dimanche, mai 29, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 mai 2016




– Question qui pue – ESPÉ – Manuels – Collier de nouilles – Droit de suite – .


Le bloc notes de cette semaine commence par une question qui pue... C’est celle posée Mercredi 25 mai par Annie Genevard députée LR à l’Assemblée Nationale sur l’enseignement de l’arabe qui a entrainé une réponse ferme de la Ministre. Nous reviendrons sur cette polémique. Nous nous intéresserons aussi aux annonces concernant la formation des enseignants, ainsi qu’aux tentatives de polémiques sur les manuels. Et nous n’oublierons pas que c’est la fête des mères avec cette question cruciale : le collier de nouilles est-il au programme ?


Question qui pue
Mercredi 25 mai, lors des questions au Gouvernement, la députée Annie Génevard (LR) interpelle la Ministre de l’Éducation Nationale. Elle lui reproche d'ajouter l'apprentissage de l'arabe dans les programmes scolaires, au même titre que l'espagnol ou l'allemand. “Ne croyez vous pas que l'introduction des langues communautaires, dans les programmes scolaires, encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ?”. Elle poursuit en comparant l’introduction de la langue arabe avec la réduction de la place du français et des langues anciennes “qui sont nos racines” dans la réforme du collège. Elle reçoit une réponse cinglante de Najat Vallaud Belkacem. “Madame la députée, je vous dois des remerciements pour cette question, par laquelle vous avez démontré, je crois, à une grande partie de nos concitoyens et j'espère qu'ils nous écoutent, la conception que vous vous faites notamment de la langue arabe”. Et elle s’écrie "La langue arabe qui, pour vous, est donc en concurrence avec l'allemand par exemple et doit, bien entendu, si je vous suis, être moins bien traitée et considérée comme une langue communautaire ?!! Nous ne serons jamais d'accord Madame la députée !”.
Ce qui est en cause dans cet échange c’est un dispositif né dans les années 70 baptisé ELCO (Enseignements de langue et de culture d’origine) dont le but était de permettre aux enfants d’immigrés de maintenir un lien avec leurs pays d’origine, en vue de faciliter leur éventuel retour… Ces ELCO étaient assurés hors des établissements et avec des maîtres en provenance des pays partenaires. Et cela donnait lieu à des dérives communautaristes et religieuses. Ce dispositif va être supprimé et ces enseignants vont donc être intégrés dans les sections internationales de l’ensemble des écoles françaises. Un changement important qui se reflétera dans la sémantique de l’Education nationale. L’arabe, le croate ou le serbe ne seront en effet plus considérés comme des langues « d’origines », comme à l’époque des vagues d’immigration des trente glorieuses, mais comme des langues «étrangères » intégrées dans le programme national. “L’apprentissage de l’arabe, du turc ou du portugais doit se faire dans un cadre scolaire, banalisé, normalisé, comme toutes les autres langues” a expliqué Najat Vallaud-Belkacem. Car ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.
Plusieurs articles reviennent sur cet échange très vif et reprécisent les conditions de l’enseignement de cette langue. On peut citer surtout l’article des “décodeurs” sur le site du journal Le Monde ou celui de L’Express . Elle a donné lieu aussi à une tribune dans le Monde où les deux auteurs affirment qu’ “Il est temps de ramener l’enseignement de l’arabe à l’école de la République
Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog revient lui aussi sur les “provocations pyromanes” de la députée. Et il s’interroge : “On se demande toujours, à lire ou entendre certaines déclarations s’il faut faire l’hypothèse de la bêtise ou celle de la méchanceté, de l’incompétence ou de la démagogie politicienne.” avant de s’indigner qu’on puisse réduire une langue à une dimension communautaire et nier le caractère culturel (et aussi économique) de son enseignement. Il nous rappelle aussi “que cette dame a fait partie du conseil supérieur des programmes. A ma connaissance, et pour en avoir discuté avec des membres du CSP, elle n’a pas manifesté, pendant longtemps, de vraies divergences et beaucoup de textes, dont le socle, ont été adoptés par consensus. Et puis elle s’est mise peu à peu à dénigrer ce travail au moment de la réforme du collège, a fait son choix de « posture » et a démissionné avec une argumentation spécieuse de son poste. Depuis, elle est devenue une porte-parole pure et dure (surtout dure) de la Droite sur l’éducation, loin de la modération équilibrée de quelques-uns ou du livre de Alain Juppé. Mais cette sortie-là est particulièrement honteuse et absurde...”.
La Ministre revient elle aussi dans une tribune au JDD parue Dimanche sur cette interpellation : “J’aurais aimé pouvoir attribuer cette sortie à la seule inculture de son auteure, ou encore à son intention tristement banale de lancer une énième polémique sur l’éducation en caricaturant les réformes que je mène pour refonder une école de la République à la hauteur des enjeux éducatifs de notre temps. Malheureusement, je dois plutôt dénoncer une pensée identitaire qui prône l’exclusion et le repli sur soi d’une virulence inouïe, un combat populiste et démagogique qui instrumentalise l’école de la République à des fins idéologiques inavouées, qu’il ne faut pourtant pas hésiter à qualifier de ce qu’elles sont : profondément xénophobes et opposées à la longue tradition républicaine qui a fait de la France le beau et grand pays qui est le nôtre.
Cette question sent en effet très mauvais et montre bien que les frontières sont loin d’être étanches entre la droite traditionnelle et une pensée extrême et identitaire. La réponse de la Ministre est tout à fait juste et ferme. Cela n’empêche pas les qualificatifs tendancieux dans certains journaux à propos de sa réponse. On peut lire qu’elle “s’énerve”, qu’elle répond “vertement”. Je ne suis pas sûr que les même qualificatifs auraient été employés à propos d’un homme. D’autant plus que cela vient après la séance du 11 mai où en réaction à sa réponse à une question (provocatrice) d’un député LR, ceux ci étaient sortis de l’hémicycle. Et là aussi les qualificatifs choisis ainsi que les photos étaient très discutables. Une femme politique tout comme un homme politique peut avoir un échange vif et ferme sans que ce soit lu comme une perte de nerfs et qu’on retombe dans les stéréotypes sexistes.

ESPÉ
Mardi 24 mai, était organisée une journée au lycée Louis Le Grand à Paris, une journée de de travail et d'échanges avec les acteurs de la formation initiale et continue des enseignants. En d’autres termes, il s’agissait de faire un bilan d’étape de la mise en œuvre des ESPÉ. Pour ne rien vous cacher, j’animais cette journée...
Je ne vais pas en faire un compte rendu détaillé d’autant plus que ma position n’était pas la meilleure pour le faire. On évoquera surtout les annonces faites en fin de journée par la Ministre dans son discours de clôture. :
- sur la gouvernance, rendre obligatoire la production d'un document formalisant le partenariat et avec des engagements pluri-annuels.
- sur le continuum de formation, la ministre souhaite que les universités développent des parcours de formation permettant une approche du métier dès le L2 (pré-professionnalisation)
- elle souhaite aussi voir se développer le modèle de la formation alternée dès le M1 dans les mentions 1er et 2nd degré avec "sécurisation des parcours via un concours spécifique de recrutement”
- sur la diversité des publics, que l'ensemble des partenaires, en lien avec pôle emploi et les régions, se mobilise pour organiser une offre de reconversion pour secondes carrières incluant reconnaissance des acquis et de l'expérience
- pour les formations à faibles effectifs, en particulier dans la voie professionnelle, des formations en réseau seront organisées à partir de pôles spécialisés.
- développer une offre de formation à destination des vacataires et contractuels, pour offrir des perspectives d'évolution de carrière
- faire des deux premières années de titularisation, (T1 et T2) des années d'accompagnement spécifique qui permettent de consolider et de compléter les acquis de la formation. Pour cela, à la fin du T2, un bilan professionnel permettra d'inscrire le professionnel confirmé dans une démarche de formation continue tout au long de la vie.
Dans ce catalogue de mesures, c’est surtout l’annonce d’une formation alternée dès le M1 qui a retenu l’attention. Cette mesure va être développée d’abord dans quelques académies dont celle de Créteil . A côté de la formation classique, une nouvelle formation, en alternance, offrira aux étudiants se préparant au concours et au métier de professeur des écoles la possibilité de valider un Master 1 tout en exerçant le métier de professeur des écoles à tiers temps (soit 12 semaines de stage en responsabilité sur l’année), dans le département de recrutement. Les étudiants seront rémunérés mensuellement au SMIC.
On voit s’amorcer un début de polémique à propos de cette mesure. Certains y voient surtout un moyen de gérer la pénurie d’enseignants et le risque d’une formation au rabais. D’autres y voient plutôt un moyen d’avoir une réelle formation en alternance bien plus tôt dans le parcours. On peut aussi souligner que c’est un premier coup de canif dans les concours et une amorce de remise en cause du compromis bancal qui avait été trouvé en 2013 en plaçant le concours en fin de M1. À terme, on peut d’ailleurs se demander si dans un contexte de pénurie s’il est toujours utile de doubler les exigences avec à la fois un concours et une sélection en Master.

Manuels
trouve la rime en "ul"...
Le Figaro a consacré tout un dossier aux manuels scolaires. Comme souvent, les journalistes s’appuient sur ce qu’ils croient être l’opinion enseignante en allant voir du côté de Twitter. Il y a d’ailleurs un article entier intitulé Dans les nouveaux livres scolaires, les couacs traqués par les profs-internautes . Et il est vrai que certains opposants s’en sont donné à cœur joie en s’“indignant” (l’excès fait partie de la posture) de telle erreur ou de tel exercice inapproprié. Le Figaro tout acquis à cette cause, semble même découvrir que les nouveaux manuels “tutoient les élèves. Alors que ça doit faire vingt ans que c’est le cas... On y déplore aussi que l’on y développe “la pédagogie au détriment de l'exposé ”. On trouve aussi dans les critiques une revendication paradoxale puisque certains souhaitent que les manuels soient “approuvés” ou labellisés par l’éducation nationale. Paradoxale, car ce sont les mêmes qui mettent en avant (et à toutes les sauces) la “liberté pédagogique” qui revendiquent ce contrôle sur des produits élaborés et fabriqués par des entreprises privées.
Il y a toujours eu une difficulté avec les manuels scolaires dans le débat sur l’École. À travers eux, ce sont souvent les programmes qui sont visés. Alors que les manuels ne sont qu’une interprétation de ces programmes et qu’ils ne disent rien des usages qu’en font les enseignants qui vont évidemment “bricoler” à partir de ces ressources. On peut aussi souligner, comme le fait d’ailleurs Le Figaro que les conditions de production de ces manuels ont été particulièrement tendues avec des délais très courts pour changer tous les manuels du primaire et du collège. Je n’aurais pas aimé être auteur de manuels ! Et comme je l’ai été, je sais que même avec la meilleure volonté du monde et de nombreuses relectures, le “zéro défaut” n’existe pas. Mais l’indulgence n’est pas la vertu la mieux partagée en ce moment.
11 millions de livres devraient être imprimés cet été pour les collégiens et plusieurs millions également pour les écoliers. Et il est vrai que le changement des manuels, qui est à la charge des collectivités territoriales (communes et départements) va être une dépense importante. On peut faire deux remarques à ce propos. D’abord, on peut se demander si les actuels manuels ne peuvent pas être en partie réutilisés. On peut faire confiance aux enseignants pour faire ce qu’ils ont toujours fait, c’est-à-dire adapter ces outils à leurs besoins. Ensuite, on peut constater que le manuel est encore vu surtout sous sa forme “papier”. Malgré les efforts pour développer le numérique, on est encore loin chez les éditeurs et chez les décideurs locaux d’envisager des manuels dans des supports numériques qui pourraient pourtant offrir l’avantage d’être actualisables et peut-être même moins couteux...

Collier de nouilles
Bonne fête Maman ! Le dernier dimanche de mai c’est la fête des mères. Et plusieurs journaux se sont intéressés à ce sujet sous l’angle de l’école.
Ouest France ou L’Express nous apprennent qu’une école de Prignac-et-Marcamps en Gironde a choisi de faire "la fête de ceux que l'on aime" plutôt que la traditionnelle fête des mères. La décision a été prise pour les enfants qui sont dans des « situations familiales délicates ». L'idée sera aussi valable pour ceux vivant dans des schémas non traditionnels. Chaque élève a ainsi confectionné en classe deux cadeaux, qu'il pourra remettre aux personnes de son choix.
Cette information a suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux et a été reprise par de beaucoup de sites d’information. Pourtant, il semble bien que cette position ne soit pas une première. D’autres écoles ont déjà pratiqué ainsi auparavant et pratiquent de même cette année. Mais ce sont les mystères du buzz et de la pousse des marronniers ... !
En tout cas, cette histoire de cadeau de fête des mères ne va pas de soi pour bien des enseignants. Il y a en fait deux questions en une. Faut-il fêter la fête des mères, compte-tenu de l’évolution des modèles familiaux ? Est-ce à l’École de se charger de la confection de cadeaux pour cette “tradition” (dont certains rappellent l’origine pétaniste) ? Sur son blog Lucien Marboeuf traite avec beaucoup de finesse de ces deux questions en donnant la parole à de nombreux collègues qui se sont exprimés sur son mur Facebook. Les positions semblent assez tranchées. Le collier de nouilles est-il au programme ? La réponse est évidemment non. Mais on peut aussi voir ce petit projet comme une des formes de la relation avec les familles (au sens large). Cela peut donc renforcer le lien Famille-École. Et la dimension affective et émotionnelle est aussi un élément important de la construction de l’enfant qu’il faut savoir gérer et intégrer au delà des théories et des principes.
On peut aussi se demander si la résurgence de ce débat cette année ne doit pas être aussi interprétée comme l’expression d’une forme de nostalgie d’une société perdue... Mais je m’égare... Et quoi qu’il en soit : Bonne fête Maman !

Droit de suite...
Revenons pour terminer sur plusieurs évènements que nous avons évoqué dans les semaines précédentes.

On apprend dans Libération comme dans d’autres journaux, qu’après un début de mobilisation, la région Auvergne-Rhône-Alpes (et son président Laurent Wauquiez) est revenue sur son souhait de réduire de 40 000 euros les subventions à ce lieu de mémoire de la Shoah. “Les 20 000 euros présentés comme une baisse de subvention seront maintenus à la Maison d’Izieu, mais serviront à des actions de mémoire”, assure l’exécutif local.

En avril, en Suisse, une affaire avait fait polémique quand deux écoliers musulmans avaient refusé de serrer la main de leur enseignante pour des questions religieuses. [Notez qu'en Suisse, il est de tradition de serrer la main des enseignants en arrivant en classe]Selon une analyse juridique réalisée à la demande du département, les écoles du canton de Bâle peuvent exiger la poignée de main malgré la liberté de religion. L'intérêt public concernant l'égalité entre femmes et hommes aussi bien que l'intégration de personnes étrangères l'emportent «largement» sur la liberté de croyance des élèves. En cas de refus les parents ou les responsables légaux risquent un avertissement, voire une amende pouvant aller jusqu'à 5000 francs nous apprend le journal suisse 24 heures.

Françoise Cahen revient, sur son blog , sur la quinzaine de jours qu'elle a vécu à 200 à l'heure avec sa pétition pour la place des femmes au bac L... Je lui dédie, à elle ainsi qu’à tous les militants cette citation qu’on attribue souvent au Dalaï Lama mais qui est aussi un proverbe africain. “Si vous avez l'impression que vous êtes trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique. Et vous verrez qui empêche l’autre de dormir
Joliment peint, encadré par des pinces à linges, ça ferait un beau cadeau de fête des mères...Non ?

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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2 commentaires:

Haliimyn a dit…

Bonjour,

"...le changement des manuels, qui est à la charge des collectivités territoriales (communes et départements)..."

Pour le premier degré, je ne sais pas. Mais pour les collèges (où on ne change "que" français, hist-géo, maths tous niveaux et LV2 en 5e + Sciences/techno en 6e), ce sont à ma connaissance des crédits d’État, lesquels ont d'ailleurs déjà été délégués aux établissements.

Bonne journée.

Watrelot a dit…

Merci de cette précision !

 
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