lundi, septembre 30, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 septembre 2013



- Malheur français - Réformer- Rythmes et blues - Roms – Chemin de l’école -



Un bloc notes moins énervé que la semaine dernière. On revient sur le “malheur français” avec une interview d’une économiste qui s’intéresse à ce sujet et au rôle de l’école dans cette construction. Une autre interview, celle d’Antoine Prost, va nous servir de point de départ à une réflexion sur la capacité de changement de l’École. On dira aussi quelques mots des rythmes, des Roms et on finira par une chronique cinéma…



Le malheur français
La France est un pays malheureux. Dans tous les classements internationaux, les Français voient la vie en gris. La probabilité qu'un Français se dise "très heureux" est ainsi inférieure de 20% à la moyenne des citoyens européens. L'économiste Claudia Sénik dans un article paru en avril 2013, étudie les "importantes variations internationales en matière de bien-être auto- déclaré". Elle observe que la dimension culturelle est importante dans cette perception (ou non...) du bonheur . Elle fait l'hypothèse que l’école joue un rôle important dans la formation de ces attitudes mentales.
Elle est interviewée dans Le Nouvel Obs : “[...] il est culturellement mal considéré en France de paraître trop optimiste : on se moque beaucoup des Américains souriants et de leurs "That's great ! Wonderful !", parce que nous sommes la civilisation du doute et de l'esprit critique. [...] L'école est censée valoriser les compétences les plus diverses : le raisonnement logique, la créativité, la capacité à entreprendre, à travailler en équipe... Or, l'école française sélectionne sur un nombre très restreint de qualités - en gros, le français et les mathématiques. Elle sélectionne par l'échec une élite trop étroite. Et son système de notation est probablement plus sévère que chez nos voisins. Les petits Français devenus adultes n'ont guère développé l'estime d'eux-mêmes s'ils ont plafonné à 10 ou 12 durant toute leur scolarité... ”.
Certes, cette économiste n’est pas une pédagogue et confond allègrement disciplines et compétences. Mais il n’en reste pas moins que son intuition sur le rôle de l’École dans la fabrication du “malheur français” mérite d’être entendue. Et la notation n’est que le reflet d’un système éducatif construit pour sélectionner et pour créer de l'émulation. Il y a donc une culture de la note et plus encore l’idée que l’évaluation est associée à la sélection. Et la sélection produit l’échec à tous les niveaux et se vit sur le mode du manque. Elle ne conduit pas, en tout cas, à une bonne estime de soi.
Autre facteur connexe qui conduit au malheur français : l’ « esprit de critique » poussé à l’extrême combiné à la peur de l’échec. Je déplorais la semaine dernière l’absence de culture du “work in progress” et la difficulté à accepter les ajustements. C’est peut-être à rapprocher aussi du constat que dans les enquêtes PISA, les petits français sont les champions de la non-réponse : ils préfèrent ne rien mettre que de commettre une erreur…
Toute ressemblance avec un système éducatif à réformer serait purement fortuite…

Réformer
Dans Libération, une interview du grand historien de l’Éducation Antoine Prost nous donne à réfléchir. Signalons avant d’aller plus loin que cet entretien annonce la parution prochaine d’un livre “Du changement dans l’école” (Seuil), où il analyse la longue histoire des réformes, plus ou moins réussies, dans l’Education nationale. Ce livre sera le prochain “livre du mois” des Cahiers Pédagogiques.
Que dit ce grand expert du système ? D’abord que depuis très longtemps l’éducation nationale ne cesse de se réformer. Mais, souligne t-il, “nous avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. En d’autres termes, le temps pédagogique n’est pas celui du politique. Songeons que les premiers effets des modifications de programmes ne se voient au minimum qu’au bout d’une décennie. Mais Antoine Prost nous indique aussi que certains changements se font sans “réforme” simplement parce qu’il y a une sorte de consensus et que tout le monde ou presque s’en empare.
C’est d’ailleurs là que se situe la condition première de réussite des réformes. Et cela signifie aussi que la plus difficile à réaliser est la réforme de la pédagogie. “L’enseignement se joue dans le quotidien des classes, et pas dans les couloirs du ministère ou des rectorats. On ne peut pas le changer par en haut. Les gens se modifient eux-mêmes ou ils ne changent pas. Pour que la réforme soit acceptée, il faut qu’elle vienne des profs. Ce qui est surprenant ici, c’est l’écart entre le discours public et le discours privé. Il y a une quantité de professeurs qui font des choses très innovantes, qui se décarcassent, inventent, se passionnent. Alors que le discours public est plutôt de dire : ça va mal, on nous méprise, on ne peut rien faire, on manque de moyens. Un discours de la plainte.
Cette remarquable citation d’A. Prost résonne particulièrement après notre couplet précédent sur “le malheur français”. La déploration est en effet un mal français qui souvent pollue le débat et empêche d’avancer. Mais je retire de mon expérience d’enseignant et de militant pédagogique, qu’il faut en effet distinguer le discours des enseignants forgé sur une représentation idéalisée et mythifiée du métier et la réalité des pratiques de ces mêmes enseignants qui, elles, sont le produit des circonstances et de la nécessité. En d’autre termes, méfions nous des discours et des “postures” et attachons nous à accompagner les enseignants dans l’évolution constante de leurs pratiques. C’est notamment le rôle des mouvements pédagogiques et d’une revue comme la nôtre.
Dans l’opinion publique et les médias, on a d’ailleurs souvent présenté les enseignants français comme rétifs au changement, conservateurs et peu enclins à faire évoluer leur pratique. Et dans les politiques éducatives menées ces dernières années, c’est la méfiance qui a prévalu. Elle se fonde sur cette représentation et aboutit à une volonté de vouloir faire passer “en force” des réformes en s’appuyant sur les cadres intermédiaires (chefs d’établissement, inspecteurs,…). Antoine Prost nous dit aussi que la solution du changement est dans l’ “empowerement” des enseignants bien plus que dans leur stricte obéissance à des injonctions venues. C’est un changement de perspective important à faire pour le management, comme nous le dit aussi Hervé Hamon dans une tribune parue dans le dernier n° des Cahiers Pédagogiques
Réforme ? Vous avez dit réforme ? . Philippe Meirieu cite souvent cette phrase : “L’École fait des réformes, la médecine fait des progrès”. Que vaut-il mieux ? des réformes ou des progrès réels ? Le mot réforme est en plus générateur d’effet pervers car cela suppose que ce qui était fait avant n’était pas bien et cela crée évidemment des résistances. Pire encore, dans un métier où l’on se met en “je” et où la dimension personnelle et affective est très forte dans la construction de l’identité professionnelle, la réforme est vécue alors comme la remise en cause de son propre travail sinon de sa propre personne. On peut rajouter aussi que dans la culture anti-autoritaire des enseignants, il y a une réticence à obéir aux injonctions. Alors qu’on fera spontanément la même chose… La métaphore citée plus haut nous interpelle aussi sur la manière de faire des progrès. Pour progresser, la médecine s’appuie sur les savoirs partagés la diffusion et la capitalisation des innovations. Or, dans l’éducation nationale, malgré des progrès dans la mutualisation des supports de cours il y a encore une réelle difficulté à diffuser les innovations et à analyser et évaluer les dispositifs mis en place. Il y a du boulot pour une revue professionnelle des enseignants…

Rythmes et blues…
La semaine écoulée a été marquée par une certaine escalade dans la polémique sur la réforme des rythmes scolaires. Jusque là, celle-ci semblait se limiter à la sphère éducative et syndicale. Mais avec les déclarations de Jean-François Copé, le président de l’UMP, elle a pris un tour politique. Comme nous l’évoquions dans une des revues de presse, celui-ci a demandé le report du passage à la semaine de 4,5 jours et a appelé les mairies UMP à faire la grève des nouveaux rythmes scolaires en 2014… année des élections municipales. Des seconds couteaux de l’UMP comme Jean-Michel Fourgous dans les Échos, lui emboite le pas. L’enjeu pour l’UMP est donc clairement de faire de cette réforme un des enjeux des prochaines municipales. Sûrement dans l’intérêt de l’enfant…
Marie-Caroline Missir dans un article de l’Express.fr considère qu’il s’agit en la matière d’une forme d’amnésie collective et de manipulation de l’opinion. Et elle met dans le même sac, l’UMP mais aussi les syndicats d’enseignants et les fédérations de parents d’élèves. Elle s’interroge “Qui a commandé dès 2011 un rapport d'expert sur les rythmes scolaires, concluant à la nécessité retour à la semaine de 4 jours et demi? La droite, en la personne du ministre Luc Chatel, bras droit de... Jean-François Copé. Qui a installé une conférence nationale des rythmes scolaires, plaidant pour un rééquilibrage de la semaine en primaire, unaniment salué par les syndicats? Encore Luc Chatel. ”. L’instituteur blogueur fait le même constat dans un billet récent où il affirme que l’UMP est “doublement à l’origine de la réforme ”. D’abord parce que c’est “ l’UMP, alors au pouvoir, qui a décidé via Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, de supprimer l’école le samedi matin en 2008, sans concertation et au mépris de toutes les recommandations, sans penser une seconde aux conséquences en classe (quatre jours de classe surchargés en raison de programmes inchangés…), sans surtout songer à l’intérêt des élèves. ”. Ensuite parce que Chatel a engagé des concertations pour la rétablir mais qu’il n’a pas eu le courage politique d’aller au bout.
Des concertations qui étaient assez unanimes. Marie-Caroline Missir rappelle que les syndicats présents dans les différentes instances étaient tous d’accord pour le retour à la semaine de quatre jours et demi. Elle rappelle au passage que 2014 n’est pas seulement une année d’élections municipales mais aussi d’élections professionnelles pour les enseignants. Décidemment, le calendrier éducatif ne coincide pas avec l’agenda syndicalo-politique et on comprend mieux la volonté initiale de Vincent Peillon d’installer cette réforme rapidement. Raté…
Revenons à Jean-François Copé. Pour Lucien Marboeuf, “Copé se contrefout des élèves, se contrefout de l’école, se contrefout du contenu de la réforme, ce qui l’intéresse est le levier qu’elle peut constituer pour faire campagne en 2014. […] Son appel à la "grève" ne critique rien, n’argumente pas, ne construit rien, n’apporte rien. Une fois de plus, l’UMP s’empare d’une question d’éducation sous le seul angle de son coût (quitte à manipuler les chiffres) et perd une occasion de montrer qu’elle s’intéresse vraiment à l’école.”. La manipulation des chiffres, elle se vérifie avec un article “détecteur de mensonges” du JDD.fr . Un problème avec les “fondamentaux” ?
Avec une opinion et des médias si prompts à juger d’une politique, l’irruption de cette critique partisane ajoute de la confusion. On ne peut nier qu’il y ait des problèmes et que cela nécessite des ajustements mais cela mérite t-il cette radicalisation des positions ? D’une certaine manière, la politisation brouille le message des professionnels qui s’inquiètent sincèrement de la mise en œuvre de cette réforme. Pour certains, face à cet emballement, il y a de quoi avoir le blues…
Va t-il rester de la place pour la critique ?s’interroge Lucien Marboeuf. En “clivant” le débat et donc en le figeant, on rentre dans une logique binaire : “Pour” ou “Contre” peu propice à la nuance. Paradoxalement, on peut se demander si JF Copé n’est pas en train de rendre service à Vincent Peillon…

Roms
Tout enfant est éducable, nul peuple n'est délinquant ou marginal par nature”, a affirmé la ministre George Pau-Langevin lors d’un colloque récent sur la question de l’intégration des Roms organisé par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement. Elle a également assuré que la France saurait relever le défi de l'intégration de “ ces nouveaux déshérités”, à condition que “ les efforts so(ient) justement répartis dans notre pays et à travers les différents pays d'Europe.”.
On trouve la même tonalité dans un article du Nouvel Obs.fr . Marilisa Fantacci, coordinatrice du collectif Romeurope, veut briser un stéréotype : “ A une écrasante majorité, les parents roms veulent offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Et ils savent que cet avenir passe par l’école.” Le problème, selon elle, est que les communes sont nombreuses à refuser de scolariser ces enfants. “ Nombre d’entre elles affirment qu’elles ne peuvent le faire parce que les familles ne sont pas domiciliées sur la commune, mais c’est un faux prétexte”, tranche Marilisa Fantacci. “ Tout ce que le loi réclame aux familles est un document d’identité et un carnet de vaccination à jour.
Même tonalité chez Véronique Decker, directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui accueille une petite quarantaine d’enfants. “ On essaie de faire croire qu’il existe une spécificité rom et qu’il n’auraient pas la vocation d’apprendre à l’école, cela n’a pas de sens ! Bien sûr que ces enfants ont des difficultés scolaires importantes, bien sûr que le suivi parental est parfois défaillant, mais pas plus que chez les familles africaines dans les années 70 et 80 ou dans les bidonvilles qui accueillaient les Portugais. C’est une question sociale, pas ethnique !
Signalons pour alimenter la réflexion sur ce thème que les Cahiers Pédagogiques ont produit, sous la coordination de Régis Guyon et de Michaël Rigolot, un hors-série numérique “À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs . Sur notre site, vous pourrez aussi voir des témoignages vidéos d’enfants et de parents sur leurs rapports avec l’école. Des outils de compréhension et d’analyse pour dépasser les clichés et les réponses simplistes à une situation complexe.

Sur le chemin de l'école
Nous avons parlé dans la revue de presse de Mercredi du film "sur le chemin de l'école" . Dans un article paru dans Slate.fr la journaliste Louise Tourret (Rue des Écoles sur France Culture) porte un regard mitigé sur ce documentaire. Si elle a versé sa petite larme en regardant “ sur le chemin de l'école” elle trouve aussi des limites à ce film qui “ tient sur une seule intention de réalisation: «spectaculariser» la motivation de ces enfants à apprendre. Il ne dit rien d’autre et rien de plus.”. Elle s’étonne aussi qu’on voie si peu les parents et même le fonctionnement des écoles elles-mêmes.
Mais de cette critique je retiens surtout la chute : “ En revanche Zahira, Carlos, Samuel et Jackson possèdent quelque chose de très précieux, à l’inverse des Français, y compris des plus jeunes: ils pensent que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. ”.
Nous revoilà avec le “malheur français…!

Mais que cela ne m’empêche pas de vous souhaiter une bonne semaine et une bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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