samedi, juillet 16, 2016

Conseils de (vieux) prof...



Ne soyons pas trop généreux de conseils ; gardons-en pour nous-mêmes.” John Locke

Il y a toujours beaucoup de prétention à s’ériger en donneur de conseils. D’abord parce que le “conseilleur” n’est pas forcément lui même un modèle ni un exemple et peut avoir du mal quelquefois à appliquer ses propres conseils... Et puis ensuite parce qu’il n’y a pas une seule manière de faire et que toutes les situations sont particulières. Même s’il y a quand même des invariants, il faut que chacun puisse trouver son style.
Donc, mon premier conseil : méfiez vous des conseils ! (y compris des miens, mais que ça ne vous empêche pas de poursuivre votre lecture...!)


Tout ne se joue pas lors de la première heure ! Il faut prendre du recul face à toutes ces généralités dites souvent sur un ton péremptoire “Ne pas sourire avant Noël”, “ne pas leur tourner le dos” et autres fadaises. Non, tout ne se joue pas dès la première heure de cours. Vous risquez même d’être surpris par les quinze premiers jours qui vont souvent se passer dans une sorte d’état de grâce. C’est ensuite que les élèves vont vous tester et qu’il va falloir faire attention et tenir bon sur un certain nombre de principes. Mais, même là, tout ne se joue pas définitivement. On peut se rattraper même si on a mal commencé.


(je n'ai pas le téléphone de la 3ème fée...)
L’autorité ça s’apprend et ça se construit : une autre fausse évidence souvent entendue est celle sur l’ “autorité naturelle”. Et c’est souvent une angoisse chez les enseignants (et pas seulement débutants...) : vais-je me faire respecter ? Vais-je y arriver avec cette classe ? Il ne suffit pas de maîtriser les savoirs savants et scolaires pour être un bon enseignant. Il faut aussi avoir réfléchi à son rôle et aux questions d’autorité. L’autorité se construit au quotidien et tout au long de sa carrière. Et elle se construit aussi collectivement : quand il y a une cohérence au niveau de l’équipe et de l’établissement, que le climat scolaire est propice aux apprentissages, l’autorité est alors partagée et multipliée...


Dire ce que l’on va faire, faire ce que l’on a dit :  ce qui importe pour un enseignant (et au final pour tout adulte) c’est d’être cohérent et prévisible. C’est pourquoi il faut toujours annoncer clairement les règles que l’on va suivre et s’y tenir. C’est une question de clarté du fonctionnement et de respect vis à vis des élèves. Et c'est ainsi d'ailleurs que se construit l'autorité.
Cela veut dire aussi qu’il ne faut pas annoncer et promettre des choses qu’on ne peut pas tenir. C’est donc pour cela que, s’il est souhaitable que ces règles et ces valeurs soient formulées explicitement, il peut être dangereux de s’enfermer dans un ensemble de contraintes trop important comme des « règlements de classe » interminables. La cohérence, elle se voit surtout dans les actes et dans les valeurs qui les sous-tendent.


Donner des repères va dans le même sens. Annoncer le plan du cours et/ou les objectifs, donner le temps pour chaque tâche, matérialiser par des rituels l’entrée dans l’espace particulier qu’est la classe sont des moyens de sécuriser l’élève. Une des fonctions majeures de l’enseignant c’est d’être garant du “cadre” et donc de rappeler les limites afin de garantir à chacun (y compris contre soi même) qu'il puisse bien y avoir la possibilité d'apprendre.


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Enseigner est d’abord une relation (mais pas seulement)  : ce n’est évidemment pas que cela, mais si on ne crée pas d’abord le contact il ne peut pas y avoir transmission des connaissances… Il y a donc une dimension  affective et interpersonnelle essentielle dans l’acte d’enseignement. Qu’on s’en défende ou qu’on l’assume, notre métier ressemble aussi à celui d’un animateur au contact d’enfants : il faut gérer l’affectif, négocier... Mais être enseignant c’est aussi et surtout une question de savoirs et savoir-faire à apprendre aux élèves. Et pour cela mieux vaut avoir une certaine passion et transmettre la saveur des savoirs. Le risque est double : oublier les savoirs et ne plus être que dans le relationnel et à l’inverse être un savant qui oublie d’établir le contact et de se mettre à la portée des élèves.


En cas de conflit, décalez et dépersonnalisez : lorsqu’il y a de la tension, on perd (souvent) la raison. Réagir à chaud n’est pas forcément une bonne solution d’autant plus lorsqu’on court le risque de l’engrenage devant le reste de la classe. Il peut alors être utile de retarder et de décaler la confrontation en proposant par exemple d’en reparler à froid par exemple à la fin de la classe. Dépersonnaliser est un des grands principes du droit. Il faut distinguer l’acte et la personne. Celle ci a commis un acte qui n’est pas acceptable et c’est cela qui est l’objet du conflit et d’une forme de jugement. Mais (et c’est aussi un moyen de préserver l’estime de soi) celui qui commis cela n’est pas réductible à ce seul acte. Concrètement cela signifie dire à l’élève : “tu vaux mieux que l’acte que tu as commis ou les paroles que tu as dites


De la mesure en toute chose... : en cas “d’indiscipline” (bavardage, intervention intempestive, « insolence », …),  il faut graduer la riposte et ne pas monter tout de suite sur ses grands chevaux.  Il faut aussi quelquefois être (un peu) sourd et aveugle et savoir décider de ce que l’on relève et de ce qu’on ne relève pas
Il n’est pas nécessaire non plus de hausser le ton de la voix et encore moins de crier : l’énervement est interactif.


Ne pas confondre la classe et les individus : une classe c’est plus que l’addition de 30 ou 35 individualités. Elle a une personnalité qui lui est propre et des fonctionnements qui sont spécifiques. Il est utile de les connaître et de comprendre comment fonctionne un groupe.
Mais il ne faut pas tomber dans l’illusion d’optique inverse : se dire que “la” classe a compris à partir de quelques réponses qui vous font croire que, collectivement, les notions ont été assimilées. Sauf que  ce n’est pas “la” classe qui apprend mais une collection d’individus qui ne sont pas semblables, qui ont des profils d’apprentissages différents. Il faut donc se donner les moyens de vérifier les apprentissages individuels et ne pas se fier à une réaction en apparence collective.  


Permettre que l’individu profite du groupe et que chaque individu trouve sa place  dans le groupe : Même si la classe existe en tant que telle, elle ne doit donc pas faire oublier les individus qui la composent. Il faut trouver des dispositifs qui permettent à chacun d’évoluer à son rythme et de trouver sa place et d’apprendre de manière personnalisée. La coopération et l’entraide sont aussi des valeurs qui peuvent permettre au groupe d’exister au delà de la relation frontale prof/ classe.


L’ennui naît de l’uniformité : Certes, on a tous en mémoire de rares enseignants qui parvenaient à nous captiver par leur parole. Mais, on se souvient aussi de longs monologues où l’attention décroche assez vite. Ménager des pauses, varier les activités, sont aujourd’hui des règles d’or de la construction d’une séance de cours. Faire la classe, c’est donc aussi proposer des dispositifs et des supports variés pour combattre un éventuel ennui des élèves et offrir aussi par ce biais des opportunités différentes d’apprendre. 
Cette nécessité du rythme et de la variété des dispositifs permet la prise en compte de la diversité des profils d’apprentissage des élèves. On apprend pas tous de la même manière et il faut que le cours en tienne compte. 
Mais toutes les techniques et tous les dispositifs ne se valent pas. Ils doivent être aussi évalués sous l’angle des valeurs que l’on veut privilégier dans la classe.


Plus je parle, moins ils travaillent ; Cette formule est le titre d’un article de Raoul Pantanella dans les Cahiers Pédagogiques en 2002. Notre ami nous rappelle que si l’on veut faire apprendre les élèves, il est utile voire indispensable de les mettre en activité. On apprend mieux lorsqu’on est actif et acteur plutôt que lorsqu’on est spectateur du cours.
Si le cours magistral peut avoir son utilité (surtout pour l’ego du prof...), il ne peut être qu’une dimension du cours. On est bien plus efficace lorsque on est dans le côte à côte que dans le face à face...


L’expert ne doit pas oublier qu’il est un ex-pair : l’enseignant a un devoir d’empathie et doit être capable, pour comprendre les erreurs (et pas les “fautes”…) de ses élèves de comprendre ce qui peut les provoquer. Rien de pire qu’un enseignant « qui ne peut pas comprendre qu’on ne peut pas comprendre ». (Bachelard).
Le problème, si l’on peut dire, c’est que bien souvent, l’enseignant est un ex bon élève… Alors qu’il est utile pour exercer ce métier de se rappeler les expériences  où l’on a été soi-même en situation d’échec ou du moins en difficulté


Être optimiste... : Comment faire ce métier si on ne croit pas un tout petit peu que son action peut changer le destin ou du moins les connaissances de ceux que l’on a en face de soi  et les faire progresser ? Célestin Freinet finissait la liste de ses invariants par  l'optimiste espoir en la vie”. Philippe Meirieu parle du “postulat d’éducabilité” et cite souvent cette phrase du philosophe Alain « l’on ne peut instruire sans supposer toute l’intelligence possible dans un marmot ».
Notre métier est à la fois ambitieux et modeste. Ambitieux car on se fixe des objectifs élevés pour les jeunes qui nous sont confiés. Modeste car on ne sait que très rarement si notre enseignement a eu un effet durable malgré les résistances à apprendre. Modeste aussi, car nous devons lutter également contre le poids des déterminismes sociaux et la rigidité d’un système éducatif qui peut lui aussi créer des inégalités malgré nos actions individuelles.
Mais, en tout cas, être pessimiste, ou pire encore cynique, est selon moi presque une faute professionnelle !


Philippe Watrelot

3 commentaires:

Sophie Richer a dit…

Merci Philippe. Voilà ce que j'aurais aimé entendre ou lire à l'espe il y a deux ans. Me voilà ragaillardie et regonflée pour la rentrée. Le "c'est la première heure qui compte, ton année est foutue si tu te rates" me terrifiait... plus maintenant ! Bonnes vacances !

Evelyne Charpentier a dit…

Merci,oui,
et tout ne se joue pas la première heure, ni même la première journée!
Ni pour l'enseignant, ni pour les élèves!

Je me souviens d'une petite fille qui le jour de la rentrée refusait, s'arc-boutant à la porte de la classe, d'entrer:
" elle ne savait pas lire et ne saurait pas à la fin de la journée" hurlait-elle.
De toute évidence, elle avait raison, ce que je lui ai dit sans attendre.
Et à ce moment, j'ai vu, de mes yeux vu, un gros nuage s'élever vers le plafond de la salle.
Toutes les angoisses des vingt-six élèves de CP, prenaient le mode vapeur, nuage, pour s'échapper de petits corps tendus vers ces apprentissages qu'ils supposaient si difficiles voire impossibles pour certains à atteindre.
Cette élève d'une belle intelligence ( et en grande souffrance) avait exprimé le ressenti du groupe (en grande partie).
Il va sans dire que mes premiers jours de classes furent différents!
Et les autres jours aussi d'ailleurs avec un travail sur les représentations des élèves, la circulation de la parole etc ....
Merci.

Un futur étudiant a dit…

J'avoue que j'ai un doute sur la variation des activités en soi c'est bien sur une très bonne idée. Mais je vois que lorsque nos professeurs essayent de proposer une autre activité comme un travail en groupe de 2 ou 3 personnes on passera une bonne moitié du temps à bavarder et encore si l'activité est intéressante. Sinon les seuls choses qui nous motivent dans ce cas la sont ou une incitation à faire le travail par une note (mais il faudra faire attention ici à ne pas dire cela en l'air car on aura tôt fait de débusquer les paroles sérieuses et celle trompeuses) ou alors faire ce genre de séance en demi-groupe ou la classe étant moins nombreuses on osera pas dévier nos sujets de conversation

 
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