samedi, avril 22, 2017

67 millions de spécialistes de l’école





Je publie sur mon blog, ce texte écrit spécialement pour le Hors-Série numérique n° 46 des Cahiers Pédagogiques intitulé « Antidotes ». Ce dossier gratuit rassemble 25 textes publiés sur le site de la revue pour déconstruire et combattre les mensonges et idées reçues sur l’École. Ceux ci ne sont pas présents que durant les périodes électorales !  
Je vous encourage donc vivement à télécharger et conserver ce numéro où vous retrouverez des textes écrits par : Florence Castincaud - Catherine Chabrun - Grégory Chambat - Sylvain Connac - Jacques Crinon - Bernard Desclaux - Michel Develay - François Dubet - Marie Duru-Bellat - Hervé Hamon- Roger-François Gauthier- Michel Guillou - Claude Lelièvre - Françoise Lorcerie - Philippe Meirieu - Yannick Mevel - Pierre Merle - Liliana Moyano - Patrick Rayou - Yves Reuter - Bruno Robbes - Philippe Watrelot - Jean-Michel Zakhartchouk.

PhW
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« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé » Einstein. 


Tout le monde a déjà fait l’expérience lors d’un repas de famille ou une discussion entre amis. Il suffit d’aborder le thème de l’École pour que tout le monde ait un avis, tiré de sa propre expérience d’élève, d’ancien élève, de parent, de grand parent… Et en général frappé au coin du « bon sens » et s’appuyant sur quelques représentations et prénotions solidement installées et souvent marquées par la nostalgie. Il en est ainsi pour de très nombreux sujets : les méthodes de lecture, le « niveau » (qui baisse évidemment), l’évaluation, le « jargon » pédagogique, etc.

Ces discussions dans un cercle restreint sont-elles compensées par des débats de qualité dans les médias ? La réponse est malheureusement négative. Il est rare que la Presse nous offre cela. Il y a plusieurs raisons. D’abord les journalistes spécialisés y sont rares et on y invite peu d’ « experts ». Et surtout les médias (en particulier audiovisuels) aiment bien les polémiques et les débats binaires. Car la nuance n’est pas spectaculaire ! De plus, la parole y est confisquée par d'anciens bons élèves.


Où sont les « experts » ?
Une expérience (forcément singulière) fait-elle de vous un expert ? Par exemple, le fait d’être allé à l’hôpital fait-il de vous un expert des questions de santé ? Évidemment non. Il vous autorise à avoir un avis sur le service que vous avez reçu et à vouloir être mieux informé des enjeux de ce domaine, mais cela s’arrête là. L’avis des usagers de l’École est évidemment important et il mérite d’être entendu, L’École étant l’affaire de tous. Mais, il importe d’essayer à chaque fois de distinguer l’opinion, l’avis et l’expérience de chacun, des faits établis et d’une démarche de vérité scientifique.

Cette réflexion sur l’expertise s’applique aussi aux enseignants eux-mêmes. Le fait d’être un professionnel fait-il de vous un « expert » de l’École ? Dans le débat récent et très vif sur la réforme du Collège, on m’a souvent fait un procès en légitimité parce que j’enseignais en lycée et que je n’avais donc « pas le droit de parler de ce que je ne connaissais pas ». On déniait ainsi l’idée même de la représentation et des corps intermédiaires puisque je n’étais pas vu comme le représentant d’un mouvement pédagogique qui avait collectivement réfléchi sur ce sujet (et qui compte de nombreux enseignants de collège) mais comme un individu portant une parole singulière.

Le fait de travailler dans l’Éducation nationale fait-il de vous un expert ? Cela vous donne une vision et une expérience de votre travail qui est utile et nécessaire et qui doit être entendue. Mais, même si cette expérience est partagée par plusieurs, cela n’en fait pas pour autant une vérité absolue. Quelqu’un avec les mêmes conditions de travail peut avoir un avis différent sur tel ou tel dispositif. Renvoyer celui qui ne pense pas pareil que vous à une sorte d’étrangeté et le considérer comme « hors-sol » a été un procédé très utilisé pendant les débats récents sur le Collège. L’expertise suppose aussi un recul et une analyse qui peuvent être nourries par la réflexion collective.


Intellectuels et spécialistes
Ces débats mobilisent aussi les intellectuels qui sont souvent interrogés pour donner leur avis. Le fait d’être un intellectuel reconnu (et médiatique) fait-il de vous un expert de l’École ?

On se souvient du tollé qu’avait suscité la ministre Najat Vallaud-Belkacem lorsqu’elle avait qualifié en avril 2015, de « pseudo-intellectuels » ceux qui s’exprimaient sur les médias à propos de la réforme du collège. C’était évidemment une erreur. Il s’agissait bien incontestablement d’intellectuels. Elle aurait plutôt dû parler de « pseudo-experts », car le fait d’être un « intellectuel » ou un éditorialiste n’autorise pas pour autant à parler sur tout. L’expertise dans un domaine n’est pas transférable à tous les sujets. Pour eux, il y a une responsabilité plus grande : on devrait être fondé à émettre une opinion si et seulement si on a pris la peine de se renseigner avant de donner son avis...
Si l’on peut avoir de l’indulgence pour ceux qui s’expriment sans connaitre parce qu’ils subissent le poids des préjugés et des prénotions, on en a moins pour l'ignorance quand elle est le fait des savants.

Les sociologues, les philosophes, les historiens, les économistes, les psychologues spécialisés dans l’éducation existent mais ils sont peu sollicités et leur parole est rarement entendue. Cela tient à plusieurs raisons.

Il y a d’abord le fait que ce que dit l’analyse scientifique est bien souvent contre-intuitif et va à l’encontre de ce que dit l’expérience immédiate. Ce n’est pas propre aux sciences sociales et humaines. Si on s’en tenait à sa propre perception et pas à la science on pourrait penser que la terre est plate…!

De fait, il y a aussi une sorte de méfiance à l’égard des sciences de l’éducation que certains n’hésitent pas à qualifier de pseudo-science voire d’imposture. Ce qui est un moyen de faire retomber le débat dans le sens commun en déniant l’idée même qu’il puisse y avoir des experts.
Ensuite, et cela n’est pas contradictoire, parce que la « neutralité axiologique » peut être souvent contestée. En d’autres termes, il y a souvent un soupçon de parti-pris qui amène à disqualifier l’analyse, jugée alors comme une opinion.  

Enfin et surtout les vrais spécialistes de l’École, souvent effrayés à juste titre par la teneur du débat et sa violence, hésitent à s’y confronter et préfèrent s’abstenir. C’est ainsi que seules quelques rares personnalités prennent les coups et concentrent les attaques. On pense évidemment à Philippe Meirieu qui a littéralement « incarné » la pédagogie dans les médias pendant tant d’années.


Oppositions binaires et représentations
Connaissances/compétences, didactiques/pédagogie, enseignement/éducation, bienveillance/exigence, motivation/effort, laxisme/rigueur, savoir/élève… Le débat sur l’éducation est plein de ces fausses oppositions que j’avais déjà essayé de recenser.  Avec évidemment en tête de liste Républicains/Pédagogues. Le débat sur l’École mérite mieux que ces oppositions binaires et stériles. Elles pourrissent le débat sur l’éducation. Il est vrai que la nuance et la complexité ne font pas bon ménage avec les débats simplistes qu’affectionnent les médias. Il nous faut essayer de comprendre comment elles se construisent et s’alimentent.

La nostalgie d’une école mythifiée est un puissant ressort de cette construction. « C’était mieux avant », tout le monde l’a déjà plus ou moins dit. D’autant qu’avec le tri opéré dans les souvenirs, on a tendance à idéaliser ou ne retenir que les aspects positifs de la période qui précède. Le souvenir qu’on a de l’École d’autrefois est amplifié par l’imagerie produite par les films, les romans et les médias. La gloire de mon père de Marcel Pagnol, le film Être et avoir, toutes les images sur les « hussards noirs de la République », ont contribué à forger le mythe de cette École passée qui semblait imperméable à toutes critiques et constituer un des lieux sacrés de la République.

On en oublie que l’École de la troisième République a été fondée sur le principe méritocratique et sur la volonté de renouvellement des élites. Et la sélection est inscrite dans l’ADN même de cette école et donc par ricochet dans l’esprit même de nos concitoyens. D’où l’attachement aux notes ou bien encore toutes les lamentations sur « le niveau qui baisse », la « baisse des exigences » et le bac qui est « donné ».


Nostalgie, déclinisme et réaction
Ces représentations vont bien au delà de la simple nostalgie. Elles sont trop souvent au service d’une pensée décliniste et d’un discours réactionnaire. Sans chercher très loin, il suffit de relire les interventions de Nicolas Sarkozy, qui fustigait l’ « esprit de 68 » et qui, en meeting à Lille, le 8 juin 2016, estaimait que les militants du « parti pédagogique » se sont « échinés à détruire méthodiquement le respect de l’autorité, l’apprentissage de la langue, la transmission de notre histoire nationale, de nos mœurs, de nos valeurs ». La figure du « pédagogiste » (forcément délirant voire « assassin ») est un épouvantail facile dans certains discours conservateurs. C’est ce que ne manque pas de faire un  des candidats à chacun de ses meetings en parlant des « pédagogistes prétentieux»
En fait, le discours sur l’École est, de plus en plus explicitement, l’expression d’une pensée réactionnaire. La mise en avant du « mérite » et la dénonciation de l’ « égalitarisme », la promotion de l’apprentissage pour ceux qui ne sont « pas doués pour l’école », sont autant d’éléments de langage qui relèvent de ce discours conservateur et de réaction.

De plus, en désignant un bouc émissaire, on évacue la complexité des situations. Le procédé rhétorique qui consiste à se fabriquer son propre ennemi (« stratégie de l’homme de paille ») en la personne du pédagogiste s’accompagne aussi d’une autre posture. Elle consiste à dénier aux autres une qualité qu’on s’attribue à soi-même. Tout se passe comme s’il y avait eu une sorte de hold-up sémantique où plusieurs mots (exigence, savoir, excellence, rigueur, et bien d’autres) avaient été confisqués par ceux qui se réclament de la tradition et de la préservation d’une École qui serait en train de disparaitre.

Et c’est ainsi que se construisent ces oppositions qu’on évoquait plus haut. Pourquoi ne serait-on pas à la fois « exigeant » et « bienveillant » ? Pourquoi faudrait-il choisir entre le savoir et l’élève ? Le travail de l’enseignant ne correspond pas à ces oppositions stériles. On ne choisit pas le matin avant de rentrer en classe de privilégier les compétences au détriment des connaissances ou l’élève plutôt que les savoirs.
Pour motiver les élèves il faut aller les chercher là où ils sont en leur proposant des activités qui partent de leur vécu. Et ce n’est pas être moins « exigeant » bien au contraire. De même est-ce prendre les connaissances très au sérieux que de soucier de la durabilité des acquis comme on le fait dans le travail par compétences. C’est être finalement peu exigeant (avec soi-même et avec le système dans lequel on travaille) que d’accepter qu’il produise tant d’échecs. 

Il s’agit donc de raisonner plutôt en « tension » entre deux pôles que de voir les débats de manière binaire. Comme le dit très bien Philippe Meirieu : « Il faudrait enfin qu'on arrive à sortir de cette méthode qui consiste à penser toujours sur le mode de variation en sens inverse, c'est-à-dire que plus je m'intéresse à l'élève, moins je m'intéresse au savoir ou plus je m'intéresse au savoir, moins je m'intéresse à l'élève ... »

Cette pensée binaire est alimentée aussi par les médias. L’opposition la plus connue et la plus classique est celle qui oppose « Pédagogues et Républicains ». Elle est bien pratique pour construire des pseudo-débats en deux colonnes, d’un côté les « Pour » de l’autre côté les « Contre ». Dans un tel cadre, la nuance est difficile à faire entendre.
Cela a particulièrement été sensible dans la séquence sur la réforme du collège. Invité dans les médias à de nombreuses reprises, il a été très difficile pour moi, dans les formats qui étaient proposés, de sortir de cet étiquetage. Il était alors presque impossible de faire entendre un soutien critique ou de discuter les conditions de mise en œuvre alors qu’on attendait de vous une pensée simple et tranchée. Cela a évidemment encore plus été amplifié dans les réseaux sociaux. Comment développer une pensée complexe en 140 caractères ?


Un débat confisqué par les bons élèves
Éditorialistes, journalistes, intellectuels, hommes politiques, ils ont tous un point commun : ce sont d’anciens « bons élèves ». Dans un système fondé sur la méritocratie, c’est d’ailleurs ce qui justifie leur place. Or, ce sont ceux-là qui parlent et qui contribuent à façonner l’opinion et à mettre tel ou tel sujet à l’agenda.  

Lorsqu’on invite un intellectuel à parler de l’École, on lui demande son avis sur un système qui lui a été plutôt favorable. Et souvent le/la journaliste qui lui pose des questions est dans le même cas. L’analyse est alors biaisée. Comment critiquer un système qui vous a fait réussir ? Comment penser l’idée même de « difficulté scolaire » ou d’échec scolaire quand cela n’a jamais été votre cas ?
Cela va même plus loin lorsque ceux qui tiennent un discours de préservation du système peuvent en être des « rescapés ». C’est-à-dire des personnes qui ont pu s’en sortir alors que rien ne les prédestinait à cela au départ. Même si  les statistiques les relativisent, il reste, et c’est tant mieux, des cas d’ascension sociale exemplaires. Le problème, c’est lorsque cela conduit à un discours facile qui nierait tout déterminisme social : « puisque moi, j’ai réussi malgré tout, pourquoi d’autres n’y arriveraient pas ? Quand on veut, on peut… »  Le discours sur le mérite s’en trouve alors renforcé et l’échec scolaire est  présenté comme un phénomène individuel et le résultat de l’absence d’efforts. Si on n’a pas saisi sa chance, on a que ce qu’on « mérite » !
Pour parler d’École ou d’autre chose, ceux qui sont en échec scolaire, ceux qui sont en situation de pauvreté, ont rarement accès aux médias. Ou alors c’est à la rubrique faits divers ou lorsque les banlieues et les quartiers « sensibles » s’échauffent...
Tout le discours très ambigu sur la « baisse de l’exigence » ou sur « les dangers de l’égalitarisme », voire la remise en cause du collège unique, peut donc être aussi lu comme un refus des plus inclus du système (classes favorisées et moyennes, y compris les enseignants) de lutter vraiment contre les inégalités en confisquant le débat sur l’École.

Le phénomène marche aussi pour la « mise à l’agenda », c’est-à-dire le fait de choisir quels seront les thèmes qui seront traités et leur hiérarchie dans l’information. Par exemple, chaque année nous avons droit à une rafale de sujets sur le bac : le plus jeune candidat, le plus vieux, la triche, les sujets, le coût de l’épreuve… Cela commence traditionnellement par l’épreuve de philosophie. En oubliant que celle-ci ne marque pas le début du bac mais seulement celui du bac général qui ne représente qu’à peine un tiers des bacheliers... Les bacs technologiques et professionnels sont rarement évoqués. On ne traite ce sujet que sous le seul prisme du bac général qui se trouve être celui où vont être sur-représentés les enfants des catégories les plus favorisées.
On s’aperçoit aussi que les véritables journalistes spécialisés dans l’éducation sont rares. Il y en a dans la presse écrite, un peu à la radio et encore moins à la télévision. Cette pénurie n’est pas de circonstance. Les sujets sur l’éducation, alors qu’ils touchent tous les français, y sont souvent jugés secondaires par les rédactions et souvent confiés à des journalistes de bonne volonté mais inexpérimentés. Ce qui, compte tenu des contraintes de production et des représentations évoquées plus haut, conduit bien souvent à une présentation caricaturale ou à la reproduction de discours figés et convenus.
Tout comme il y a des émissions sur la santé, il serait utile qu’il y ait des émissions de vulgarisation sur les enjeux de l’éducation dans les médias. Car l’éducation c’est en effet un sujet qui intéresse tout le monde. Mais plutôt que d’en parler sur le mode de la polémique caricaturale, les médias seraient bien inspirés d’en faire un sujet de connaissance et de culture. 


« L’École mérite mieux que ça ». Cela pourrait être la conclusion de cette réflexion.
On devrait se réjouir que l’École suscite tant de discussions passionnées chez les Français. Car cela prouve au moins que ce sujet ne laisse pas indifférent. Et un militant pédagogique ne peut qu’être sensible à cet intérêt. L’éducation, c’est l’affaire de tous.
Mais, tout comme nous le faisons en classe, pour que la discussion ne se limite pas à un échange un peu vain d’idées toutes faites et d’invectives, il faut produire les conditions d’un débat argumenté. C’est-à-dire déconstruire les prénotions, les préjugés, apporter de la connaissance (et admettre donc qu’il y en ait une !) et repérer les véritables enjeux. C’est la responsabilité de tous : politiques, médias et acteurs de l’École.


Philippe Watrelot


1 commentaire:

Mathieu Kessler a dit…

Tout d'abord, je souscris entièrement à vos analyses.

Pour sortir des polémiques (ou surnager !), quelques réflexes sont possibles :
a) éviter les débats abstraits avec des grands mots ou des grands modèles pédagogiques, demander à quoi pense l'interlocuteur quand il mobilise un grand mot ou un grand modèle. Quand on raisonne sur des exemples et des contre-exemples, on voit bien qui est expert et qui ne l'est pas, sans avoir à mobiliser un argument d'autorité toujours discutable : « Je suis expert. » (Et alors ? Si je suis expert, cela doit me permettre d'argumenter avec plus de facilité, nul besoin de l'utiliser comme un argument d'autorité, celui-ci sera toujours mal perçu dans un débat démocratique) ;
b) demander des solutions constructives et concrètes à des problèmes définis, puisque la critique est plus facile que la découverte de solutions cohérentes, puis examiner à fond la consistance des propositions faites par le camp adverse : on en connaît les contradictions et les limites ;
c) ne pas proposer de solutions avant d’avoir passé les autres au crible, idéalement, susciter ces demandes de la part des adversaires (mais alors que proposez-vous ?). Présenter le plus tard possible ce que vous défendez.

Ne pas se poser (ou se laisser introduire) en expert porteur de solutions exposées au feu des critiques, mais demander à être enseigné par des personnes qui parlent d'autorité. Vos interlocuteurs ont des prétentions, mais aussi des contradictions (méthode socratique). Plus facile à dire qu’à faire, je le reconnais, bien que je ne connaisse pas d’autre piste pour assurer… Enfin, parler des expériences des autres professeurs, ne pas se laisser enfermer dans son expérience propre par des collègues qui n’en ont jamais observé d’autres au travail, sauf quand ils étaient élèves.

Un expert en éducation doit avoir observé des pratiques diverses qu’il peut relater avec précision, tandis que le praticien qui invoque son vécu contre l’expert a un point faible dans le fait qu’il n’a pas vu de professeurs enseigner depuis des lustres. Un raisonnement typique : « c’est impossible », en fait la personne n’y arrive pas et trouve une échappatoire à sa culpabilité en déclarant que les exigences sont folles (montrer que si d’autres y arrivent, alors ce n’est pas impossible, mais éviter aussi de culpabiliser autrui). Les polémiques françaises ont en partie pour origine cette absence de culture de l’analyse et de l’observation dont nos professeurs ne sont pas responsables. Elles sont dues à des injonctions paradoxales de l’employeur, injonctions qui déclenchent des crises de rage partiellement justifiées. Il y a un fort besoin d’imitation (imitation au sens où on cherche à se construire un modèle à partir d’une diversité d’exemples) qui n’est pas satisfait chez les professeurs français, d’où ce raidissement chez certains, parce que faute de trouver des modèles à imiter (sans exclure la distance critique) dans leur vie professionnelle ils ont tendance à les chérir dans le passé ou à imaginer leurs propres pratiques sans les réfléchir (aux deux sens du terme).

Pour sortir du panier de crabes, il faudrait privilégier l’observation et l’analyse en termes d’efficacité par rapport à des objectifs clairs, sans quoi c’est la foire aux malentendus où se développent les procès en sorcellerie.

 
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