dimanche, juin 11, 2017

Bloc-Notes de la semaine du 5 au 11 juin 2017



- Ctrl-Z - Collège – Rythmes et blues - Redoublement – Ailleurs - .



Un bloc notes “blanquérisé”... Le ministre a multiplié les déclarations et les annonces. A tel point qu’on ne pourra tout évoquer dans cette chronique tardive. On essaiera surtout d’en faire une analyse générale et de se concentrer sur les plus importantes : le collège, les rythmes et le redoublement.



Ctrl-Z
Dessin de Jacques Risso
Jean-Michel Blanquer a fait la Une de plusieurs quotidiens cette semaine (dont Libération et Le Parisien). Il faut dire qu’il a multiplié les déclarations sur de très nombreux sujets : rythmes scolaires, collège, devoirs, stages de remise à niveau, redoublement, baccalauréat, dates des vacances et bien d’autres encore...
Beaucoup de ces annonces visent à « détricoter » (c’est le terme le plus employé) les mesures prises précédemment. Une autre expression a fait florès pour le désigner : « le ministre Ctrl-Z» celui qui annule ce qui a été fait précédemment. On peut aussi, et surtout, voir cette débauche d’annonces, comme de la communication politique à quelques jours des élections législatives. Alors que la rentrée 2017 est déjà sur les rails et les marges de manœuvre très étroites, beaucoup de ces déclarations n’auront, quoi qu’on en dise, que peu d’effets immédiats. Il faut aussi remarquer, en plus, que plusieurs de ses déclarations, rentrent en contradiction avec ses positions ou actions antérieures. Et surtout, elles envoient des signaux contradictoires qui, à terme, peuvent être néfastes à la volonté de changement du ministre. Comme le souligne Louise Tourret dans Libération : « Les revirements actuels donneraient plutôt raison à ceux qui, sur le terrain, n’ont pas joué le jeu des réformes, les appliquant a minima, attendant un changement de ministre. » et on peut rajouter qu' « on laisse croire aux plus investis que leurs efforts sont vains…»
On a surtout envie de dire au Ministre qu'à côté de Ctrl-Z, il y a aussi Ctrl-C et Ctrl-V pour reproduire les initiatives et les innovations au lieu de les décourager !

Ce sont surtout les semaines précédentes au moment de la nomination du gouvernement qui ont été propices aux portraits. Cette semaine, on en trouve cependant un nouveau très intéressant dans Le Monde . Les deux journalistes, Aurélie Collas et Mattea Battaglia décrivent quelqu’un qui serait «programmé pour l’éducation» à la fois ennemi du pédagogisme et féru de neuro-sciences. Un “pragmatique” partisan du bottom-up (approche descendante) où on part des expérimentations pour ensuite évaluer et généraliser. Mais remarquent les deux auteures, «Rien de tout cela dans ses premières décisions, qui consistent surtout pour l’heure à défaire ce que la gauche avait entrepris. Sur les réseaux sociaux, on le surnomme déjà le « ministre des Ctrl + Z » ou du « détricotage ». Il avait pourtant assuré qu’il ne serait pas le ministre « des zigzags » ou des « stop and go ».». C’est plus ou moins le même reproche qui est formulé par Jean-Pierre Veran sur son blog Mediapart . «Le ministre de l’éducation nationale a affirmé ne pas vouloir donner dans l’injonction, être pragmatique, prudent et à l’écoute. […] Et voici qu’hier ce même ministre soumet au conseil supérieur de l’éducation un décret qui prévoit une modification importante de l’organisation des collèges, avec le rétablissement des classes bi-langues et des enseignements de langues anciennes et l’amoindrissement de la place accordée à l’accompagnement personnalisé et aux enseignements pratiques interdisciplinaires. Et un autre qui prévoit le retour possible à la semaine de quatre jours de classe dans le premier degré. Ni l’un ni l’autre de ces décrets n’ont reçu l’assentiment du conseil supérieur de l’éducation, mais le ministre passera outre ces avis défavorables. Le changement, ce n’est pas pour maintenant !». Et le blogueur, ancien inspecteur, conclut : «Ces premiers signaux de l’action ministérielle pourraient laisser présager une école soumise au régime de la marche forcée si peu compatible avec la stabilité nécessaire au temps éducatif d’une part, l’autonomie des équipes d’établissement d’autre part.»
Comme l’évoque JP Véran, la semaine a aussi été marquée par la présentation, jeudi dernier, à l’organe consultatif qu’est le Conseil Supérieur de l’Éducation des deux propositions mises en avant par JM Blanquer : un décret sur la réforme des rythmes et un arrêté sur la réforme du collège. Les deux textes ont donné lieu à des votes négatifs mais on peut penser que le ministre passera outre cet avis consultatif. Nous allons détailler maintenant ces deux propositions ainsi que les déclarations sur le redoublement.



Réforme de la réforme du collège
«La réforme du collège sera enterrée le 8 juin», c’était le titre-choc d’un article du Parisien paru la semaine dernière. Dans le projet d’arrêté qui a circulé dans toute la presse, il n’y a pas à proprement parler de suppression des EPI. Ces enseignements rendus obligatoires par la réforme du collège appliquée à la rentrée 2016 et qui mêlent deux disciplines au sein d’un même cours, devaient être laissés à la libre appréciation de l’établissement. Il peut décider de les supprimer et de ne proposer que de l’accompagnement personnalisé. Les thèmes des EPI sont eux aussi laissés à l’appréciation du collège. Sur l’année scolaire 2016/2017, ils devaient obligatoirement entrer dans le cadre de huit sujets listés (par exemple, « sciences, technologie et société », ou « langues et cultures de l’Antiquité »).La répartition entre les enseignements complémentaires « serait déterminée par l’établissement en fonction des élèves accueillis et du projet pédagogique », précisait ce projet d’arrêté.
Il faut dire que même si les positions syndicales sont divisées sur ce point, il y a eu cependant des protestations face à ce projet de remise en question de la réforme. «Ne marginalisez pas les EPI, monsieur le Ministre ! » c’est la demande formulée par un collectif d’organisations (dont le CRAP-Cahiers Pédagogiques) Une autre association l’’Afev publie sur son site un article où on donne la parole aux élèves sur ce qu’ils pensent de ce dispositif.

Lors du conseil supérieur de l’éducation ce texte a recueilli 8 voix pour (Snalc et SNPDEN), 26 contre (FO, SGEN-CFDT, FCPE, Solidaires) et 24 abstentions (SE-Unsa et FSU). Mais le ministre a accepté un amendement qui rend obligatoire au moins un EPI et un temps d'accompagnement personnalisé (AP) sur la durée du cycle 4 du collège. On peut donc dire que si les textes proposés par le nouveau ministre Jean-Michel Blanquer assouplissent le cadre des enseignements complémentaires (AP et EPI), les collèges devront assurer à tous les élèves qu’ils auront bénéficié des 2 formes d’enseignements complémentaires au cours du cycle 4. Les élèves d’un même niveau devront en bénéficier dans les mêmes proportions. Les enseignements facultatifs (latin, bilangues) sont rétablis mais ils avaient été maintenus dans bon nombre d’académies. Il sera possible d’augmenter l’horaire de LCA mais ce n’est pas une obligation. Un enseignement « langues et cultures européennes » pourra être mis en place. C’est là la seule vraie nouveauté. Quant à la Dotation horaire supplémentaire, elle doit servir d’abord aux groupes à effectifs réduits et à la co-intervention. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’elle peut être utilisée pour les enseignements facultatifs. Par ailleurs les recteurs pourront apporter une dotation spécifique pour la compléter. C’est moins pire que ce qu’on pouvait craindre. Technique de communication politique bien connue : faire craindre le pire pour qu’on s’accomode du moins bon...



Rythmes et blues
Sur la question des rythmes scolaires, interrogé sur Europe1 le 6 juin le ministre voudrait, à la rentrée 2018, permettre localement le retour à la semaine de quatre jours avec six heures de classe maximum, contre quatre jours et demi actuellement. Ce retour à la semaine de quatre jours – instituée en 2008 sous l’impulsion de Xavier Darcos –, qui avait été portée à quatre jours et demi en 2013 par Vincent Peillon, puis aménagé par Benoit Hamon en 2015, conduirait à remettre en cause des équilibres trouvés difficilement dans un certain nombre de communes. Le maire (LR) de Nice (Alpes-Maritimes), Christian Estrosi, fait le forcing et a déjà annoncé un retour à la semaine de quatre jours dans les écoles de sa ville pour la rentrée 2017. Mais «Paris, Marseille et Lyon, et la plupart des grandes villes de France vont garder la même organisation», assure le ministre de l'Éducation. Ce qui n’empêche pas plusieurs associations de maires de reprocher au Ministre et à Emmanuel Macron, une absence de concertation.
Le décret présenté au CSE jeudi a été rejeté par 35 voix contre (dont l'Unsa, la FCPE et FO ainsi que les maires des petites communes), 21 voix pour (dont le Snalc et le Snuipp), une abstention et 15 refus de vote (dont le SGEN-CFDT et la CGT). Le Ministre comme nous l’avons indiqué, peut passer au dessus de ce vote.

Mais il devra aussi faire avec un autre avis, car ce même jeudi 8 juin, une mission sénatoriale rendait ses conclusions après six mois d’enquête sur les rythmes scolaires. Le rapport complet n'a pas encore été dévoilé, seule une synthèse était présentée à la presse. Jean-Claude Carle (LR – Haute-Savoie), Thierry Foucaud (CRC – Seine-Maritime), Mireille Jouve (R-RDSE – Bouches-du-Rhône) et Gérard Longuet (LR – Meuse) sont les principaux membres de cette mission. Dans cette synthèse, on peut notamment y lire ceci : « Les déboires de la réforme ne doivent pas faire oublier la raison pour laquelle elle a été mise en œuvre : la concentration sans pareil du temps scolaire qu’induit la semaine de quatre jours est néfaste pour les apprentissages, en particulier pour les enfants les plus fragiles. Sans faire abstraction des questions financières et organisationnelles, l’intérêt des enfants doit demeurer au centre de la réflexion. »
Interrogé par Véronique Soulé dans le Café Pédagogique Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) a le blues et regrette qu'on remette en chantier une réforme qui commençait à trouver ses marques selon lui. La spécialiste Claire Leconte dans Politis invite quant-à-elle, les communes à rester à 4,5 jours répartis sur 5 jours mais en révisant les organisations mises en place depuis 2013.

On pourra lire aussi sur le site des Cahiers Pédagogiques un appel de plusieurs associations complémentaires de l’École à ne pas remettre en question le principe de cinq matinées de travail par semaine. Elles rappellent que « Rétablir cinq matinées sur cinq jours, c’était prendre en compte les recommandations de l’Académie de médecine du 19 janvier 2010, celles du rapport de la conférence nationale de janvier 2011, celles de la mission parlementaire présidée par Michèle Tabarot en 2010 également, mais aussi l’expression majoritaire des enseignants sur les mauvaises conditions d’apprentissage provoquées par la disparition d’une matinée de temps scolaire et les propositions de l’appel de Bobigny lancé par plus de quatre-vingt associations et organisations nationales et 120 villes et collectivités. Ainsi, donner la possibilité de revenir à quatre jours d’école reviendrait à ne pas prendre en compte les données scientifiques de la chronobiologie qui sont les mêmes pour un enfant, où qu’il vive.»
Quand le “pragmatisme” rentre en collision avec le refus des apports de la recherche...



Redoublement (de com’)
Le ministre de l’éducation nationale a déclaré le 8 juin dans Le Parisien, qui fait sa une sur cette proposition : « Il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première des réponses réside dans l’accompagnement tout au long de l’année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais, le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’élève, et dans des cas qui doivent rester rares. Autoriser à nouveau le redoublement, ce n’est pas un virage absolu mais c’est une inflexion importante. »
Mais avant d’en venir aux arguments sur ce qui redevient un débat, il faut surtout souligner que le Ministre s’accommode de la réalité. Le redoublement n’a pas été interdit par le décret de 2014 mais son recours a été limité. Le redoublement est préconisé dans le cas d’une « rupture des apprentissages scolaires », due à une maladie par exemple. Il peut aussi être un recours lorsqu’il y a un désaccord sur l’orientation d’un élève à l’issue de la classe de seconde. Et le ministre a d’ailleurs précisé lors du CSE qu’il était hors de question de modifier ce texte de 2014.
Comme le résume ironiquement un internaute sur Twitter : «Le redoublement était interdit sauf cas exceptionnel et il va maintenant être autorisé dans des cas qui doivent rester rares.». Autrement dit, c’est un coup de com’ pour séduire une partie de l’opinion publique et une frange des enseignants dans cette période électorale.
Faiza Zerouala sur Mediapart interroge plusieurs chercheurs qui rappellent tous que cette mesure en plus d'être coûteuse n'a aucun effet pour lutter contre l'échec scolaire. Thierry Troncin, enseignant à l’Espé de Bourgogne et responsable des formations, docteur en sciences de l’éducation et coauteur du rapport Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire avec Jean-Jacques Paul, est l’un des spécialistes de la question. Pour lui, il y a évidemment derrière cette question « un marqueur idéologique », car le redoublement apparaît comme l’un des derniers bastions des professeurs où ils peuvent exercer leur pouvoir. Dans une autre interview dans le Parisien , il considère que «c’est une perte de temps et d’énergie».
Pour Denis Meuret, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne Franche-Comté dans Mediapart : « Refaire du redoublement une habitude serait grave. Depuis une quinzaine d’années, la culture du redoublement a baissé chez les enseignants et les parents. On s’est désintoxiqués en quelque sorte. Si on est gentil avec Blanquer, on peut se dire qu’il veut accroître l’autonomie et veut laisser aux professeurs cette possibilité-là. Mais j’ai été assez étonné qu’il propose cela, car il connaît bien le système éducatif et les études scientifiques. Va-t-il ouvrir la boîte de Pandore et retourner en arrière ? »
C’est aussi ce qu’on retrouve dans un article similaire dans Le Monde qui interroge également des syndicalistes et rappelle également qu’en janvier 2015, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) avait donc publié un rapport intitulé «Lutter contre les difficultés scolaires : le redoublement et ses alternatives.». Selon cette étude, le redoublement coûte cher. Environ 2 milliards d’euros par an, selon l’Institut des politiques publiques. Et surtout, en dépit d’une croyance répandue, il est le plus souvent inefficace, aux yeux de la recherche. Si l’élève peut progresser l’année du redoublement – puisqu’il refait le même programme –, à long terme, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires » et a « toujours un effet négatif sur les trajectoires ».

Tout cela, le fin connaisseur du système, attentif aux travaux de la recherche, qu’est JM Blanquer, le sait... Et même il le préconisait. Sur son blog Éducpros, Claude Lelièvre rappelle avec malice que lorsqu'il était à la tête de la DGESCO (direction générales des enseignements scolaires), Jean -Michel Blanquer avait fait paraître une circulaire en date du 16 mars 2010 (cf le BO du 18 mars) où il était dûment indiqué (au chapitre 2.1.2 intitulé « Donner sa pleine mesure à l’aide personnalisée ») :« La première mesure de personnalisation du parcours scolaire à l’école est la pédagogie différenciée […]. Elle doit rendre très exceptionnel le recours au redoublement ». De même dans son rapport "Vaincre l'échec scolaire" paru en 2010, l'institut Montaigne (qui pourtant "inspire" Jean-Michel Blanquer) se prononçait contre le redoublement. Le “pragmatisme” dont il se réclame relève ici de la contradiction mais aussi du cynisme...

Rappelons cependant pour finir que , dans son étude qui fait référence, le Cnesco recommandait de trouver d’autres solutions pour prévenir et remédier aux difficultés scolaires : prise en charge des élèves fragiles en classe, remédiation, tutorat… Le décret de 2014, aussi, prévoyait un « accompagnement pédagogique spécifique » lorsqu’un élève est autorisé à redoubler. Mais, dans les faits, cet accompagnement peine à s’organiser dans les classes. En France, les alternatives sont à la traîne et de fait les pressions pour le passage systématique ont largement amené à des élèves en état d'échec permanent sans que soient proposés d’autres solutions.
On peut donc conclure que le redoublement est plus un échec du système éducatif à apporter des solutions et une alternative qu’un échec des élèves eux—mêmes... Et la position de Jean-Michel Blanquer en dehors de la logique de communication est surtout un aveu de cet échec du système à évoluer. Le pragmatisme confine au défaitisme...



Ailleurs
Pour sortir un peu de la situation française, je vous conseille de regarder un reportage diffusé sur TF1 qui présente le système éducatif de Singapour. On y voit aussi bien des aspects très martiaux avec l'uniforme et l'hymne chanté tous les matins mais aussi des méthodes pédagogiques qui interpellent notamment sur l'enseignement des maths. La partie la plus intéressante porte sur le travail collaboratif des enseignants et l'échange permanent sur les méthodes d'enseignement. Chaque cours est discuté collectivement et l’approche du travail est vraiment collective. En guise de conclusion on peut retenir cette phrase d’un enseignant singapourien « si on enseigne avec son ego, alors personne n'apprendra rien...»

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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