lundi, février 19, 2018

Réforme du bac et du lycée : une occasion manquée


Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur la réforme du bac et du lycée. On ne sait pas encore comment seront les épreuves : est-ce qu’elles seront semblables à ce qui existait jusque là ou va t-on aussi les faire évoluer ? On ne sait pas non plus s’il y aura des heures dédoublées, même si dans le contexte on peut être pessimiste sur ce point... Comment sera préparé le grand oral ? Que feront les élèves en spécialités après les épreuves terminales de Printemps ? Et bien sûr on ne sait pas comment vont s’organiser l’offre et la demande pour les futures spécialités : seront-elles toutes proposées partout ? ; quels seront les choix des futurs lycéens ?
On sait bien que la précédente réforme de 2009 (Chatel-Descoings) n’a pas réussi, alors que c’était son objectif, à remettre en question la hiérarchie des séries. La série S restait celle avec laquelle on pouvait « tout faire ».  Cette nouvelle réforme le permettra t-elle ? 
Sur tous ces points, nous n’avons pas de boule de cristal... 

Mais on a quand même quelques certitudes. Jusque là, le lycée était dans une tension entre une logique de culture générale et le lien avec le supérieur. Avec cette réforme, c’est clairement cette dernière logique qui l’emporte. On va vers plus de personnalisation. (Reste à savoir si celle-ci profitera à tous…) Les spécialités sont là pour déterminer des futures orientations post-bac plus diversifiées que par les séries. 

Cela se voit notamment avec l'apparition de nouveaux enseignements qui sont clairement profilés pour des orientations post-bac. Ainsi "Histoire-Géo, géopolitique & sciences politiques" semble très clairement destinée à ceux qui voudraient faire sciences po. De même "Droit et grands enjeux du monde contemporain" jusque là réservé aux L est maintenant ouvert à tous et comme son titre l'indique est destiné à orienter vers le droit. 
Pardonnez moi de m’appuyer sur ce que je connais le mieux, c’est-à-dire ma discipline, ce que cela signifie c’est que là où avant la série ES servait à faire à la fois du Droit, sciences politiques, économie-gestion etc. il y aura maintenant des profilages qui vont réduire le vivier pour les sciences économiques et sociales, même si on nous assure que l’enseignement de sciences politiques serait assuré par les profs de SES. Cette évolution porte en elle effectivement un changement dans la nature même de la discipline qui voit son caractère pluri-disciplinaire remis en question.
En outre cela conduit à une nouvelle polyvalence des enseignants ainsi qu’à une plus grande souplesse dans la gestion des spécialités pluridisciplinaires qui deviennent aussi des «variables d’ajustement » pour les établissements. 

Il se pose surtout un problème d’orientation.
De fait, on va demander à des adolescents de 15 ans à l’issue de la seconde de choisir des « profils » qui seront déterminants pour leur orientation post bac alors que les séries laissaient plus de marge et retardaient le moment du choix. Rappelons que dans d’autres pays, on a fait le choix inverse avec des premières années universitaires très généralistes et laissant ouvertes de nombreuses possibilités. 
Dès lors, les question qui se posent pour le futur lycée français sont cruciales : a t-on le droit à l’erreur ? Est-ce qu’on a le droit de ne pas savoir ce qu’on veut faire ? Comment aider au choix et à l’orientation ? Comment faire pour que ces choix ne soient pas discriminants socialement ? 


Cette réforme est donc aussi celle d’une occasion manquée. Aujourd’hui la scolarité réelle des élèves va au-delà de la scolarité obligatoire, et par conséquent la constitution de la culture commune s’étend sur une période plus longue. La comparaison avec d’autres systèmes éducatifs nous montre qu’il y a deux manières  de répondre à cette situation : amener les élèves à déterminer précocement le secteur d’étude dans lequel ils s’engageront (ça a été le choix allemand et ils en sont revenus) et les spécialiser en conséquence dès le lycée ; ou alors considérer le lycée comme un lieu de formation générale ouvrant vers de nombreuses possibilités d’études et retarder le moment du choix. 

L’occasion (manquée…) était de vraiment réfléchir à ce que devrait être une culture générale (ou une culture commune) du XXIe siècle. Ainsi, excusez moi d’insister, on aurait pu se demander si la connaissance du fonctionnement de l’économie et de la société, si des éléments de droit, n’étaient pas tout aussi indispensables que la philosophie ou la culture scientifique. Mais mener une telle réflexion demandait du temps. Il fallait réfléchir à la manière dont les disciplines scolaires, qui transmettent des savoirs et proposent des méthodes spécifiques, contribuent à cette culture commune. Cela aurait dû être un préalable à toute réforme du lycée. Cette étape a été sautée…
Au lieu de cela, on a voulu répondre à l’urgence  politique. Il s’agissait de cocher la case « engagement tenu » d’une des rares promesses de campagne d’E. Macron concernant l’éducation. Et de rendre cela visible avant la fin du quinquennat (tiens, le bac 2021, c’est dans cinq ans...) 

L’occasion d’une réflexion de fond a été manquée. On peut craindre aussi que la nécessité de convaincre les acteurs de l’éducation (plutôt que la seule opinion publique) et de les former, ne soit, elle aussi oubliée. Décidemment, le temps de l’éducation n’est pas celui du politique !




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