ou contre les notes” a été sacrifié sur l’autel médiatique devant la crainte d'une accusation de “laxisme”. Dans l'évaluation qui se profile, deux logiques se croisent ou se superposent : l’évaluation traditionnelle par discipline et l’évaluation par compétences découlant du « socle commun ». Le virage de l’évaluation par compétences est bien là, mais l’institution essaie de le gérer en douceur face à une opinion supposée conservatrice. Mais on court le risque de mécontenter tout le monde et de retomber dans les mêmes errements que dans bien des domaines à l'éducation nationale : l'empilement...
On se souvient que dans l'ancien socle on avait la co-existence du brevet avec le livret de compétences et que cela faisait double travail pour les enseignants . Par pusillanimité, on risque de s'acheminer vers un système tout aussi complexe et illisible.

8. Mixité (sociale)
Dans le discours important du 22 janvier, déjà évoqué, Najat Vallaud-Belkacem annonçait donc onze mesures dans le cadre d’une grande mobilisation pour les valeurs de la République. La huitième intitulée “Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux ” déclarait en particulier qu'“une politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges sera mise en place grâce aux nouvelles dispositions législatives et réglementaires.” et annonçait que “ de nouveaux secteurs de recrutement des collèges seront définis pour y regrouper plusieurs établissements là où c’est pertinent.” Et enfin, que “ les directions des services départementaux de l’Éducation nationale mettront en place une procédure d’affectation des élèves permettant de renforcer la mixité sociale des établissements des nouveaux secteurs de recrutement.”. Cette annonce de janvier donnera lieu à une expérimentation de réforme de la carte scolaire lancée en novembre.
La mixité sociale est donc un thème récurrent de l’année face au défi du “vivre ensemble” et des inégalités sociales. Elle est présente dans le débat sur le collège à travers la question des “filières d’excellence”. Sont-elles un moyen de favoriser la mixité sociale des établissements en gardant ou attirant certains élèves ou au contraire une forme détournée de sélection ? On retrouve ce thème aussi dans les travaux du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) présentés en Juin et qui montraient qu’une ségrégation existait non seulement entre établissements mais aussi en leur sein même du fait de la composition des classes. C’est aussi le sujet d’un rapport parlementaire «les politiques en faveur de la mixité sociale dans l’Education nationale», remis par deux députés Yves Durand(PS) et Rudy Salles (UDI) début décembre. Pour les parlementaires, «la mixité sociale est un objectif incertain», et ne peut être «une fin en soi» et surtout pas «l’alpha et l’oméga de la politique scolaire». De telles affirmations posent question et inquiètent.
En revanche, il est utile de bien distinguer la mixité et l'hétérogénéité : on peut avoir de la mixité sociale dans un établissement et pas d'hétérogénéité dans les classes. Dans ce sens, la mixité seule, si elle est indispensable, ne suffit pas. L’enjeu de la lutte contre les inégalités à l’École est aussi dans la pédagogie différenciée au sein de classes hétérogènes.

9.  Laïcité
Chalons sur Saône, Perpignan, Chateaugiron, Caissargues, Sargé-lès-Le Mans, Wissous, Athis-Mons… C’est la liste non exhaustive des villes qui ont annoncé cette année qu’elles supprimaient les repas de substitution (ie sans porc…) dans les cantines de la commune. Cette question est devenue un élément du débat politique avec le soutien de plusieurs responsables de l’opposition à cette mesure qui va, disent-ils, dans le sens de la laïcité.
Cette année a été marquée par la première journée de la laïcité le mercredi 9 décembre, 110 ans après l’adoption de la loi de 1905. Cette journée avait été décidée après les attentats de janvier et annoncée par la ministre lors de son discours sur les valeurs de la République le 22 janvier 2015 . Une journée qui prend un sens encore plus fort après les attentats de novembre. Rappelons aussi que depuis la rentrée 2013, la charte de la laïcité doit être affichée dans tous les établissements scolaires.
La laïcité à l’École mérite d’être réaffirmée et surtout expliquée. Un des raccourcis qui est souvent fait, c'est que la laïcité française n'accepte pas les différences.  Après les attentats de janvier, les enseignants se sont retrouvés en difficulté face à des élèves qui s’étaient construit une mauvaise image de la laïcité, qu’ils voyaient comme un concept s’opposant à la religion. Dans les débats politico-médiatiques, on en a parlé comme d’un catalogue d’interdits, on en a fait le synonyme de la neutralité religieuse, ce qui ne devrait pas être le cas. On est passé “du vivre-ensemble à l’exclusion... ”, comme le résume un article paru dans Le Monde (en mars).
En guise de réponse à tous ceux qui ont une vision fermée de la laïcité, j’ai envie de terminer par une anecdote. Elle se déroule durant la visite de Najat Vallaud Belkacem au collège Matisse, dans le 20e arrondissement parisien à l’occasion de cette journée du 9 décembre.  «C'est quoi la laïcité?» demande la ministre. «Aller à l'école sans avoir honte de sa religion», «ne pas faire de discrimination entre les personnes pour leur religion, leur culture», lui expliquent alors les élèves...

10.  Postes
Éducation : la bataille des « 60 000 » fait rage ” titrait Le Point du 3 septembre . A l’époque cela part d’une intervention et d’un tweet de Jean-Luc Mélenchon le 30 aout. À la tribune de l’université d’été de son parti, il accusait le gouvernement de «mensonge» et «d’enfumage» sur le nombre de postes dans l’Education nationale. Mais la question de savoir si la promesse de création des 60 000 postes faite par François Hollande en 2012 sera tenue est un thème récurrent sur le plan syndical et politique. Et il est vrai que cette annonce emblématique de la campagne est jusqu’à maintenant peu lisible dans les établissements. Ne serait-ce que parce que la moitié des postes créés concerne pour l’instant des enseignants en formation et que les efforts ont concerné surtout le primaire et peu le secondaire.
Le 9 décembre ont été faites les annonces pour la rentrée scolaire 2016 et elles montrent que le maintien de cette promesse est bien un enjeu électoral.  La rentrée serait marquée par la création de 6.639 postes de personnel éducatifs, surtout dans le primaire, la hausse démographique dans le secondaire et l'accompagnement de la réforme du collège, a annoncé le ministère. L'école primaire bénéficiera de 3.835 postes supplémentaires pour 533 élèves de moins, précise le texte (soit 58% des moyens attribués). Cela devrait permettre de rattraper le retard pris dans l’accueil des tout petits et « le plus de maîtres que de classes » Le secondaire, quant à lui, disposera de 2.804 nouveaux postes sur les 4.000 prévus en deux ans pour mettre en place la réforme du collège Encore faudrait-il que cela soit bien repéré par des dotations clairement identifiées pour dissiper enfin complètement les accusations d’une réforme à l’économie. Il faudra aussi tenir compte du “baby boom” de l’an 2000 et de l’arrivée de classes d’âge nombreuses en lycée.
Nul doute que cette question des postes reviendra dans le bilan présidentiel et dans le futur débat électoral qui s’annonce…

11. Syndicats
"Les organisations syndicales SNES-FSU, SNUEP-FSU, SNALC-FGAF, SNFOLC, CGT Educ’action et Sud Éducation expriment leur refus du projet de réforme du collège",  Les organisations syndicales estimaient, dans un communiqué commun du 3 avril que ce projet est “fondé sur l’autonomie des établissements et la multiplication des hiérarchies intermédiaires sous l’autorité du chef d’établissement” et que “la mise en œuvre institutionnaliserait le principe de mise en concurrence entre les disciplines, entre les enseignants et entre les établissements”.
Cette coalition hétéroclite n’est pas totalement inédite. On a l'impression de revivre le scénario du "front syndical du refus" pendant la période Savary, avec les mêmes organisations (ou leurs ancêtres) ou encore l’appel commun à manifester au moment du ministère Allègre en 1999.
Cette coalition s’est exprimée à l’occasion de plusieurs moments. Une grève le Mardi 19 mai, une “mobilisation” (sans grève) le 4 juin, une deuxième grève le jeudi 11 juin et une troisième le jeudi 17 septembre et une manifestation nationale le samedi 10 octobre.  Des grèves et manifestations avec des succès variables. Le défilé parisien du 10 octobre a été présentée comme un “succès” par ses organisateurs avec un chiffre annoncé de 15 000 manifestants.
Boycott ou présence passive dans les formations,  appel à détourner le système,… depuis ces mouvements sociaux les formes prises par l’action syndicale ont évolué alors que les premières formations ont été proposées à la Toussaint. Ces appels aux boycotts nous questionnent sur la manière de vivre le statut de fonctionnaire et sur la force d’inertie du système. Les exemples sont nombreux de dispositifs dans l’éducation nationale qui ont été détournés. Comment dépasser ce sentiment qu’ont certains enseignants d’être imperméables à toute réforme ? Quand la liberté pédagogique permet d'inventer et de créer collectivement, c'est un formidable levier. Mais lorsqu'elle devient un refuge pour vivre son métier sur un mode strictement individuel et refuser le moindre changement vu comme des “injonctions", c'est un dévoiement...
Au delà des déclarations tonitruantes et des excès sur les réseaux sociaux, quelle est l’opinion réelle dans les salles des profs ? Voilà une des questions qui reste en suspens et qui sera la grande affaire de cette deuxième partie de l’année scolaire à mesure que l’on entrera dans le dur de la préparation de la rentrée. Il faut dire que l’action syndicale prend corps sur un mécontentement des enseignants confrontés à un gel de leurs salaires  (comme tous les fonctionnaires) et renforcé par un fort sentiment de déclassement peu propice à l’innovation et au changement. Ce sera un des éléments clés, on peut le prédire, de la période pré-électorale qui vient...

12. Attentats
Et puis, il y a eu l’horreur du Vendredi 13 novembre. Pour la deuxième fois dans l’année, les enseignants ont eu à faire face à leurs élèves pour partager l’émotion et tenter de donner quelques clés pour comprendre l’intolérable. Dans la sidération, l’accablement, la douleur, les enseignants ont au cours de ce week-end très particulier préparé individuellement ou collectivement la journée de lundi, et cherché comment accueillir les élèves, dialoguer, les rassurer tant bien que mal et  répondre à leurs questions. On a pu lire sur leurs blogs, les réseaux sociaux ou dans la presse, les témoignages de ces enseignants, émus et fiers à la fois qui disaient ce qu’ils ont tenté de faire avec leurs élèves et combien les réactions de ceux ci les ont émus et impressionnés.
Dans cette période, les instructions données par le Ministère ont été beaucoup plus subtiles et semblaient tirer les leçons de janvier. Dans sa lettre, la ministre rappelait la nécessité de ne pas “plaquer” une minute de silence sans un travail préalable et un nécessaire moment d’expression et de dialogue. On invitait même à relativiser d'éventuelles provocations. Il faut quand même signaler que malgré ces précautions ministérielles, les instructions au niveau des rectorats et dans les établissements n’ont pas toujours eu la même tonalité...
Si des dérapages ont eu lieu, c’est plutôt à l’assemblée le mardi 17 novembre lors des questions au Gouvernement où les députés ne se sont pas bien tenus. En revanche, on peut saluer l’engagement des enseignants dans ce moment difficile.  Cela montre aussi qu’avant de “transmettre” et d’apprendre, il est nécessaire de rassurer et de créer la sécurité nécessaire aux apprentissages.
Depuis ces attentats, nous sommes en état d’urgence et cela a un impact sur tous les aspects de la vie et notamment le fonctionnement des écoles. Le climat d’insécurité a pu être aussi alimenté par les menaces proférées dans Dar Al Islam, le magazine francophone de l’EI (en ligne...). Le magazine intime aux parents musulmans l’ordre de retirer leurs enfants des écoles françaises... voire de tuer les professeurs y enseignant la laïcité. Ne pas céder à la psychose et poursuivre le travail…

13. Élections
Les élections départementales françaises de 2015 ont eu lieu les 22 et 29 mars 2015. Déjà, à cette occasion, on a pu constater l’importance de l’abstention et le poids du Front National. Et on mettait en relation le niveau de diplôme et le vote FN.
Mais c’est surtout le premier tour des élections régionales de Décembre qui a suscité de nombreux commentaires et analyses qui  ont pu interpeller les enseignants.
En particulier, un sondage publié dès le lundi matin montrait que les jeunes entre 18 et 30 ans avaient voté à 34 % pour le Front national au premier tour. Mais chez les 18-30 ans, 64 % des inscrits n’étaient pas allés voter au 1er tour soit 14 points de plus que la moyenne nationale. Une autre étude Ipsos/Sopra Steria sur la sociologie des électeurs montre l'attractivité du Front national chez les jeunes. C'est le premier parti choisi par ceux qui veulent s'engager en politique dans cette tranche d'âge...
En France, nous ne sommes jamais loin d’une élection... Et la prochaine qui s’annonce, outre la (ou les) primaire(s), c’est l’élection présidentielle. On a déjà vu plusieurs ténors de l’opposition se positionner au cours de l’année sur les sujets liés à l’École. Alain Juppé a sorti un livre, Bruno Lemaire a été très présent dans le débat sur le Collège, Nicolas Sarkozy a évoqué ce thème à plusieurs reprises.
Du côté de la majorité, on se souvient que François Hollande avait fait de la cause des jeunes et de la refondation de l’École un axe majeur de la campagne. L’année qui vient sonne comme un compte à rebours comme le dit un article du Monde paru le 1er janvier 2016. Il faut à la fois mettre sur les rails la réforme du collège (cette urgence est la raison de sa mise en œuvre simultanée sur les quatre niveaux), préparer la dernière rentrée du quinquennat et remplir la promesse des 60 000 postes et mettre en avant les promesses réalisées même si elles sont imparfaites (formation des enseignants, priorité au primaire, lutte contre le décrochage, …)
Mais on voit bien qu’il y a aussi des renoncements et des abandons. La réforme de l’évaluation et des examens est inachevée et bien décevante, la revalorisation des enseignants du primaire n’est pas à la hauteur et se fait attendre. La réforme du lycée est passée aux oubliettes. Et on attend toujours une vraie réflexion sur l’autonomie des établissements et des équipes et une réforme de l’évaluation des enseignants.
Nul doute qu’une rétrospective de l’année 2016 publiée dans un an, proposera bien plus qu’une analyse annuelle mais déjà un bilan du quinquennat. Mais avant même ce bilan, une question reste majeure : comment concilier le temps de l’École qui est forcément un temps long et celui du politique rythmé par des échéances électorales et trop souvent une navigation à courte vue et dictée par des impératifs de communication?

14. Départ
Il y aurait eu bien d’autres mots pour symboliser cette année riche en évènements : calendrier scolaire, lecture, réforme, refondation, conservatisme, économie, … Qu’on me pardonne cette incise personnelle et biographique dans cette rétrospective à portée générale mais j’ai envie de presque terminer l’évocation de cette année 2015 par le mot “Départ”. Le 19 octobre dernier, à l’occasion de l’assemblée générale annuelle du Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques (CRAP), l’association éditrice de la revue Cahiers Pédagogiques, je quittais mes fonctions de président. Après huit ans soit deux mandats (et plusieurs années auparavant comme secrétaire général), j’ai souhaité passer la main. Je l’ai écrit à plusieurs reprises, ce qui fait la force d’une association, et d’un collectif quel qu’il soit, c’est sa capacité à survivre aux individus qui la composent. Et je sais bien que les Cahiers Pédagogiques, qui ont déjà une longue histoire, sauront poursuivre leur développement et continuer à donner à penser et à agir à tous ceux qui veulent faire évoluer l’École et leurs pratiques.
Pour ma part, le retrait logique et normal de la présidence de l’association ne fait pas de moi un retraité du militantisme même si je serai probablement un peu moins présent dans les médias. Je continuerai à participer aux travaux du CRAP-Cahiers Pédagogiques et à alimenter mon blog. Tout comme je poursuivrai ma “veille” sur l’actualité de l’éducation à destination de ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter). Et je continuerai à contribuer au débat d’autant plus que celui-ci est toujours vif et a de quoi inquiéter...

15. “Pédagogistes”
Je suis en effet inquiet pour ma part d’une parole qui s’est libérée dans les réseaux sociaux (et dans les salles des profs ?) et qui devient de plus en plus agressive et intolérante à l’égard de ceux qu’on n’hésite plus à qualifier du terme péjoratif de “pédagogistes”. Même si j’ai appris au cours de toutes mes années militantes à distinguer le discours des enseignants de leurs pratiques réelles, je ne peux que m’inquiéter des valeurs véhiculées par certains de mes collègues. Les méthodes actives, la démarche de projet, l'idée même que les élèves puissent être acteurs dans la construction du savoir tout cela est nié aujourd'hui dans les déclarations qu'on peut lire non seulement sur Twitter mais aussi sur des textes plus longs et plus structurés. C'est le retour des “fondamentaux”, de la défense du cours magistral, d'une pédagogie très linéaire et de la répétition comme principal moyen d'apprendre. Et cela n'est pas réservé à quelques “conservateurs” classiques mais se retrouve exprimé dans tout le spectre syndical.
Or, ce qu’on dit de la pédagogie ne correspond à rien de ce que je connais. On a l’impression que pour certains, il est plus facile de combattre quand on s’invente ses ennemis... Plutôt que de construire un épouvantail que serait la caricature du “pédagogiste”, il serait bon que l’opinion publique et tous nos intellectuels s’intéressent vraiment aux finalités de l’École et à la lutte contre les inégalités. Le débat sur l’École mérite mieux que cela. Et j’ai bien l’intention de prendre ma part dans ce débat !
On ne peut que souhaiter que cette hystérie collective qui s’est exprimée autour de la réforme du collège et des programmes se dégonflera au cours de l’année qui vient pour qu’on puisse vraiment travailler, loin des caricatures et des anathèmes, à construire une École plus juste et plus efficace. Soyons collectivement à la hauteur des enjeux !
Bonne année 2016 ?  

Philippe Watrelot


Rétroviseur...
On peut relire la rétrospective 2014 à cette adresse… et le bilan de l'année 2013 ici...



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