samedi, avril 30, 2016

Bilan de la refondation de l'École (3ème partie) : Est-ce que “ça va mieux” ?



Rappel des deux précédents billets : 

1ère partie : À la recherche du slogan perdu...
2ème partie : fidèle aux postes ? 


Pour ce dernier épisode, nous nous intéresserons aux principales dispositions de la loi de refondation de l’École et nous essayerons d’en faire le bilan ou du moins de donner quelques pistes d’évaluation : acquis/non acquis oú en cours d’acquisition ?  Est-ce que “ça va mieux” ?
On réfléchira aussi à la conduite du changement et à la question de l'alternance politique...



Refondation et engagements
La “loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République” qui a été votée définitivement le 25 juin 2013 et publiée au journal officiel le 8 juillet est un objet législatif particulier. On y trouve en effet mélangés à la fois des objectifs de court et de moyen terme qui ne relèvent pas vraiment du domaine législatif et des dispositifs, des institutions qui sont créés par la loi. Les objectifs sont placés dans le rapport annexé qui fait une vingtaine de pages. La loi elle même compte 89 articles qui sont quelquefois peu lisibles car comme souvent dans les textes de lois cela commence par “L’article L. Machin truc du code de l’éducation est ainsi modifié...
Si l’on veut faire un bilan, il ne faut pas seulement s’appuyer sur ce texte de loi mais aussi sur les engagements qui ont été pris au moment de la campagne de 2011-2012. C’est surtout lors d’un déplacement à Orléans (pour rendre hommage à Jean Zay) le 9 février 2012 que François Hollande a formulé l’essentiel de ses propositions pour l’éducation. J’étais présent et j’en rendais compte dans ma revue de presse du lendemain. Et puis bien sûr, il faut aussi s’appuyer sur les 60 engagements pour la France du candidat dont plusieurs propositions (numéros 16, 36, 37, 38, 39 et 44) portent sur l’éducation et l’enseignement. Enfin, il peut être utile aussi de se référer au rapport remis au président de la République à la fin de la concertation qui s’est déroulée durant l’été 2012 (j’y étais !) ainsi qu’au discours de F. Hollande lors de la remise de ce rapport (j’étais présent aussi...). La loi de refondation et de programmation reprend ces engagements et ces propositions dans les différents articles de loi et le rapport annexé.


Selon l'exposé des motifs, le projet de loi s'articule autour de six grands objectifs :

  • donner la priorité à l’École primaire pour assurer l’apprentissage des fondamentaux et réduire les inégalités
  • assurer une vraie formation initiale et continue pour les métiers du professorat et de l'éducation avec la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation
  • faire entrer l'école dans l'ère du numérique afin de prendre véritablement en compte ses enjeux et atouts pour l'école
  • mettre le contenu des enseignements et la progressivité des apprentissages au cœur de la refondation
  • 
rénover le système d'orientation et l'insertion professionnelle
  • redynamiser le dialogue avec les partenaires de l'école, ainsi que ses instances d'évaluation.

Après ces grands objectifs, quels étaient les principaux dispositifs inscrits dans le texte? La loi mettait en avant l'accueil des enfants de moins de trois ans en maternelle dans les zones défavorisées (3000 postes prévus) ainsi que le dispositif “plus de maîtres que de classes” (7.000 postes prévus). Il crée les Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) destinées à rétablir une formation initiale des enseignants, mais ayant aussi en charge la formation continue. Le texte de loi a créé aussi un certain nombre d’instances telles que le  Conseil national d'évaluation du système éducatif (CNESCO), un Conseil supérieur des programmes (CSP) et un Conseil National de l’innovation et de la réussite éducative (CNIRÉ). La loi institue aussi un Service public de l'enseignement numérique et de l'enseignement à distance et un Conseil National Éducation Économie. Elle supprime le Haut Conseil de l’Éducation. Côté enseignements, on institue un “enseignement moral et civique” auquel Vincent Peillon était très attaché. Un enseignement en langue vivante devient obligatoire dès le CP. Au collège, on réaffirme le principe du socle commun et la redéfinition des cycles. On précisait aussi au moment du vote de la loi que celle n'était qu'une étape de la refondation portée par le ministre, qui apporterait "à partir de 2014 des évolutions substantielles" au lycée général et technologique...


Évaluation sommative (et formative)
Comme un des thèmes de la politique éducative a été de repenser les modalités d’évaluation, on ne va pas se risquer ici à mettre des notes ! Tout au plus peut-on évaluer en raisonnant en acquis/non acquis/en cours d’acquisition...

• On l’a dit, la réforme des rythmes (qui n’est pas à proprement parler dans la loi) a perturbé toute la refondation. Le plus souvent elle s’est faite a minima d’autant plus après la circulaire Hamon qui en a réduit l’impact. Elle se résume surtout au rétablissement des cinq matinées (majoritairement le mercredi matin). C’était là l’objectif principal de la réforme : mieux répartir les heures de classe sur les matinées pour des élèves plus concentrés, dans un climat scolaire amélioré. Mais cela s’est fait avec des activités périscolaires de qualité variables et des municipalités pas toujours coopératives. On préfère construire des ronds-points que financer des activités scolaires....  Et c'est ainsi que dans un contexte de réduction des budgets il a fallu pérenniser l’aide aux communes.
Le travail avec les partenaires associatifs n’a pas été toujours à la hauteur des enjeux même si la plupart des communes à fait le choix d’un projet éducatif territorial (PEDT) qui pousse enseignants, élus et associations à travailler de concert. Alors qu’un des enjeux était aussi de lutter contre les inégalités en proposant des activités à des enfants qui jusque là n’y avait pas accès, il faut constater que les trois heures d’activités périscolaires organisées en plus, chaque semaine, ne sont gratuites que « pour près de la moitié des PEDT », selon le bilan d’étape du 25 juin 2015. Il y a, dans l’opinion publique et enseignante, encore beaucoup de doutes sur cette réforme, son organisation et ses effets pédagogiques. Le bilan scientifique et global de la réforme reste à faire.
Surtout, on a mis de côté  l’impérieuse nécessité de repenser le temps global de l’enfant à la fois dans la semaine mais aussi dans l’année. Le calendrier scolaire actuel en est la preuve avec des périodes soumises aux contraintes de l’industrie du tourisme plus qu’à l’intérêt de l’enfant. En tout cas, cette question a  occupé tout l’espace et le temps durant une période très longue et a fait négliger  les autres aspects de la réforme.

• Sur la formation, on peut dire en effet que le ministre n’y a pas donné au début toute l’attention souhaitée  d’autant plus que le pouvoir au début était partagé entre deux ministres de plein exercice (MEN et MESR aujourd’hui réunis). C’est ainsi qu’on aboutit à une structure inutilement complexe et bancale.
Il ne s’agissait pas d’une simple restauration de la formation puisqu’il s’agissait de créer une structure nouvelle où la formation s’inscrivait dans des “écoles” rattachées à des universités et préparant à des Masters dédiés à l’enseignement (Masters MEEF). Un processus complexe que nous avons détaillé dans de nombreuses chroniques sur mon blog et interventions médiatiques. Une mise en œuvre marquée par des compromis qui alourdissent sa mise en œuvre. En effet, les concours de recrutement (dont les épreuves ont été modifiées) sont placés en fin de M1 (bac + 4) c’est-à-dire au milieu d’un cursus et les ESPÉ n’ont pas de statut véritablement autonome puisqu’elles dépendent des universités et avec un modèle économique qui reste encore aujourd’hui à construire. On ne peut que se réjouir du rétablissement de l’alternance dans la formation initiale des enseignants qui permet aux enseignants débutants de rentrer progressivement dans le métier, même si la charge de travail reste lourde pour ceux qui doivent en plus finir leur master. Mais l’organisation de la formation fortement centrée sur les concours disciplinaires (dans le 2nd degré) et la difficulté à construire une “culture commune” ne contribuent pas à faire évoluer l’identité professionnelle.  La culture des universités est en contradiction avec les attentes et conduit à une “cassure entre disciplinaire et pratique" pour reprendre les termes du comité de suivi de la refondation. La place du concours est à revoir tout comme la gouvernance de ces structures exagérément complexes. Les différents rapports parlementaires ou les propositions de think tank vont tous dans ce sens. Je pourrais être intarissable sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je rajouterai juste deux points. Tout d’abord la difficulté à faire travailler ensemble universitaires et formateurs “de terrain” dans une structure où le poids des premiers est de plus en plus important. Et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la pédagogie.  Car, il y a pourtant la nécessité de plus réfléchir à la formation des formateurs et de faire évoluer la pédagogie pratiquée en formation. On enseigne comme on a été formé !

• La priorité à l’école primaire a été un des grands axes de la refondation avec le dispositif “Plus de maîtres que de classes” et la pré-scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Sur ce dernier point le ministère avait fixé un objectif de 30% de préscolarisation des enfants de moins de 3 ans dans les zones d’éducation prioritaire. C’est en effet un des enjeux forts de la refondation : les enfants entrent à l’école maternelle avec des écarts de langage déjà installés en fonction du milieu socioculturel d’origine, les plus défavorisés maîtrisant trois fois moins de mots que les autres. Pour l’instant le dispositif marque le pas et ce sont à peine 20% de places qui sont pourvues
 Le principe du “plus de maîtres que de classes” donne la possibilité d’affecter, sur la base d’un projet pédagogique, un enseignant supplémentaire dans une école ou un groupe scolaire. Il permet en principe de mettre en place de nouvelles modalités d’organisation pédagogique pour aider les élèves les plus en difficulté à progresser et prévenir la difficulté scolaire.  Sur un plan quantitatif,  seuls 2.500 postes auraient été créés sur les 7.000 attendus d'ici à 2017. Un nombre qui risque fort de ne jamais être atteint. Mais l’enjeu très prometteur de la co-intervention  ne peut se limiter à une question de moyens. La question centrale est celle de l’évolution de la pédagogie et cela passe par une formation continue qui reste insuffisante. On peut entamer ici un refrain qui peut s’appliquer à d’autres situations : il  faut accompagner les réformes !

• Il en est de même dans la refonte de l’éducation prioritaire. C’est peut-être le dossier qui a le plus avancé avec notamment des assises de l’éducation prioritaire dans chaque académie puis au niveau national. On peut dire que cette organisation a permis une réelle mutualisation des pratiques même s’il reste beaucoup à faire, là encore, pour la formation continue.

Dessin de Aurel paru dans Le Monde le 22/09/2014
http://bitly.com/1DswFC2
• C’est le Conseil Supérieur des programmes qui était chargé par la loi du travail sur les contenus à enseigner et la redéfinition du socle commun. On se rappelle que les précédents programmes du Primaire avaient été fabriqués dans le secret des cabinets. L’enjeu de la loi était de rétablir une structure indépendante pour élaborer les programmes, ce dont il faut se réjouir. Il a fallu attendre le vote de la loi pour la créer. Et cette structure qui a changé de président en cours de route et a aussi été marquée par des tensions politiques en son sein avec les élus de l’opposition a elle aussi été ralentie.  Par rapport à ce qui était prévu initialement, les programmes ont un an de retard: ceux de maternelle sont entrés en vigueur en septembre 2015 et ceux du CP à la troisième s'appliqueront à la rentrée 2016. Alors que la refonte des programmes aurait du être faite plus en amont, le télescopage avec la réforme du collège conduit à cette situation tendue où tout change en même temps.
Il faut saluer les efforts du Conseil Supérieur des Programmes dans la définition d’une charte des programmes et dans l’évolution vers une logique curriculaire où l’on serait plus clair et plus précis sur ce qui est attendu des élèves et sur leur évaluation et qui donnerait plus de souplesse et de choix aux enseignants dans sa mise en œuvre. Mais on voit bien que cette logique se heurte aux conservatismes et  aux corporatismes. Et on a constaté aussi que les consultations et les luttes d’influence (cf. les programmes d’histoire) ont abouti à des compromis dénaturant le sens de cette avancée majeure et faisant vaciller l’indépendance de cette instance.

• La rénovation du collège unique était inscrite dans la refondation. Elle arrive seulement maintenant. On a tant dit et écrit au cours de cette dernière année qu’on est tenté, par fatigue, d’en rester là et de ne pas plus développer ! On le sait, cette réforme fait toujours l’objet d’une polémique même si celle ci semble aujourd’hui moins virulente. Au risque de me répéter une des difficultés tient  à un problème de timing. La réforme du collège concerne les quatre niveaux en même temps et les enseignants doivent se former à la fois à de nouveaux dispositifs et à de nouveaux contenus. Au delà des blocages, l’enjeu est surtout de parvenir à construire un vrai travail collectif et en partie transversal. Les fameux EPI ne sont pas tant intéressants pour leur aspect interdisciplinaire que pour la pédagogie de projet qui les sous-tend. On ne peut prédire l’avenir de cette réforme mais le risque que la force d’inertie l’emporte est une constante dans l’Éducation Nationale. La question qu’on peut se poser est celle de la formation continue qui doit être à la hauteur des enjeux et du pouvoir d’agir donné aux enseignants.  Il  faut accompagner les réformes !

• Dans une administration centrale qui reste marquée par une certaine permanence on a créé  en 2014 une nouvelle direction générale ! La direction du numérique pour l'éducation assure la mise en place et le déploiement du service public du numérique éducatif. Elle dispose d'une compétence générale en matière de pilotage et de mise en œuvre des systèmes d'information. Le plan numérique pour l’éducation est en effet fortement mis en avant par l’ancien président du conseil général de Corrèze qui avait équipé tous les collégiens de tablettes numériques par les nouvelles technologies. Plus de 500 écoles et collèges sont d’ores et déjà connectés nous dit la communication du ministère.  Ce sont ainsi potentiellement près de 70 000 élèves et 8 000 enseignants qui peuvent expérimenter de  nouvelles formes d'enseignement et d'apprentissage grâce au numérique. Même si le matériel est important, on semble éviter cette fois-ci le piège dans lequel sont tombés les précédents “plans informatique” où les hommes politiques faisaient de belles photos devant des équipements qui allaient ensuite prendre la poussière faute de formation et de réflexion sur les pratiques. Il semble y avoir cette fois ci un travail sur les contenus à proposer et les usages du numérique facilité par le fait que la nature même de la technologie a changé et qu’il s’agit plus de construire une “culture numérique” plutôt que de se former à des outils.  Mais là encore les situations sur le terrain sont très inégales et les effets ne seront pas visibles immédiatement.

• La loi de refondation a aussi créé de nouvelles instances. On a déjà évoqué le Conseil Supérieur des Programmes. Il y a aussi le Conseil national d’évaluation du système éducatif. Contrairement à ce qu’en dit le comité de suivi de la refondation dans son rapport qui estime qu'il traite “de sujets d'actualité et de thèmes de recherche le plus souvent en dehors de (sa) mission”, je pense qu’il joue un rôle d’aiguillon bien utile dans un système qui reste trop rigide et craintif sur un certain nombre de sujets.
Le Conseil national de l’innovation et de la réussite éducative (CNIRÉ) a lui aussi été créé par la loi. Est-ce parce qu’il était sous la responsabilité de George Pau-Langevin et de son ministère de la réussite éducative qui a disparu, mais son avenir semble bien sombre. J’ai fait partie en tant que président du CRAP-Cahiers Pédagogiques de cette instance et je trouve que ce conseil n’a pourtant pas démérité. Je partage l’avis de ma collègue Catherine Chabrun de l’ICEM-Pédagogie Freinet qui s’inquiète dans un récent billet de blog titré  L’innovation, persona non grata de la Refondation”.  D’une manière générale, on a d'ailleurs l’impression aujourd'hui que l’innovation semble réduite à l’aspect, certes important mais réducteur, de la lutte contre le décrochage scolaire. Alors que ce devrait être une exigence de tous les instants.

Cette trop longue énumération est loin d’être exhaustive. Il y a beaucoup d’autres points qu’on aurait pu évoquer pour évaluer l’action menée depuis quatre ans. N’hésitez pas d’ailleurs à réagir et compléter en commentaires. Évaluer c’est presque une seconde nature pour les enseignants !
Alors, la refondation ? Acquis ou non acquis ? À la lecture de ce qui précède on est tenté de répondre “en cours d’acquisition” ou “peut mieux faire”... Il y a souvent loin de l’ambition de départ à la réalité du terrain. Mais n’est-ce pas le cas de toute action politique ? Comme nous l’écrivions dans le premier billet les ambitions de départ ont été souvent confrontées aux compromis et aux renoncements. Mais des leviers sont là.


Angles morts et questions taboues
Puisque nous sommes dans le vocabulaire de l’évaluation, il faudrait aussi parler des “lacunes”. Il y a en effet des sujets que la refondation a évité d’aborder. Par manque de temps ou par crainte de trop bouleverser le système.

Le lycée, on l’évoquait plus haut, devait initialement faire l’objet d’une réforme à partir de 2014. On voit bien ici que c’est un problème de calendrier qui s’impose. Et peut-être aussi la volonté de ne pas ouvrir trop de “fronts” à la fois. Mais avant de faire une nouvelle réforme il aurait été utile et souhaitable également de faire l’évaluation de la réforme de 2010. Ce bilan n’est pas encore disponible et on peut le regretter.

La question de l’évaluation a été l’objet d’une conférence nationale en 2015 qui a fait des propositions intéressantes. Mais peu ont été retenues. La question biaisée de la « suppression des notes » est récurrente dans l’opinion et conduit à des polémiques excessives et irrationnelles. De fait, on constate que le système évolue peu sur ce point. Le nouveau Brevet a certes connu quelques évolutions mais celles-ci restent bien modestes. Et, plutôt que de substituer une modalité à une autre on retrouve un travers bien connu dans notre système français : on empile. 
Et ne parlons pas du bac qui a toujours aujourd’hui un statut de “monument national” et de rite qui le rend peu propice aux évolutions souvent nécessaires. Car notre système est largement piloté par l’aval et l’évolution des modalités d’examen peut conduire à faire évoluer la pédagogie.

Une politique globale et cohérente de mixité sociale aurait pu être lancée plus tôt car c’est incontestablement là qu’on doit faire un gros effort pour lutter contre les inégalités. Cela suppose une action concertée de plusieurs ministères (MEN, Ville, Logement, Jeunesse & Sports, etc.). Il semble que ce soit l’objectif du projet de loi “Égalité et citoyenneté” et de la secrétaire d’État chargée de l’égalité réelle (si, si ça existe...). Mais il arrive bien tard.
On évoquait aussi le point 8 des Onze mesures pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République” du 22 janvier 2015 : “renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux”. Un projet récent du gouvernement vise à modifier la carte scolaire de façon à favoriser la mixité sociale des collèges. Une expérimentation est en cours dans une vingtaine de départements.

La gouvernance de l’Éducation Nationale est l’angle mort de la refondation. Même s’il est un peu abordé dans la réforme du collège. Il faut dire que c’est un débat très vite piégé. On fait souvent appel, comme une incantation, aux principes républicains pour réaffirmer le principe d’“égalité Républicaine ”qui serait menacé par l’autonomie des établissements, vue comme une dérive managériale et libérale. C’est oublier que l’autonomie peut être celle des équipes qui apportent des solutions propres au contexte dans lequel elles se trouvent, mais dans le respect d’un cadre national définissant clairement les objectifs et les finalités du système éducatif. Une école plus efficace, c’est peut-être une école qui est plus claire sur les finalités et plus souple localement sur les procédures et les dispositifs à mettre en œuvre pour y parvenir. C’est ainsi qu’on pourrait plus responsabiliser les établissements et les équipes en liant une partie des dotations à des objectifs sociaux de réduction des inégalités.
Mais notre système reste  très centralisé et marqué par une forte hiérarchie. Cette bureaucratie contribue ainsi à la déresponsabilisation des acteurs et est donc peu propice à l’innovation et aux expérimentations.


Questions de méthodes...
Et si la refondation était la dernière réforme de ce genre ? Car la question qui est posée par la refondation est aussi celle de la méthode utilisée pour la conduite du changement. J’y ai déjà consacré un billet (lisible sur le site d’AlterEco Plus)
Dans notre pays centralisé et bureaucratique nous fonctionnons toujours avec l’illusion d’une décision prise d’en haut et qui descendrait impeccablement jusque dans chaque salle de classe. Mais le pilotage par le haut (top-down) est-il toujours et encore efficace (s’il l’a jamais été...) ?
La multiplication des instances de décision et les querelles de territoires ont pu être des freins à la refondation. Le rapport du comité de suivi de la refondation pointe ainsi des positionnements concurrents” entre le CSP, le Cabinet, l'administration centrale du ministère (Dgesco) et l'Inspection. Toute cette haute administration a t-elle été à la hauteur ?  On y trouve à la fois une technostructure qui traverse les alternances et qui repose sur des territoires à défendre et des membres de cabinet interchangeables, souvent trop sûrs d’eux, impatients et quelquefois peu au fait des subtilités du système. Tous ont en commun une forme de discours performatif peu réceptif à la critique constructive. 
Pour le dire autrement, on peut s’abriter derrière l’historien de l’éducation Antoine Prost dans son livre magistral Du changement dans l’École : « La réforme n’est pas possible sans l’administration mais l’administration telle que nous l’avons rend impossible la réforme pédagogique »
S’il y a eu une “concertation” à l’été 2012, celle ci a concerné essentiellement les représentants des corps intermédiaires. Mais contrairement à d’autres périodes de réformes, il n’y a pas eu de grand moment de travail collectif dans tous les établissements. Il aurait pu y avoir une consultation sur un certain nombre de questions. “Il n’est pas de sauveur suprême, à l’Éducation nationale comme ailleurs. Pour qu’une politique ministérielle ait quelques chances d’avoir des effets sur la seule chose qui compte au final, les apprentissages effectifs des élèves, il faut certes des textes législatifs ou réglementaires soigneusement réfléchis et préparés, mais il faut aussi l’engagement de tous les acteurs, à toutes les échelles, pour le mettre en œuvre, pour s’appuyer sur les dispositifs proposés pour mieux faire apprendre, pour mieux éduquer. ”. C’est ce qu’écrivait le bureau du CRAP en mai 2012. Et il n’y a rien à ajouter !
La mobilisation et l’accompagnement de tous les personnels d’Éducation, leur formation initiale et continue, la confiance dans leur professionnalisme, la valorisation des initiatives et projets innovants, le suivi des actions entreprises sur le terrain et de leurs retombées doivent être au cœur de la démarche à tous les échelons.
La refondation sera pédagogique ou ne sera pas » Cette affirmation se trouve à la page 31 du rapport remis à Vincent Peillon et François Hollande par le comité de pilotage de la concertation. Elle nous rappelle que le plus important est peu visible. La logique du changement n’est pas forcément dans des “lois bavardes” (pour reprendre une expression d’Antoine Prost) mais dans des dispositions qui permettent les transformations “à bas bruit”.  
Entre les projets des différents groupes de pressions, les textes officiels, ce qui en est appliqué par les différents échelons hiérarchiques, ce qu’il en reste dans l’action des établissements, de chaque enseignant, les effets que cela produit sur les élèves, il y a d’immenses marges, qui sont bien souvent des marécages où s’enlise l’action politique. Mais ces interstices peuvent être aussi des espaces de liberté pour agir et faire de la pédagogie...




Continuité ou rupture ?
Depuis 2012, le ministère a ouvert de nombreux chantiers dont il est encore impossible d’évaluer les effets tels que le développement du numérique, la révision des programmes scolaires, la réforme du socle commun, la création du Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire, le changement des pratiques d'évaluation, la réforme du Collège… Des mesures qu’on pourra juger bien modestes mais dont il faudrait se garder de faire le bilan avant son terme. C’est une spécialité bien française de juger une politique ou un dispositif avant même qu’on l’ait véritablement laissé vivre.
Rien de pire comme poste que celui de Ministre de l’Éducation. Son titulaire sait qu’il travaille pour des résultats qui ne se verront au mieux que dix ans plus tard…. Les enfants qui sont rentrés au cours préparatoire en 2012 seront évalués dans l’année 2021 par le système PISA. Pas facile pour un personnel politique qui veut des résultats immédiats...

On peut aussi conclure en reprenant les propos de l’historien Antoine Prost déjà cité. Que dit ce grand expert du système ? D’abord que depuis très longtemps l’éducation nationale ne cesse de se réformer. Mais, souligne t-il, “nous avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. Quand on lui pose la question du succès ou de l'échec d'une réforme, voici ce qu'il répond sur le site des Cahiers Pédagogiques : “ Le succès tient à la rencontre de plusieurs facteurs : la continuité politique et administrative, l’adhésion d’une partie suffisante de l’opinion et des enseignants, un accord assez large sur ses objectifs, un peu d’argent, de l’habileté. Mais l’essentiel est la continuité, qui suppose un minimum de consensus. Sans un accord minimum entre les partis de gouvernement sur la politique à suivre, la droite défait ce que la gauche a fait, et réciproquement. Les enseignants en ont assez d’être ainsi ballotés de réforme en réforme. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’alternance politique démolit l’Éducation nationale. ”.

Bien sûr le choix aux élections ne se fait pas que sur un seul domaine de la politique.  Et on voit bien qu’aujourd’hui, il est difficile, voire impossible, d’isoler la politique menée dans le domaine éducatif d’une appréciation globale sur le gouvernement et le président.
Mais faire le bilan de la refondation de l’École aujourd’hui, c’est aussi examiner les projets qui sont élaborés pour la prochaine élection présidentielle. Avec la question “Est-ce que ça va mieux ? ”, il faut aussi se demander : “Est-ce que ça risque d’aller plus mal ?



Rappel des deux précédents billets : 


Philippe Watrelot

Licence Creative Commons

vendredi, avril 29, 2016

Bilan de la refondation de l'École (2ème partie) : Fidèle aux postes ?




Suite de ma série de billets de blog consacrés au bilan de la refondation. Aujourd’hui nous nous intéressons aux postes, à leur nombre et à leur attractivité et donc aussi à la question des salaires...


Coup de poker
Souvenir de 2011...
Le 9 septembre 2011, en campagne dans l’Aisne, François Hollande lors d’une réunion à Soissons, tente un coup de poker. Les parents d’élèves présents, en cette semaine de rentrée interpellent le candidat : « Monsieur Hollande, si vous êtes élu, vous ferez quoi au sujet de ces suppressions de postes ? Concrètement ... ». François Hollande se lance et improvise : « Si je suis élu, on recréera 60.000 postes supprimés depuis cinq ans! ». Dans « L'Homme qui ne devait pas être Président » (Par Antonin André et Karim Rissouli, Albin Michel 2012), François Hollande revient lui même sur cette proposition : « Les 60.000 postes, j'ai décidé ça tout seul. Je n'ai prévenu personne. Quand les parents d'élèves m'ont demandé ce que j'allais faire, je me suis dit: si je dis simplement que j'arrête les suppressions de postes, ça veut dire que tout ce qui a été mis en cause est acté. Donc il faut bien dire quelque chose, mais quoi? Est-ce qu'il faut dire: "toutes les suppressions de poste seront compensées" ? Mais ça faisait quand même beaucoup. Donc j'ai commencé à réfléchir pendant que je leur parlais. Le programme du PS ne disait rien de précis là-dessus. J'ai commencé à faire mes calculs: Si j'en mets 60.000, ça fait 12.000 par an, donc ça coûte combien? Je calcule, ça fait 2 milliards et demi à la fin du mandat, c'est jouable. Donc je dis 60.000 postes. Il y a eu une polémique, bien sûr, mais ça correspondait à un vrai besoin. Et puis ça prenait tout le monde de court »
Ensuite, son équipe de campagne, revenue de sa surprise, se chargera de chiffrer plus précisément la proposition. L’engagement est pris de (re)créer 60.000 postes dans l'enseignement, dont 54.000 dans l'Education nationale, 5000 dans le supérieur et 1000 dans l'enseignement agricole. On a vu plus haut que ce n’était pas moins de 80.000 postes qui avaient été supprimés durant le quinquennat Sarkozy. C’est la raison pour laquelle il me semble toujours plus juste de parler de (re)créations que de créations !


Un atout ou un handicap ?
Rappelons qu’à proprement parler, ces 60 000 postes ne font pas partie de la “loi de refondation” votée en juin 2013. Mais plusieurs des dispositifs qui y sont inclus ont un impact direct sur les postes. C’est en particulier le cas du rétablissement de l’année de formation en alternance (la moitié du service en classe et l’autre à l’ESPÉ) ou encore de la “priorité au primaire”. Et surtout, cette promesse qui a certainement joué un rôle important dans la victoire, est devenue emblématique de cette “priorité à la jeunesse” martelée pendant la campagne.
http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs
Au risque de choquer, je redis que cette promesse, si elle a pu être un atout pour reconquérir un électorat enseignant qui s’était éloigné de la gauche de gouvernement, a été aussi un handicap. Car elle a limité la marge de négociation pour faire accepter les réformes. Comme je l’ai écrit dans un précédent billet, après cette promesse faite dans un contexte de restrictions budgétaires (et de gel du point d'indice),  il n’y avait plus rien à “dealer”. Or, on a bien vu que la réforme des rythmes, (tout comme la réforme du collège aujourd’hui), s’est heurtée à un très fort sentiment de déclassement et à une baisse du pouvoir d’achat. Comment accepter de (re)venir travailler une matinée de plus (oui, je sais, cinq jours c’était le cas avant Darcos, mais c’est ainsi que ça été vu...) sans compensation salariale ? Comment affirmer la priorité au primaire sans que ça se traduise par un alignement avec le second degré ? On voit bien qu’il y a eu une prise de conscience de cette limite avec la création (en 2013) puis la promesse d’augmentation de l’ISAE, une prime spécifique au Primaire et destinée à compenser l’écart avec les enseignants de collège et lycée. Une promesse qui arrive bien tard.


Receveurs des postes...
La question de savoir si la promesse de création des 60.000 postes sera tenue est un thème récurrent sur le plan syndical et politique. Et il est vrai que cette annonce emblématique de la campagne est jusqu’à maintenant peu lisible dans les établissements. La moitié des postes concerne pour l’instant des enseignants en formation. Pour cette année, sur les 31.627 postes déjà créés dans l’Education nationale, 24.300 sont encore en formation. C’est d’ailleurs l’objet d’une polémique : faut-il les compter comme des postes à part entière (ce qu’ils seront quand ces enseignants stagiaires seront titularisés et à temps plein) ou raisonner en “équivalent temps plein” et ne les compter pour l’instant que comme des moitiés de postes ? 
Net ou brut ? Une autre polémique consiste en effet à contester le terme même de “création” dans la mesure où une bonne partie de ces postes vont servir à compenser des départs à la retraite. 
Les postes créés l’ont surtout été dans le premier degré et peu dans le secondaire. Or, étant donné le nombre d’écoles primaires en France (plus de 52.000 !), les postes créés ont peu d’impact sur le quotidien de la majorité des enseignants. Une classe de maternelle sur deux compte plus de 25 élèves. Et 7.500 en ont même plus de 30. Pour la grande majorité des profs des écoles, les conditions de travail restent les mêmes ou empirent et le “plus de maîtres que de classes” reste bien modeste (2.500 postes créés sur les 7.000 attendus d'ici à 2017).Et dans le secondaire, il faut aussi tenir compte du “baby boom” de l’an 2000 et de l’arrivée de classes d’âge nombreuses en lycée. Entre 2007 et 2016, 260.000 enfants supplémentaires ont été scolarisés. Une démographie qui avait été mal anticipée alors qu’elle était prévisible.


Métier professeur...
Il faut enfin souligner que “poste créé” ne veut pas dire “poste pourvu”. Tous les postes mis aux concours n’ont pas trouvé de candidats. Même si les concours 2016 montrent une reprise des inscriptions, certains CAPES (concours du second degré) ont un rapport inscrits/postes très bas. Ce qui fait dire que la sélectivité est faible. Et, de fait, les jurys de concours ne pourvoient pas tous les postes proposés faute de candidats de qualité. L’attractivité du métier d’enseignant reste un problème non résolu d’autant plus que l’augmentation du niveau de recrutement (les concours se situent au niveau M1 (bac+4) conduit à des comparaisons en défaveur de l’enseignement.
L'OCDE a ainsi comparé le salaire enseignant avec ce que ces diplômés gagneraient s'ils avaient opté pour une autre carrière. En France, un(e) professeur(e) des écoles gagne 72 % de ce qu'il/elle pourrait escompter avec son niveau de diplôme s'il travaillait ailleurs que dans l'éducation nationale. Au collège, un professeur français gagne 86% du salaire de ses camarades d'université. Et au lycée, 95%.

La question de la rémunération se situe à deux niveaux : les enseignants du primaire à niveau égal sont moins payés que ceux du secondaire (30% de moins en moyenne) et globalement les enseignants français sont moins payés que dans la plupart des pays européens. L’OCDE dans le dernier “Regards sur l’éducation” affirme que « les systèmes performants sont aussi ceux qui offrent des salaires élevés à leurs enseignants, surtout dans les pays au niveau de vie élevé ».
Il faut cependant noter que dans la plupart des pays si les salaires sont élevés c’est avec des conditions de travail différentes marquées par un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989 où la lutte syndicale a fait un préalable de l’augmentation de salaires sans qu’il y ait au final  de réelles contreparties et évolutions. .
Mais le salaire, s’il est un élément de la considération de la société à l’égard de ses enseignants, ne peut, me semble t-il, à lui seul permettre une transformation du métier d’enseignant.  Suffirait-il de mieux payer les enseignants pour qu’ils fassent leur métier autrement et de manière plus enthousiaste ? Car au delà de la rémunération et du sentiment de déclassement qui en découle, il se pose aussi une question de conditions de travail et d’évolution des carrières. Le mythe de la “vocation” est passé et c’est tant mieux. Nous exerçons un métier avec ses joies et ses peines pas forcément “pour la vie” et il faudrait que la gestion des ressources humaines et des carrières soit améliorée.
Il faut aussi que les différentes dimensions de ce métier qui ne se réduit pas à la seule présence devant des élèves soient mieux définies et affirmées. C’est ce  que Vincent Peillon a essayé de faire évoluer avec l’accord signé en février 2014 sur l’évolution du métier d’enseignant qui reconnaissait que le métier ne se limitait pas à la mission principale d’enseignement mais incluait aussi les temps de préparation et de recherche, le travail en équipe et les relations avec les parents. Cet accord reconnaissait aussi que des enseignants pouvaient avoir des missions complémentaires avec des  responsabilités particulières faisant l'objet d'une rémunération sous forme indemnitaire, ou dans certains cas sous forme d'allègement du temps d'enseignement. On se souvient que cette “pondération” des temps d’enseignement avait fait l’objet d’une polémique parce que, par ricochet, elle avait un effet sur certaines indemnités des enseignants des classes préparatoires. Et la polémique a montré aussi que cette avancée se heurtait à des conceptions du métier qui refusaient de voir ces “nouvelles” missions formalisées au nom d’une conception stricte du métier. Pourtant, cet accord négocié avec les syndicats s’il est une réelle avancée reste bien modeste au regard de la nécessaire évolution du métier d’enseignant. Le chantier de la modernisation des métiers de l'éducation nationale a été ouvert mais est loin d'être terminé. 


Un enjeu électoral
Le 9 décembre 2015 ont été faites dans le cadre de la loi de finances, les annonces pour la rentrée scolaire 2016 et elles montrent que le maintien de cette promesse est bien un enjeu électoral.  La rentrée serait marquée par la création de 6.639 postes de personnel éducatifs, surtout dans le primaire, la hausse démographique dans le secondaire et l'accompagnement de la réforme du collège, a annoncé le ministère. L'école primaire bénéficierait de 3.835 postes supplémentaires pour 533 élèves de moins, précise le texte (soit 58% des moyens attribués). Cela devrait permettre, nous affirme t-on, de rattraper le retard pris dans l’accueil des tout petits (scolarisation des deux ans) et « le plus de maîtres que de classes » Le secondaire, quant à lui, disposerait de 2.804 nouveaux postes sur les 4.000 prévus en deux ans pour mettre en place la réforme du collège.  Encore faudrait-il que cela soit bien repéré par des dotations clairement identifiées pour éliminer complètement les accusations d’une réforme à l’économie.


Nul doute,  en tout cas, que cette question des postes reviendra dans le bilan présidentiel et dans le futur débat électoral qui s’annonce… Le gouvernement affirme que la promesse sera tenue. On peut disserter longtemps sur la réalité et le statut de ces postes créés. Il faut aussi s’interroger sur leur utilité. Certes, réduire le nombre d’élèves par classe est utile. Mais pour faire quoi, pour quelle pédagogie ?  La question n’est pas seulement celle des moyens mais aussi de savoir ce que l’on en fait… Par exemple “Plus de maîtres que de classes” ne peut s’envisager que si on se pose aussi la question de la pédagogie et de la posture de l’enseignant Les 60 000 postes correspondaient à une logique quantitative et à une réponse à une situation de pénurie créée par la présidence Sarkozy. Il fallait arrêter de dégraisser le mammouth, on attaquait l’os...
Mais ces (re)créations nécessaires, dont le rythme n’a pas été assez rapide, ont été en grande partie absorbées par une forte démographie non anticipée et par la remise en route de la formation des enseignants. Elles sont aujourd’hui encore peu visibles pour les enseignants comme dans l'opinion.


3ème partie, suite et fin de ce bilan  : Éducation : est ce que “ça va mieux” ?


Philippe Watrelot

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jeudi, avril 28, 2016

Bilan de la refondation de l'École (1ère partie) : À la recherche du slogan perdu...



2017 approche... et avec elle vient le temps des bilans. François Hollande avait fait de la jeunesse et de l’éducation une des priorités de son quinquennat. Il est donc légitime de se livrer à un bilan de la refondation de l’École. Si on reprend l’expression utilisée par François Hollande lors  de l’émission télévisée « Dialogues Citoyens », jeudi 14 avril : est-ce que pour l’Éducation “ça va mieux” ?
Nul doute que dans les semaines et les mois qui viennent de nombreux commentateurs se livreront à cet exercice éminemment politique du bilan. A commencer par la ministre elle-même. En effet, les 2 et 3 mai prochain, sont prévues des “journées de la refondation” qui se tiendront au Palais Brongniart à Paris. Présence des trois ministres successifs, public choisi, interventions bien cadrées, même si le pire n’est jamais sûr on peut craindre que ce bilan soit vu comme une opération de com’…
Pourtant confronter les bilans est réellement nécessaire. Je m’y risque. Il sera évidemment partiel (et partial !). On y retrouvera mes obsessions et mes convictions déjà exprimées à plusieurs reprises sur mon blog et dans mes interventions médiatiques. C’est la vision d’un militant pédagogique qui a vu tout cela d’assez près avant de prendre du recul mais qui reste engagé et vigilant.
Comme ce texte est un peu long je vous propose un découpage en trois épisodes (sur trois jours). Premier épisode : à la recherche du slogan perdu...


La mémoire courte
Avant de faire le bilan de la refondation et du quinquennat, il faut peut être remonter plus loin encore. Il faut en effet rappeler  (pour ne pas avoir la mémoire courte) le bilan de la présidence Sarkozy et de ses ministres de l’éducation Xavier Darcos et Luc Chatel. Suppressions de 80000 postes, des Rased, de l’accueil des moins de 3 ans, de la formation en alternance des enseignants, baisse de la dépense intérieure d’éducation, passage à la semaine de quatre jours ou encore fragilisation de la carte scolaire…
Il faut rappeler que la suppression des RASED et le passage à la semaine de quatre jours relevaient de la même logique budgétaire. En réduisant le temps de travail des élèves mais pas des enseignants, l’objectif était de faire basculer les deux heures ainsi libérées vers de l’aide et ainsi dans une sorte de billard à trois bandes de se débarrasser des RASED (qui avaient pourtant une fonction d’aide bien spécifique et qui demandait une réelle expertise). À l’époque, combien de personnes dans les rues pour défiler contre la semaine de quatre jours ?
Même s’il y avait un fondement idéologique, c’est aussi une logique budgétaire qui avait présidé à la “réforme” de 2010 ayant abouti à la suppression du mi-temps pour les enseignants stagiaires. Il s’agissait d’économiser précisément 9 567 équivalents temps plein en obligeant les enseignants débutants à travailler à temps plein. Je me souviens encore de la rentrée 2010 et des ravages de ces nouveaux enseignants “jetés comme des frites dans l’huile bouillante” pour reprendre une expression de Xavier Darcos lui-même. À l’époque, combien de personnes dans les rues pour défiler contre la quasi suppression de la formation ?
On pourrait rajouter également à cette évocation du passé l’élaboration des programmes du primaire de 2008. Des programmes dont on ne connait toujours pas les auteurs, fabriqué dans le secret des cabinets ministériels et qui remplaçaient les programmes de 2002 qui avaient recueillis quant à eux, un large accord. Là aussi, peu de protestations à part celles des “désobéisseurs”.
Pour clore ce voyage dans un passé pas si lointain, il faut aussi rappeler que peu de temps après la mise en place de la semaine de quatre jours (en 2008) le gouvernement s’est rendu compte que cela posait un problème de rythmes scolaires. Une conférence nationale sur les rythmes scolaires désignée par Luc Chatel en 2010 remettait le 4 juillet 2011 un rapport d’orientation qui faisait l’unanimité. Tout le monde (syndicats, partis, partenaires...) était d’accord pour revenir à 5 matinées. Mais devant la proximité de l’élection présidentielle, le ministre s’est empressé... de ne rien faire et de refiler le bébé à son successeur.


Retards à l’allumage
La loi de refondation de l’École a été publiée au Journal Officiel le 8 juillet 2013 après un vote définitif le 25 juin 2013. Soit plus d’un an après l’élection de François Hollande.
J’ai à plusieurs reprises dans mes chroniques, montré qu’on avait au moins perdu un an et demi dans la mise en œuvre de la réforme aussi bien pour la loi, initialement prévue pour décembre 2012 que pour le travail sur les programmes.
Deux éléments ont plombé le début de la refondation. Alors que Vincent Peillon avait  préparé cette partie du programme avec les syndicats avant même l’élection, “on” (JM Ayrault ?) lui a imposé une concertation pendant l’été puis ensuite une nouvelle phase de discussion avec les syndicats.
Et puis il y a surtout l’idée de commencer par la réforme des rythmes (qui n’est pas dans la refondation). Comme on l’a vu plus haut, le terrain était pourtant bien balisé. Il y avait en 2011 une forme d’unanimité qui pouvait faire espérer une issue rapide à ce dossier. Dans une interview au Nouvel Obs, Christian Forestier ancien recteur et coprésident du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires parle à propos de cette querelle des rythmes d’un “ concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ” et rappelle qu’il y avait un accord total des différents acteurs sur la nécessité de revenir à une semaine de 4,5 jours et de repenser d’ailleurs l’ensemble du rythme scolaire. Y compris chez les maires de droite et chez les représentants syndicaux…
À la place on s’est embourbé dans des revendications qui exprimaient surtout le malaise des enseignants du primaire et une résistance à changer de nouveau sans voir leur situation financière s’améliorer.
Car à côté de ces problèmes de calendrier, on peut aussi évoquer paradoxalement la promesse des 60.000 postes comme une des “erreurs” ou en tout cas un handicap de la refondation. En promettant, presque par surprise, ces (re)créations de postes, François Hollande a pu faire revenir vers son électorat des enseignants qui avaient pris de la distance. Mais en annonçant un tel chiffre, il se créait aussi une contrainte forte sur le plan budgétaire. Pour le dire autrement, dans le contexte du moment après cette annonce il n’y avait plus rien à “dealer”, plus de marge de manœuvre et en particulier en termes d’augmentation de salaires. Or, comment motiver des enseignants (notamment du primaire) durement éprouvés par les années Sarkozy et qui ressentent très vivement  un fort sentiment de déclassement ?
Il est toujours facile de "refaire le match” et de pointer les erreurs de tel ou tel, après coup. On peut admettre cependant qu'il y a eu une erreur d'appréciation des difficultés concrètes de mise en œuvre et de prise en compte notamment du malaise enseignant dans ce début de quinquennat. Et, de manière systémique, cela a impacté tout le reste de la dynamique de la refondation. La réforme des rythmes a mobilisé une grande partie de l’énergie du ministère ce qui a eu un effet désastreux sur d’autres aspects qui aurait requis plus de vigilance comme la reconstruction de la formation ou la mise en œuvre de la réforme des programmes. Lorsqu’elle a pris un tour politique, elle a engendré les premières reculades et donc un signal de faiblesse. Elle a aussi causé la perte de Vincent Peillon et son remplacement par Benoit Hamon avant que celui-ci ne soit lui aussi remplacé par Najat Vallaud Belkacem. Beaucoup de temps et d’énergie perdus et des ambitions revues à la baisse...

De la refondation aux “réformes”
Le comité de suivi chargé d'évaluer l'application de la loi Peillon de 2013 (présidé par le député Yves Durand) rendait son rapport annuel au Parlement le mercredi 13 janvier 2016.  Le problème majeur, soulignait le rapport, est l'insuffisance de l'appropriation de la cohérence de la loi par les enseignants, par l'affadissement et la parcellisation de son application. De plus, le fait que la mise en œuvre des nouveaux programmes n'arrive que trois ans après la promulgation de la loi nuit à sa portée.
Je partage cette analyse, je l’ai déjà écrit, il a manqué un slogan à la refondation. La loi d’orientation de 89 est souvent résumée par l’expression “l’élève au centre” (alors même que cette expression n’y figure pas). La loi d’orientation de 2005 est, quant à elle, associée à la notion de “socle commun”. Et pour la loi de 2013…?
Les finalités ont été diluées par la réforme des rythmes (qui ne relevait pas de la loi) et par des créations de postes en grande partie absorbées par une forte démographie non anticipée et sont "peu visibles pour les enseignants comme dans l'opinion".
On n’a pas assez insisté, à mon avis, sur la nécessité de lutter contre les inégalités et de combler le fossé qui existe avec les élèves des milieux populaires les plus en difficulté. “On a démocratisé l’accès à l’école sans démocratiser la réussite dans l’école.” nous rappelait  Philippe Meirieu dans une interview au Monde (le 24 janvier 2015).
Les résultats de PISA à la fin de l’année 2013 n’ont pas créé le choc suffisant.
Un slogan pour l'École ?
Certains, pour critiquer la politique du gouvernement, évoquent le décalage entre les “beaux discours” et la réalité. Pour ma part, je déplore l’insuffisance de discours qui n’ont pas permis d’offrir une lecture d’ensemble aux différentes mesures prises. D’autant plus que les retards pris dans l’application de la loi ont accentué l’absence de lisibilité.
Vincent Peillon était pourtant un ministre à la parole souvent lyrique qui avait trouvé cette formule habile et ambitieuse de la “Refondation”. “Refonder” ce n’est pas réformer, c’est à la fois plus et mieux que cela. Mais dans quel but ? Dans les discours qu’il a pu faire, il évoquait la volonté de dépasser le clivage « Pédagogues/Républicains » et de reconstruire une École qui intègre et donne sa chance à tous. Mais cette volonté s’est perdue assez vite dans les sables des compromis et des concessions. Et la refondation s’est alors transformée en une succession de réformes sans vision globale.
On a vu cependant une tentative de redonner du sens avec les suites des attentats de janvier 2015. Le jeudi 22 janvier , Najat Vallaud Belkacem, du perron de Matignon, annonçait “Onze mesures pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République”. On y trouvait aussi bien la volonté très 3ème République de “Renforcer la transmission des valeurs de la République” et de “Rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains” que des mesures plus éducatives et pédagogiques comme la création d’un “parcours citoyen” de l’école primaire à la Terminale ou la nécessité de renforcer le lien avec les parents ou encore la lutte contre le décrochage. Mais la mesure la plus intéressante est la mesure 8 “renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux” qui veut réformer la  carte scolaire. Elle rejoignait des déclarations de Manuel Valls quelques jours plus tôt qui fustigeait avec des mots très forts l’ “apartheid social”. Cette mesure donnera lieu quelques mois plus tard à une expérimentation de réforme de la carte scolaire qui reste pour l’instant bien modeste.
Pour être tout à fait complet sur cette question des finalités de la refondation, il faut cependant citer cette interview surprenante par sa radicalité et sa franchise de Najat Vallaud-Belkacem pour Le Point le 20 avril 2015 : “Tout le monde est d'accord pour déplorer les faibles résultats et les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu'il s'agit d'offrir à tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle systématiquement de "nivellement par le bas". Alors, oui, ces débats le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité. Ce qui me guide, moi, c'est le souci de démocratisation de la réussite. Je ne me satisfais pas qu'un élève sur quatre ne maîtrise pas les compétences attendues en français à la fin du collège. Je ne me satisfais pas que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance des élèves soit bien plus marquée chez nous que dans la plupart des autres pays de l'OCDE. [...] Ce qui est frappant, c'est que ce débat sérieux et profond - élitisme dynastique versus élitisme républicain qui suppose qu'on rebatte vraiment les cartes en offrant de mêmes chances de réussite à chacun - n'est jamais mené de façon franche, en tombant les masques. Les défenseurs d'un système inégalitaire et de reproduction sociale ne vous le diront jamais frontalement, sans doute parce qu'ils perçoivent ce que leur position peut avoir d'intenable dans un pays amoureux d'égalité. Alors, ils recourent à une stratégie désormais bien rodée : multiplier les contre-vérités pour embrouiller les esprits et faire douter de la réforme. Il suffit de la lire pour dégonfler leurs accusations, mais ils savent pouvoir compter sur le fait que peu prennent malheureusement le temps de le faire.


Pourquoi ça bloque ?
Cette déclaration est intéressante parce qu’elle montre que les objectifs de justice sociale ne sont pas oubliés par la Ministre. Mais on y voit aussi les limites des discours incantatoires car comme elle le reconnait elle même personne ne dira jamais frontalement qu’il est pour la défense d’un système inégalitaire. Tout le monde est évidemment pour l’égalité (du moins dans les idées) et même les syndicats les plus conservateurs mettront en avant des valeurs de justice, d’égalité des chances, de méritocratie...
J’ai souvent dit et écrit que le mot de réforme est un mot piégé car, implicitement, il  induit que tout ce qui précédait est bon à mettre “à la réforme”. Dans un métier qui est vécu bien (trop) souvent sur le mode de l’intime, et où il est de fait difficile de dissocier le geste professionnel et la personne, la critique du système éducatif est vécue par certains comme une remise en cause personnelle. On l’a vu encore récemment avec le débat sur la réforme du Collège où beaucoup ne voient pas en quoi il faudrait faire évoluer un système où chacun a le sentiment de bien faire son travail.  
Comment remettre en cause un système qui vous a fait réussir ? Cette difficulté on la trouve aussi chez les cadres intermédiaires de l’Éducation Nationale. Il y a là aussi une force d’inertie qui conduit à reproduire l’existant plutôt que d’innover. Les enjeux de pouvoir et les querelles de territoire sont forts dans un système qui reste essentiellement bureaucratique. Ce système génère ses effets pervers : force d’inertie,  faible adaptabilité aux situations locales, lourdeur des contrôles… Il contribue aussi à l’infantilisation et la déresponsabilisation des acteurs … La question de la gouvernance est un des angles morts de la refondation.


Parler de refondation était  habile de la part de Vincent Peillon car cela permettait de contourner cette difficulté et même d’offrir par ce vocabulaire lyrique une synthèse susceptible de plaire à la fois aux pédagogues qui veulent faire évoluer l’école et aux “républicains”. Mais l’effet pervers de l’usage d’un tel mot c’est de créer une attente forte (“refonder” ce n’est pas rien…) et de s’exposer à la critique devant la modestie des mesures mises en œuvre. C’est peut-être aussi ce qui est en train de se passer. Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui on parle plus d’une succession de “réformes” plutôt que de “refondation”...
C’est la preuve qu’avec le temps les ambitions de départ ont été confrontées aux compromis et aux renoncements et qu’on manque d’une visibilité d’ensemble. On est toujours à la recherche du slogan perdu...

 
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