samedi, décembre 13, 2014

Bloc-notes de la semaine du 8 au 14 décembre 2014





- Quel avenir pour les notes ? – Mal nommer les choses ? – Éducation Prioritaire - Cantines - .



Cette semaine encore, l’actualité éducative a été marquée par le débat sur la note et l’évaluation avec son acmé en fin de semaine avec les « Journées de l’évaluation ». Nous envisagerons dans ce “bloc-notes” la suite de ce débat avec les propositions du jury réuni à cette occasion mais nous continuerons à nous intéresser aussi à la manière dont ce débat a été traité dans les médias.
Il faut aussi revenir sur la réforme de l’éducation prioritaire car c’est le 17 décembre prochain que la ministre devrait révéler la nouvelle carte des REP et REP+ dans un climat de tensions et revendications.
Pour finir, nous irons faire un tour à la cantine, où ça ne sent pas toujours très bon...




Quel avenir pour les notes ?
À peine terminées les « Journées de l’évaluation », qui se sont tenues deux jours durant, les 11 et 12 décembre à Paris, le jury de la conférence nationale s’est réuni de nouveau, samedi 13 décembre, pour rédiger « quatre à cinq » propositions destinées à la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem. Ce seront des propositions “originales mais pas trop” selon son président Étienne Klein dans La Croix . Il ne s’agira pas, dit-il, de supprimer les notes pour les remplacer par un autre code. “Étant physicien, je sais qu’on ne change pas la nature d’un problème par un changement de variable ” rappelle t-il.
Étienne Klein a parait-il donné comme consigne à ses membres de « ne pas mettre en cause le travail des enseignants ». Il s’agira plutôt de répondre aux besoins des nombreux professeurs qui « se sentent désarmés, peu formés et ont besoin d’aide» en matière d’évaluation. L’une des pistes sera donc de «leur donner des outils supplémentaires pour leur permettre de modifier leurs méthodes».Officiellement, nous redit La Croix les recommandations seront adressées « mi-janvier » à la ministre de l’éducation, qui rendra des arbitrages.
Il y a plusieurs manières d’envisager la suite de ce grand débat et ses effets sur le système éducatif.
Quelques indices nous incitent à ne pas être très optimistes. Le discours très prudent du président du jury tout comme les propos de la Ministre nous font craindre à un rétropédalage... On peut craindre que tout cela n’aboutisse à un consensus mou (la spécialité de l’Éducation Nationale ?). Rappelons que ce sujet de l’évaluation (évoqué dans la loi de refondation qui parle d’“évaluation positive”) avait été lancé par Benoit Hamon mais qu’il n’avait pas eu le temps durant les 147 jours de son ministère de le mener à bien. Najat Vallaud Belkacem en a hérité. Mais le sujet a été aussi porté par la DGESCO et par le Conseil Supérieur des Programmes. C’est cette dispersion sur plusieurs organisations d'une même question qui est peut-être préjudiciable et conduire à un résultat faible au regard de l’ambition de départ.
Mais pour ne pas tomber dans la critique très répandue qui consiste à juger d’un dispositif avant qu’il ne soit abouti, il faut aussi voir les aspects positifs de ce débat. Peut-être aura t-il servi à faire la pédagogie de la pédagogie ? C’est que laisse entendre Michel Quéré, président du comité d'organisation de ces journées, interrogé par ToutEduc . Il exprime son optimisme et dit disposer "d'indices" qui donnent à penser qu'une "vraie réflexion" est à l'œuvre sur la distinction entre évaluation formative et évaluation sommative. En mettant ce sujet à l’agenda, on a peut-être contribué à amorcer cette réflexion et à faire évoluer (doucement) les pratiques. 
Si on avait mauvais esprit ( !) on se dit quand même que la typologie évaluation diagnostique/formative/sommative (formulée par Benjamin Bloom) ne date que de 1971... et qu’elle passe toujours pour du “jargon” pour bon nombre d’enseignants.
L’enjeu de ce débat n’est pas négligeable. Si la montagne accouche d’une souris, les dégâts peuvent être importants en termes d’images et par ricochet pour l’ensemble de la “refondation”. Car cela risque de perpétuer l’idée que l’École ne change pas. On ne peut s’empêcher de penser à cette phrase d’Antoine Prost à propos du sujet de son livre Du changement dans l’École (2014) : “tout se passe comme si l’on pouvait tout changer dans l’Education nationale sauf l’enseignement lui-même. Toutes les réformes sont possibles sauf la réforme pédagogique, malheureusement c’est la plus importante

Mal nommer les choses...
"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde." (Albert Camus)
L'évaluation des élèves ne se réduit pas aux notes, selon des experts ” ce titre trouvé sur le site de 20minutes a de quoi faire sourire ou bondir, c’est selon... Pourtant, on croirait un titre issu du Gorafi , ce site satirique spécialisé dans les fausses informations ou de son cousin Edukactus . Comme si on ne savait pas que ces deux mots ne sont pas synonymes ! Pas besoin d’être un « expert » pour cela ! Tous les profs le savent (même ceux qui sont “pour” les notes )...
Et puis, on réfléchit. Et on prend conscience que pour beaucoup de personnes, notamment (mais pas que) hors de l'éducation nationale, ce qu'écrit 20Minutes a effectivement tout de la révélation ...Et comme nous le disions plus haut, Il est utile alors de faire la pédagogie de la pédagogie. Mais le rôle des médias n’est pas toujours celui là !
La revue de presse du jeudi 11 décembre de Laurent Fillion signalait le traitement de cette question par France Inter dans le 7/9. On y entend Patrick Cohen se moquer avec un ton condescendant de la question des notes, puis Léa Salamé qui réduit la question à une simple transcription d'un code (les chiffres) à un autre (les lettres ou les couleurs) et n'entend pas ce qu'essaie de dire Michel Lussault (pdt du CSP) pour le ramener toujours à la même question. On se demande comment il faut analyser cette surdité.

1ère analyse : la presse aime les débats binaires. Mais ce n'est pas suffisant.

2ème analyse : les journalistes (généralistes) ne travaillent pas les sujets d'éducation. C'est moins prestigieux que les sujets politiques ou internationaux. Ils s'en tiennent donc aux clichés puisqu'ils n'ont pas travaillé...

3ème analyse : les journalistes sont d'anciens bons élèves. Les notes, ça les a fait réussir. Alors la question de l'échec scolaire, ça leur passe largement au dessus de la tête...
4ème analyse : il est plus facile de faire de l’humour ou de l’ironie que de faire un “lancement” sérieux.
5ème analyse : Dans les écoles de journalisme, il n’y a pas de module sur l’éducation (au contraire de la politique, la diplomatie ou même les sciences). Seuls les journalistes éducation ont une connaissance du sujet acquise “sur le tas”...
Heureusement, on a pu lire et entendre aussi des enquêtes plus rigoureuses et qui permettaient de comprendre concrètement les alternatives possibles. Toujours sur France Inter, le même jour, le “zoom de la rédaction” donnait la parole à Marc Berthou, un enseignant qui travaille avec des “ceintures de compétences”. Dans L’Express, Sandrine Chesnel propose un reportage dans un collège de Seine Maritime et n’hésite pas à rentrer dans le détail des dispositifs mis en place par les enseignants. Même démarche pour La Croix qui prend l’exemple des professeurs d’EPS pour expliquer ce que veut dire “noter” les élèves sans les décourager .
Ce sont ces reportages là, plus que les nombreux débats un peu vains où tout le monde se croit autorisé à avoir un avis qui vont peut-être permettre à l’opinion publique de comprendre qu’“évaluation” et “notation” n’étaient pas synonymes...

Éducation prioritaire
REP ou pas REP ? la question qui fâche”. C’est le titre de L’Obs . Le 17 décembre prochain, Najat Vallaud Belkacem, doit annoncer la nouvelle carte de l’éducation prioritaire. Et cette réforme s’annonce à hauts risques pour la ministre. Sans jouer les prophètes, on peut penser qu’un regain des manifestations et des mouvements de protestation est probable à la rentrée de janvier...
La carte de l’éducation prioritaire date, grosso modo des années 80. De plus, on a eu une extension de la définition de l’éducation prioritaire qui a abouti à ce qu’aujourd’hui près d’un quart des élèves scolarisés relèvent à des titres divers de l’éducation prioritaire. La succession et l’empilement des labels et des dispositifs contribuent à rendre la carte illisible. La nouvelle carte des REP (1.082 dont 350 REP+) regroupe quatre critères :
- le % d’élèves défavorisés,
- le % d’élèves boursiers,
- le % d’élèves en Zone Urbaine Sensible,
- et le % d’élèves en retard en sixième.
Mais comme le pointe L’Obs le ministère a mal communiqué sur la façon dont cet indice était utilisé, suscitant la méfiance et la contestation, qui s’expriment depuis trois semaines. Un article synthétique du Monde (signé Samuel Laurent) considère que l’argumentation de la Ministre utilise des raccourcis quand elle affirme que la situation n'a pas évolué en trente ans, alors qu'elle a connu pas moins de quatre grandes réformes, qui ont fortement modifié les moyens accordés, leur ciblage et la philosophie même de l'éducation prioritaire .
Une tribune de Yannick Trigance, secrétaire national adjoint du PS à l'éducation sur le Huffington Post tente de faire la promotion de cette réforme considérée comme une “étape indispensable de la Refondation de l'école. Il rappelle aussi que “de surcroit, la Ministre a rappelé que dorénavant les moyens des établissements, au-delà du seul classement, seront attribués sur la base d'une allocation progressive correspondant à la réalité de leurs besoins. Et bien évidemment, un collège en Seine-Saint-Denis, même s'il n'est pas reconnu « Éducation prioritaire », n'est pas dans la même situation que certains situés dans l'ouest parisien. ”. L’idée de cette allocation progressive est d’éviter les effets de seuil.
Mais, malgré toutes ces explications cette réforme est très risquée. D’abord parce que les critères utilisés ne sont pas toujours aussi transparents et rigoureux qu’annoncés. Mais aussi parce que cette redéfinition des périmètres de l’éducation prioritaire se heurte à un sentiment général de dégradation des conditions de travail. Même si des moyens nouveaux sont débloqués, cela est vécu dans un cadre général qui est celui de l’austérité. Dans un tel contexte le rééquilibrage et la réaffirmation de “priorités” qui de fait exclut des établissements qui jusque là en bénéficiaient est donc mal vécu.
Il ne faut pas exclure non plus les arrières pensées syndicales. La mobilisation sur l’éducation prioritaire est aussi un moyen de retrouver les “fondamentaux” de l’action revendicative et de se reconstruire une légitimité militante.
Janvier sera t-il chaud ?

Cantines
«Restreindre l’accès à la cantine aux enfants dont les parents ne travaillent pas.» Ce sont les propos de Cyril Nauth, maire FN de Mantes-la-Ville (Yvelines) retranscrits par Libération . Il a dit réfléchir à cette mesure lors d’un conseil municipal début décembre , relayé par le Parisien ce lundi. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau. Plusieurs communes privilégient les familles dont au moins un des parents travaillent avec comme argument le “manque de place”. En 2011, le quotidien L’Humanité en avait recensé au moins 70.
Malheureusement, si la jurisprudence française a reconnu le caractère « discriminant » d’une sélection à l’entrée des cantines sur critères socioprofessionnels, celle-ci demeure pour l’instant légale au regard des textes français. En effet, l’article 225-1 du Code pénal ne retient aujourd’hui que 18 critères de discrimination : origine, sexe, handicap, orientation sexuelle ou politique… Mais pas la pauvreté. Seule la Convention européenne des droits de l’homme mentionne explicitement l’origine sociale et la fortune. Ratifiée par la France, elle est censée être appliquée mais ne suffit pas : le protocole additionnel 12, portant sur l’interdiction générale de la discrimination, n’a en effet pas encore été adopté.
Puisqu’on en est aux repas de cantines qui ne passent pas, il faut aussi évoquer le cas du maire de Sargé-lès-Le Mans qui a décidé de ne plus proposer une viande de substitution lorsqu’un plat de porc était au menu de la cantine de l’école. La laïcité a bon dos.
On va faire une indigestion d’intolérance...

Bonne Lecture...

Philippe Watrelot


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dimanche, décembre 07, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 1er au 7 décembre 2014





- Élections, piège à refondation ? – Débat sur l'évaluation : peut mieux faire...- .



Deux points à l’ordre du jour de ce bloc notes. Tout d’abord quelques analyses à propos des élections professionnelles dans l’Éducation Nationale. Puis une réflexion sur le débat dans l’opinion autour de l’évaluation et de la notation. Un débat navrant...





Élections, piège à refondation ?
La semaine qui vient de s’écouler a donc été marquée par la clôture des opérations de vote dans la fonction publique et notamment dans l’Éducation Nationale. Les personnels élisent par le biais d’une procédure de vote électronique leurs représentants dans des commissions académiques paritaires selon leur statut et leur grade. Et puis il y a aussi un vote au “CTMEN” le comité technique ministériel qui est l’instance de négociation où seules les organisations ayant des élus peuvent signer des accords. Ces élections qui ont lieu tous les trois ans sont donc importantes à plus d’un titre. Elles déterminent la représentativité syndicale mais aussi le volume des décharges syndicales et les moyens accordés à chaque organisation.
On pourra lire tous les résultats sur le site du Ministère . On peut cependant en extraire quelques chiffres significatifs à commencer par celui de la participation qui est de 41,7%. En d’autres termes, l’abstention est donc de 58,3%. Si maintenant on s’intéresse au CTM, la répartition des voix et des sièges est la suivante : FSU 35,5% (6 sièges), Unsa 21,89% (4) , FO 13,58% (2), Sgen 8,9%(1), Snalc 5,46% (1) CGT 5,5% (1).
Avec 35,5% des voix contre 40,6% en 2011, la FSU perd donc un siège même si elle reste le premier syndicat. Le SNALC retrouve son siège perdu en 2011. En revanche SUD perd son siège à ce comité. Force ouvrière et son positionnement hostile aux réformes poursuit sa percée de 2011 passant de un à deux sièges. Ce syndicat est désormais le troisième. Dans le camp “réformiste” l’UNSA progresse mais cela semble être au détriment du SGEN-CFDT qui a un positionnement assez proche. Comme le dit Marie-Christine Corbier dans Les Échos Au lendemain des premiers résultats des élections professionnelles dans l’Education nationale, l’interprétation s’avère bien délicate. Il serait trop simpliste de conclure à la victoire de tel ou tel camp, qu’il soit dit réformiste ou conservateur.”. On peut aussi considérer comme le dit Christian Chevalier de l’UNSA que la FSU se fait “manger par les deux bouts, c’est-à-dire par certains syndicats plus réformistes et par d’autres plus contestataires ”. L’appel du Collectif Racine – collectif d’enseignants associé au Front national – à voter pour le SNALC et FO a-t-il joué un rôle dans les bons scores des deux syndicats ? Difficile de savoir. C’est ce que pensent cependant certains analystes.
Les gagnants sont effectivement FO et le SNALC, qui ont en commun un discours réactionnaire, hostile à tout changement pédagogique. On ne peut exclure un vote politique en leur faveur, puisqu’un tiers des enseignants vote à droite, ce qui ne se reflétait pas dans le champ syndical. FO a bénéficié de ses positions très hostiles aux mesures gouvernementales. Mais sa progression ne doit pas être exagérée, d’autant que les autres syndicats radicaux (SUD éducation et la CGT) perdent un point et demi. [...] Au fond, ces élections montrent une mobilisation de l’électorat de droite… et le fatalisme du peuple de gauche désappointé. D’un côté le ministère peut se féliciter de l’affaiblissement de la FSU, principal obstacle à ses projets managériaux, mais de l’autre, elle ne peut la remplacer dans la négociation par FO ou le SNALC, qui incarnent l’hostilité à tout changement, quel qu’il soit.” c’est que déclare dans une interview au Monde Laurent Frajerman, spécialiste du syndicalisme enseignant, chercheur à l’Institut de recherche à la FSU.
Pour ma part, je crois que les clivages droite/gauche ne sont pas forcément très opérants pour décrire les tensions à l'œuvre dans le monde enseignant. Si je me risque à une grille “conservateurs/réformistes” (vous noterez que j'ai évité "progressistes"...!) cela me semble plus juste même si on peut bien sûr la contester. Et bien sûr c’est un clivage qui traverse même les syndicats (surtout lorsqu'ils sont majoritaires !).
Car en effet, la FSU est au pied du mur. En sièges, les “réformistes” ne forment pas une majorité. Pour signer des accords la FSU s'alliera t'elle avec deux organisations (FO et le SNALC) dont le conservatisme n'est plus à démontrer ? Ou bien s’engagera t-elle dans la voie de la réforme du système éducatif pourtant si nécessaire ? A défaut on peut craindre les blocages et le triomphe des conservateurs, et déclinistes de tout poil laissant le système éducatif en panne.
L’autre chiffre inquiétant est bien sûr celui de l’abstention. Près de 60%... On peut bien sûr incriminer la procédure utilisée pour voter. Il fallait en effet ouvrir un espace de vote à partir de son adresse de messagerie académique et d’un code reçu par ailleurs. Cela a pu en rebuter certains. Ça en dit surtout long sur la familiarité avec le numérique à l’heure où cela est sans cesse affirmé comme une priorité. L'école française n'est pas encore dans l'ère du numérique, si on veut qu'elle y entre, il faudrait réfléchir à utiliser l’informatique pour simplifier les tâches, pas les compliquer.
Mais il faut plutôt mettre en avant, me semble t-il, une analyse en termes de désyndicalisation et de défiance à l’égard de ce qui peut apparaitre comme des institutions éloignées à l’efficacité limitée. Si c'est pour obtenir une amélioration des salaires, c'est raté... La promesse des 60 000 postes a supprimé toute marge de manœuvre. Il n’y a plus rien ou presque à négocier et notamment pas assez pour permettre le rééquilibrage entre le primaire et le secondaire. D’autant plus dans le contexte général d’austérité budgétaire. L’amélioration des conditions de travail, n’est pas non plus à l’ordre du jour. Les créations de postes ne se voient que très faiblement puisque l’essentiel est destiné à rétablir le demi-service des enseignants stagiaires. La réforme de l’éducation prioritaire, réforme à hauts risques, peut même faire penser que pour certains établissements, les conditions de travail risquent de se dégrader. Tous ces éléments ne contribuent pas à mobiliser pour des élections dont les enjeux ne sont peut-être pas parus assez clairs pour tous.
Les résultats de ces élections interpellent donc tout aussi bien les syndicats eux mêmes que le gouvernement. Ils ne disent rien de bon sur la suite de la “refondation”...

Débat sur l'évaluation : peut mieux faire...
Navrant.Le débat sur les notes tel qu’il est traité par les médias est navrant...
Et je ne suis pas le seul à le penser. Plusieurs professeurs blogueurs font le même constat. Catherine Chabrun (ICEM-Pédagogie Freinet) déplore la faiblesse du débat, tout comme Lucien Marboeuf sur L’instit’humeurs ou encore Jean-Michel Zakhartchouk . Tous dénoncent les débats ineptes où chacun donne son avis sans avoir fait l’effort de se documenter et de lire les textes incriminés (en l’occurence le rapport sur l’évaluation des élèves remis par le CSP à la ministre). Notre ami et co-rédacteur de la revue de presse Laurent Fillion résume la situation avec humour et ironie : “Le jour où les medias organiseront un débat " pour ou contre la pêche au thon rouge" je pense qu'ils inviteront alors des profs qui évaluent sans notes pour connaitre leur avis éclairé sur la question. ”.
Heureusement quelques pépites surnagent. Comme cette très belle synthèse de Pierre Merle sur le site de la vie des idées . On a pu apprécier aussi l’édito politique de Thomas Legrand sur France Inter le mercredi 3 décembre où il s’interroge “Les notes à l’école sont-elles de droite ou de gauche ? ”. Quand on voit que les âneries sur le sujet sont assénées aussi bien à droite qu’à l’extrême gauche, on ne peut que redire ce que nous pointions plus haut : les clivages sur les questions d’école sont plus complexes que la dichotomie droite/gauche. Ensuite, Thomas Legrand conclut son éditorial par cette phrase qui résume assez bien les enjeux : “Les notes ne sont qu'une composante d'un système en panne”. Sur Médiapart Claude Lelièvre retourne le compliment à Luc Ferry qui trouvait dans le Figaro que le projet du CSP était “stupéfiant de niaiserie”. Et il a raison de rappeler que tous ceux qui s'excitent contre l'“esprit de 68" à propos des notes oublient que c'est en mars (et non en mai...) que s'est tenu le fameux “colloque d'Amiens" dirigé par un dangereux gauchiste nommé Alain Peyrefitte qui préconisait la suppression des notes...Pour être précis et remonter encore plus loin dans le temps, la critique des notes exprimée au colloque d'Amiens s'appuyait sur les travaux de la docimologie dont les premiers datent des années 30 : travaux de Laugier, commission Carnegie... Les enfants de 68 venaient à peine de naître !
Au passage, ce détour historique nous rappelle qu’il ne suffit pas de supprimer les notes pour changer la pédagogie. Lorsqu’en 1969 Edgar Faure suit les recommandations du colloque d’Amiens et interdit les notes (très beau rappel de cet épisode sous forme d’uchronie dans Rue89) cela n’a que peu d’effets sur les pratiques. Très vite le “génie français” et la force d’inertie inventèrent le “A -” et le “B+” et même le “A- -” et le “B+ +” ! Et les notes furent rétablies dès 1971 pour les classes à examen. La question n’est donc pas tant celle des notes que celle de la finalité qui sous-tend l’évaluation en France.
C’est là que, malgré tout, ce débat est révélateur. Car lorsque l’ineffable Ciotti dénonce “l’idéologie égalitariste”, quand dans les commentaires on lit qu’il faut bien habituer les enfants très tôt à être noté et sélectionné, on voit bien qu’il y a là une vraie rupture idéologique. Rappelons que les notes chiffrées ont été inventées (par les mandarins chinois) et institutionnalisées (en 1890) pour favoriser la sélection. Et tout notre système éducatif français s’est construit autour de cette logique. Sans verser dans le jargon, on a privilégié en France une évaluation sommative au détriment d’une évaluation formative.
Rappelons aussi, comme d’autres l’ont fait avant moi , que le problème n’est pas tant que la note chiffrée soit “décourageante” (on peut très bien humilier avec des smileys...) mais surtout qu’elle ne dit pas grand chose sur les acquis de l’élève. Certes, la note semble d’une lecture simple que tout le monde comprend. Mais elle dit très peu. Lucien Marboeuf le montre très bien dans son billet de blog. L’accusation développée par certains de “casser le thermomètre” ne tient pas. Si l’on veut une mesure plus fine et surtout utile pour progresser, alors il faut remettre en question les notes dont on sait la variabilité. Il faut surtout reconsidérer les moyennes qui fonctionnent selon le principe de la compensation et masquent les difficultés. On sait aussi que, dans notre système, la note est souvent une fin en soi et une fatalité: on travaille pour la note et celle-ci ne donne pas lieu ensuite à une remédiation. Lorsque Thomas Legrand pointe que “les notes ne sont qu'une composante d'un système en panne”, cela nous permet de rappeler que notre système est un des plus inégalitaires du monde. La méritocratie est bien malade lorsque l’on constate que ce sont toujours les mêmes (c'est-à-dire les plus privilégiés) qui réussissent contrairement à la promesse républicaine. Dès lors, la question devient celle de l’amélioration des moyens d’apprendre et c’est dans ce contexte qu’il faut se poser la question de l’évaluation.
Contrairement à ce qu’une logique binaire conduit à caricaturer, cela ne veut pas dire qu'il faut abolir toute forme de sélection dans le système scolaire. Je dis et bien d'autres avec moi, que la sélection peut se faire le moment venu mais pas avant et surtout pas tout le temps...16 ans marque dans la plupart des pays la fin de la scolarité obligatoire. Il n'est pas choquant qu'il y ait alors de la sélection et des orientations qui en résultent. Mais avant cette date, l’enjeu est d’abord de doter TOUS les élèves d’une même culture commune et tous les outils nécessaires pour évoluer dans la suite de sa scolarité (j'ose à peine parler de “socle commun"...). Et que durant cette période l'évaluation soit au service des apprentissages et pas une forme de sélection rampante et permanente devient alors une nécessité...
Le débat médiatique tel qu’il se déroule est affligeant. On sait bien qu’en France, il y a 66 millions d’“experts” de l’École... Mais il est dommage qu’on ait si peu de mémoire et qu’on ne voie dans ce débat que la dernière “lubie” de la ministre et de quelques pédagogues fous alors qu’il s’inscrit dans une longue histoire et de nombreux travaux (comme j’ai essayé de le montrer). On peut déplorer aussi que les alternatives qui existent et qui font leurs preuves en France, comme à l’étranger soient si peu connues et soient moquées sans être véritablement étudiées. On peut constater enfin que chez les enseignants la caricature de débat montre à la fois la difficulté à faire évoluer ses pratiques et l’inculture dans le domaine pédagogique. Il faut dire que l’attachement à la “note” est presque une question identitaire. Pourquoi critiquer un système qui vous a fait réussir et une note qui vous a permis d’avoir le concours qui vous a donné votre statut... ? 
La question centrale, celle qui devrait animer tous les débats, devrait donc être de savoir comment l’évaluation (et pas la seule notation qui n’en est qu’une des modalités possibles) peut être au service des apprentissages. Mais on est bien loin d’un débat sans fausses notes...

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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