jeudi, novembre 02, 2017

Vous avez dit “éducation nouvelle” ? #BIEN17


Du 2 au 5 novembre se tient à Poitiers la première biennale internationale de l’éducation nouvelle organisée par six mouvements et associations pédagogiques (CEMEA, Crap-Cahiers Pédagogiques, Fespi, ICEM-Pédagogie Freinet, FI-CEMEA et GFEN). Je vais évidemment participer à cet évènement qui va rassembler près de 250 personnes.
C’est pour moi une évidence tant cela correspond à mon histoire personnelle. J’ai milité aux Cemea pendant une vingtaine d’années (dès l’âge de 18 ans) et je suis devenu ensuite adhérent du CRAP-Cahiers Pédagogiques. Pendant ma présidence de cette association, j’ai contribué à entretenir et construire des réseaux avec les autres mouvements pédagogiques et associations complémentaires de l’école pour renforcer ce qui nous rassemble au delà des logiques d’appareils. C’est donc un courant de pensée qui se réunit à Poitiers et aussi un peu une famille qui se retrouve.
Je vais essayer durant ces quelques jours, dans la mesure du possible, de rendre compte des débats. Les tweets, pollués par les haineux et limités par les contraintes techniques ne me semblent pas le bon moyen de faire partager les travaux et mes réflexions. C’est donc le bon vieux format du billet de blog que je vais utiliser.
Avant même le début de ces rencontres, commençons par revenir sur cette expression curieuse d’«éducation nouvelle», son histoire, son présent et les défis à relever...


Une éducation pas si nouvelle.
Avec vous vu le très beau documentaire “Révolution école” ? Ce film de Joanna Grudzinska, basé sur de nombreuses archives inédites, retrace l’histoire de la  Ligue internationale de l’Éducation nouvelle durant l’entre deux-guerres.  Ces rassemblements internationaux rassemblent à l’époque des pédagogues et des pédagogies toujours bien connues aujourd’hui, Montessori, Steiner, Freinet, A.S. Neill (Sumerhill), Janusz Korczak...
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Ces personnes ne sont pas forcément toutes d’accord entre elles. On voit même apparaitre rapidement des débats qui sont toujours vifs aujourd’hui. Mais ils s'accordent dès 1921 sur une définition qu’il est utile de rappeler : « L’éducation nouvelle consiste à favoriser le développement aussi complet que possible des aptitudes de chaque personne, à la fois comme individu et comme membre d’une société régie par la solidarité. L’éducation est inséparable de l’évolution sociale; elle constitue une des formes qui la déterminent. Le but de l’éducation et ses méthodes doivent donc être constamment révisés, à mesure que la science et l’expérience accroissent notre connaissance de l’enfant, de l’homme et de la société . »
En fait, cette réflexion sur l’éducation commence dès la fin du 19ème siècle mais elle trouve une acuité plus importante après le traumatisme de la Première guerre mondiale (ce que montre très bien le documentaire “Révolution école”). C’est bien un projet politique qui s’exprime autour des idées d’émancipation, de coopération et de solidarité.
« L’éducation nouvelle prépare, chez l’enfant non seulement le futur citoyen capable de remplir ses devoirs envers ses proches et l’humanité dans son ensemble, mais aussi l’être humain conscient de sa dignité d’homme. » (principe du groupe français d’éducation nouvelle)
C’est aussi l’idée forte que chaque individu est éducable et capable si on lui en donne les moyens. Ce que résume très bien le premier des « principes qui guident notre action » formulé en 1957 par Gisèle de Failly, l’une des fondatrices des CEMEA : «Tout être humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie. Il en a le désir et les possibilités. » On retrouve aussi la même idée dans le slogan du GFEN « Tous capables » ou dans le postulat d’éducabilité formulé par Philippe Meirieu. Cela semble aujourd’hui une évidence ? Pas si sûr, à l’heure où le fatalisme social et l’idéologie des dons ou du mérite individuel fait un retour en force.
“Agir” c’était l’autocollant que j’avais mis à l’arrière de ma première voiture alors que j’étais animateur de centre de vacances et formateur (à l’époque on disait encore instructeur) aux CEMEA. C’était un des slogans de ce mouvement et j’en aimais la polysémie. D’abord évidemment parce que je me définis comme un militant ou un « activiste » en tout cas quelqu’un qui ne se résigne pas à un état de fait et qui cherche à faire advenir une situation meilleure. Mais aussi parce que l’activité est au cœur de la pédagogie nouvelle. L’enfant est un être social et il apprend par la coopération et la confrontation à des situations et des expériences personnelles et collectives. L’enjeu pour l’enseignant, l’éducateur, c’est de créer un « milieu », des dispositifs qui permettent de construire ces apprentissages. Faire apprendre plutôt que « transmettre ». Aujourd’hui encore, cela ne va pas de soi. La passivité, l’inculcation, l’ « école assise » pour reprendre une vieille expression, revêtent de nouveaux atours mais continuent à être la règle dans bon nombre de classes. 
Une autre caractéristique essentielle de l’éducation nouvelle c’est l’idée que l’éducation est globale. On envisage l’enfant dans toutes ses dimensions et pas seulement l’élève. L’éducation ne peut être seulement « scolaro-centrée ». C’est la raison pour laquelle, les associations complémentaires de l’école sont une partie importante de ce réseau et de ce courant de pensée. C’est pour cela que les centres de vacances et de loisirs, les activités péri-scolaires ou culturelles ont été investis par les militants de l’éducation nouvelle.


Des idées vivantes et menacées
Les mouvements d'éducation nouvelle ont donc une histoire. Mais ils ont aussi un présent. Mais le fait même que le qualificatif « nouveau » soit toujours utilisé pose question et montre bien que leurs valeurs restent précaires . Dans ces temps troublés où les repères habituels ne sont plus toujours pertinents, où le populisme éducatif se développe et où la « réforme » est vue comme une menace et la remise en cause d’un certain nombre d’acquis, les risques sont nombreux pour l’éducation nouvelle.

Le premier risque est de se transformer en une sorte de musée de la pédagogie ou de « réserve d’indiens ». C’est un réel danger qui est renforcé par les attaques contre les « pédagos ». On risque alors dans les mouvements pédagogiques de cultiver une sorte de repli et d’entre-soi rassurant pour se protéger. La pureté cultivée en circuit fermé conduit au complexe de l’assiégé et du « juste » avec parfois une forme d’arrogance. L’enjeu c’est celui de l’ouverture et de l’engagement dans le monde, dans la société. Le système éducatif a besoin des militants de l’éducation nouvelle partout où il est question de lutter contre l’échec scolaire, l’évaluation et la sélection précoces, l’activité sans but ni sens...  
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Comme le dit  le slogan du CRAP « changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école » on ne peut envisager l’un sans l’autre. Ce que dit aussi cette citation de Celestin Freinet : « Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école ; mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent, activement ou plus souvent passivement, hélas ! pour l’action militante, et restent dans leur classe de paisibles conservateurs, craignant la vie et l’élan, redoutant l’apparent désordre de la construction et de l’effort.» (Célestin Freinet, L’Éducateur prolétarien n° 1, oct. 1936)

L’autre danger est paradoxalement celui de l’établissement. Comme je l’ai déjà souligné dans des billets précédents, il y a vis-à-vis de la pédagogie « nouvelle », une sorte d’inversion des valeurs. Ce discours “pédago” qui était un discours de rébellion du temps de Freinet (obligé de quitter l’EN pour mener à bien son projet)  est devenu aujourd’hui un discours “officiel”. On peut considérer qu’il ne s’agit que d’une vulgate mal digérée et plaquée sur une structure qui reste bureaucratique et rigide mais il est clair que les mots et les concepts qui étaient ceux de l’éducation nouvelle sont aujourd’hui aussi ceux du ministère, de l’inspection, de l’OCDE… Et donc le pédagogue n’apparait plus comme le “rebelle” mais, aux yeux de certains, au contraire comme l’allié objectif du pouvoir.
Cela a pour effet que le conservateur peut se tailler à bon compte un costume de rebelle face à l’institution. Et cela fait malheureusement sens pour des enseignants qui ont toujours vécu leur métier comme un métier indépendant et individualiste et avec beaucoup de méfiance à l’égard de la hiérarchie.
L’enjeu c’est de conserver (ou de retrouver) cet esprit d’innovation et de rébellion tout en agissant aussi pour transformer l’école, ici et maintenant. La radicalité révolutionnaire peut aussi conduire à un splendide isolement évoqué plus haut.

Enfin, l’éducation nouvelle s’incarne aujourd’hui dans des mouvements et associations qui comme toutes les structures sont confrontés au manque de moyens, à des problèmes de subventions, de vente de leurs « produits », d’emplois etc. En d’autres termes, les problèmes de « boutique » et les logiques économiques peuvent l’emporter sur la nécessité du débat d’idées et la réflexion sur les pratiques. Pour avoir été président d’association, je peux témoigner que ce risque est grand que l’urgence l’emporte sur l’essentiel.
Il s’agit de se doter des moyens de l’autonomie financière (et donc aussi politique) pour éviter de tomber dans la course aux subventions et à une recherche de ressources chacun pour sa propre “boutique” qui fasse oublier la réflexion collective. A cet égard, il faut saluer cette initiative de créer une biennale qui montre que la réflexion pédagogique est bien vivante.



Des défis pour demain
Les mouvements d'éducation nouvelle ont donc une histoire. Ils ont un présent. Il faut aussi écrire leur avenir.
Gisèle de Failly, déjà citée, écrivait : « Les fondateurs de l'éducation nouvelle ont eu, dès l'origine, ce souci de souligner que leurs réflexions, les idées auxquelles ils aboutissaient étaient valables fondamentalement, mais qu'elles étaient non seulement susceptibles de progresser et de s'enrichir, mais qu'il était indispensable et inévitable qu'elles se transforment ».
La réflexion pédagogique ne peut se complaire dans le passé même si celui-ci est une boussole indispensable. Il lui faut tenir compte des évolutions actuelles.
Il ne s’agit pas ici pour moi, de préjuger de ce qui se dira durant cette biennale. Mais il me semble qu’il faut aujourd’hui répondre à un certain nombre de défis qui ne se posaient pas dans les mêmes termes il y a cent ans...

En premier lieu c’est la question de la lutte contre les inégalités qu’il faut sinon re-questionner du moins reformuler. C’est ce que nous invite à faire François Dubet dans un texte récent, qui me semble  un bon point de départ à la réflexion. Alors que le ministre actuel ne cesse d’évoquer pour le critiquer, l’ « égalitarisme » et semble privilégier une approche individuelle des inégalités au détriment de la prise en compte des inégalités sociales, il est important que nos mouvements se reconstituent une réflexion sur cette question.

Les neurosciences semblent être devenues aujourd’hui la nouvelle panacée et l’horizon indispensable de l’ « efficacité » pédagogique. L’éducation nouvelle s’est toujours appuyée sur les travaux de la recherche. D’ailleurs il est intéressant de constater que bon nombre de concepts mis en avant par les recherches récentes ne font que confirmer les intuitions des grands pédagogues. Comment intégrer ces nouveaux apports sans tomber dans le scientisme et en laissant le dernier mot aux praticiens pour mettre en œuvre une pédagogie qui n’oublie pas les autres sciences mais aussi les valeurs

J’ai beaucoup agi et écrit autour de la question de l’innovation. Je ne vais pas ici y revenir longuement. Mais cet aspect doit être lui aussi redéfini alors que le terme devient un repoussoir pour une bonne partie de l’opinion enseignante. Et cela, nous renvoie aussi à la définition du périmètre de cette innovation. Ce qui semble se développer aujourd’hui c’est tout un secteur privé qui prospère sur les lacunes et les difficultés du secteur public à se réformer. Cette question n’est pas neuve. Il faut rappeler que dès l’origine, une partie de l’éducation nouvelle s’est faite dans des écoles privées. Il faut donc clarifier nos positions sur la marchandisation de l’école sans anathèmes mais avec fermeté redire notre attachement à une école publique qui évolue au service de tous...


Philippe Watrelot

Le jeudi 2 novembre 2017

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Les billets consacrés à la Biennale internationale de l’éducation nouvelle

Billet n° 2 : Sciences et pédagogie
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