vendredi, novembre 03, 2017

Sciences et pédagogie #BIEN17


Biennale de l’éducation nouvelle Jour 2 (vendredi 3 novembre 2017)

Après une première journée marquée par la conférence d’ouverture d’Edwy Plenel et une première vague d’ateliers, la journée de vendredi a commencé par une conférence de Claude Lelièvre qui avait pour thème : “Au regard de l’histoire en quoi l’éducation nouvelle est elle toujours d’actualité ? ”. On peut résumer la thèse qu’il a défendu ainsi. Pour lui, l’Education Nouvelle n’est pas en rupture avec l’école qu’ont voulue les fondateurs de l’école de la 3ème république. L’éducation nouvelle va simplement plus loin dans une « République inachevée » (cf. Plenel). Il a, comme à son habitude, utilisé de nombreuses citations pour étayer son propos. Et il est vrai que certaines avaient une résonnance très actuelle !
Mais je voudrais surtout centrer ce deuxième billet sur un des points que j’évoquais dès hier dans mon premier texte. Il s’agit du rapport de la pédagogie à la science et en particulier dans le contexte actuel de développement des neurosciences, de son usage (ou mésusage) dans les débats et les injonctions ministérielles.

Un atelier (auquel j’ai participé) était particulièrement consacré à ce thème mais on retrouvait aussi cette problématique abordée dans d’autres discussions comme par exemple celle sur les rapports entre la recherche et la pédagogie ou encore celle sur l’accompagnement scientifique des innovations et expérimentations.


Les neurosciences : entre engouement et défiance ?
Les Cahiers Pédagogiques avaient consacré en février 2016 un dossier à ce thème. Les coordonnateurs du dossier, Nicole Bouin et Jean-Michel Zakhartchouk, dans l’avant propos, disaient vouloir se situer entre «défiance absolue ou engouement sans réserve» 
La question qu’ils posaient était aussi celle de savoir comment les neurosciences peuvent éclairer (et faire évoluer) notre pratique dans nos classes et nos établissements. C’est une des questions qui s’est posée dans l’atelier de cette biennale.
J’avais participé il y a quelques semaines à une journée d’études très intéressante organisée par la FCPE. On m’avait demandé de jouer le rôle de « grand témoin » dans un évènement consacré aux neurosciences. J’avais beaucoup apprécié cet exercice et eu le sentiment d’y apprendre beaucoup de choses. J’en avais retiré la conviction que les recherches actuelles confirmaient un bon nombre d’intuitions des pédagogues.
Dessin de Jack Koch paru dans le n° 527 des Cahiers Pédagogiques
Je n’ai pas la prétention, dans ce court billet, de faire le tour de la question. Mais on peut rapidement évoquer quelques pistes. Dans un des articles de vulgarisation les plus célèbres, Stanislas Dehaene présente « Quatre piliers de l’apprentissage » selon les neurosciences : l’attention, l’engagement actif, le retour d’information et la consolidation. On retrouve des pratiques déjà présentes dans les classes mais qui sont confirmées par ces recherches.
L’attention nous renvoie à toutes les pratiques récentes autour de la concentration (voire la méditation) que l’on peut avoir en classe pour permettre aux élèves de canaliser leur attention.
L’engagement actif énonce, au final, quelque chose qu’on retrouve au coeur de l’éducation nouvelle. L’enfant sera d’autant plus actif et engagé quand il aura envie de faire l’action. Cette envie est déclenchée quand l’activité lui plaît, qu’elle importe pour lui, qu’il y voit un intérêt personnel… et non pas parce qu’il y est contraint par un intervenant extérieur.
Recevoir un retour d’information immédiat sur l’action en cours est constitutif de l’apprentissage. Plus le retour est proche dans le temps de l’erreur, plus l’action corrective sera efficace et intégrée de manière pérenne. Les erreurs sont positives et sources d’apprentissage. Le retour d’information insiste donc sur la nécessité d’une évaluation au service des apprentissages ainsi que sur l’importance du renforcement positif.
Selon Dehaene, le point culminant d’un apprentissage est le « transfert de l’explicite vers l’implicite » : c’est l’automatisation des connaissances et procédures. Cette automatisation passe par la répétition et l’entrainement. Elle permet de libérer de l’espace dans le cortex préfrontal afin d’absorber de nouveaux apprentissages. Il est donc essentiel de répéter une connaissance nouvellement acquise.
Par ailleurs, les intervenants à la journée sur les neurosciences évoquée plus haut insistaient sur la plasticité cérébrale. Loin d’un déterminisme ravageur (« tout est joué à ?? ans») , ils nous disaient que le cerveau est extrêmement adaptable et qu’on peut apprendre à tout âge. “Tous capables” comme disent nos camarades du GFEN... On peut évoquer aussi le postulat d’éducabilité cher à Philippe Meirieu.


Quels rapports entre la science et la pédagogie ?
Je citais, dans un billet précédent, la définition de l’Éducation Nouvelle de 1921 qui finit par ces mots : « Le but de l’éducation et ses méthodes doivent donc être constamment révisés, à mesure que la science et l’expérience accroissent notre connaissance de l’enfant, de l’homme et de la société »
Prendre en compte les apports de la science fait donc partie des principes de la pédagogie et de l’éducation nouvelle.  De son côté, Jean-Michel Blanquer affirme, lui aussi vouloir « avancer à la lumière des sciences ». On pourrait donc se réjouir de cette convergence. Alors pourquoi ça coince ?
Car en effet, si la tonalité de l’atelier n’était pas à la défiance évoquée plus haut, on y entendait quand même un peu de méfiance...
Celle-ci tient peut être au fait qu’il y a un mésusage des neurosciences. Elle sont souvent présentées aujourd’hui dans les médias et les discours publics comme une sorte de vérité révélée et une prescription de ce que devrait être la pédagogie dictée par la science.
Et avec cette “mode” et cette pression forte, il est normal que les enseignants se méfient.
Dans un entretien complémentaire du dossier des Cahiers Pédagogiques cité plus haut, les coordonnateurs alertaient d’ailleur sur cette dérive : « On a besoin des sciences non pour dicter notre pratique, mais pour l’éclairer un peu plus. »
Le danger serait en effet celui d’une forme de « scientisme » où la science ne serait plus contestable et l’objet de controverses. La pédagogie n’est pas une science mais un savoir pratique. Mais il ne faudrait pas qu’elle devienne un métier d’exécution où un « bureau des méthodes » dicterait dans une logique taylorienne de travail prescrit, les « bonnes pratiques ».
De plus, il ne faut pas oublier que d’autres sciences nous sont utiles. Les neurosciences nous fournissent des apports éclairants et relativement nouveaux mais elles ne sont qu’une discipline qui étudie notre métier sous un angle, forcément partiel. Mais peuvent-elles, à elles seules, expliquer la complexité de notre travail et de l’acte d’apprendre ? L’élève n’est pas qu’un cerveau mais il est un individu social et qui apprend dans l’interaction. On notera d’ailleurs que certains travaux récents des neuroscientifiques s’intéressent aux vertus de la coopération dans les mécanismes de l’apprentissage.
L’un des risques de la mode des neurosciences est aussi de ne voir l’apprentissage et ses difficultés que sous le seul angle individuel. Et d’ignorer les conditions sociales de l’apprentissage. Neurologie et sociologie sont dans le même bateau, il ne faudrait pas que l’un des deux coule...
« Avancer à la lumière des sciences », l’Éducation Nouvelle en est convaincue depuis toujours mais à la condition que ce soient toutes les sciences et dans un dialogue fécond et mutuel entre les praticiens et les chercheurs, chacun se nourrissant des apports de l’autre.

Philippe Watrelot
Vendredi 3 novembre 2017


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Les billets consacrés à la Biennale internationale de l’éducation nouvelle
Billet n° 2 : Sciences et pédagogie
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