dimanche, juin 26, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 20 au 26 juin 2016



- Bac et Brevet – Rapports et palmarès - Régions - Lectures - .


Cet avant dernier bloc notes avant les vacances ne parvient pas à contourner tout à fait le marronnier du bac et du brevet. Mais on s’intéressera aussi à plusieurs rapports qui nous donnent des clés d’analyse du système éducatif français. On évoquera aussi quelques décisions prises dans les régions avant de finir par quelques lectures et une réflexion sur l’optimisme.


Bac et Brevet
Suite du marronnier du Bac cette semaine.
Chaque sujet est scruté attentivement et peut potentiellement être l’objet de polémiques. Il faut signaler qu’il y a une erreur dans l’épreuve de spécialité mathématique du Bac S : un plus à la place d’un moins dans une équation. On a promis d’ajuster les barèmes. Pas d’erreur dans le sujet de SES mais un sujet de dissertation prémonitoire sur les difficultés d’harmonisation des politiques économiques au sein de l’Europe...
On a vu aussi cette semaine apparaitre une pétition Pour que les terminales arrêtent de se plaindre du Bac 2016. Elle a recueilli plus de 2000 signatures et c’est surtout une manière de se moquer avec humour de la multiplication des pétitions d’élèves pour protester contre les sujets du bac. Celle qui a surtout retenu l’attention cette année, c’est une pétition contre l’épreuve d’anglais, qui demandait de situer Manhattan. Cette pétition dont nous parlions la semaine dernière déjà a recueilli plus 15.500 soutiens. La moquerie est facile et certains ne se privent pas d’entonner la rengaine du “niveau qui baisse” et des “jeunes qui ne veulent plus faire d’efforts”. Essayons d’aller plus loin... Ce que semble vouloir dire les jeunes qui ont signé la pétition c’est qu’en demandant de dire quelle était la ville où se situait l’action, on demandait des choses qui ne figuraient pas dans le texte. D’une manière générale mon réflexe premier est en effet de dire qu'on doit évaluer uniquement ce qui est enseigné et éviter l'implicite qui est souvent le moyen d'évaluer le capital culturel des familles des élèves. Mais ici les choses sont un peu plus complexes. Car, il faut d'abord rappeler que dans les cours d'anglais on ne se préoccupe pas que de communication mais aussi de civilisation. Et les références à New York sont nombreuses (y compris dans les autres documents du sujet !). De même cela est enseigné aussi en Histoire-Géographie. Mais il fallait décloisonner les connaissances alors que notre système éducatif segmente et cloisonne les savoirs. La question renvoie donc à l'évaluation de la capacité des élèves à mobiliser les ressources pertinentes pour traiter une situation complexe. C'est finalement un des enjeux majeurs de l'évolution de l'évaluation.
Il n’y a pas que le bac ! Signalons aussi que jeudi et vendredi dernier ont eu lieu les épreuves du Brevet des Collèges. C’était la dernière fois sous cette forme avant l’entrée en vigueur de la réforme du collège, l’an prochain. En 2017 le nouveau Brevet comptera cinq épreuves dont une orale, au lieu de trois écrits jusque-là. Signalons une interview de François Dubet dans L’Obs qui répond à la question “Mais à quoi sert encore le brevet ? ”. Même s’il prédit sa disparition, pour lui, le brevet a trois fonctions. Il a encore une fonction pédagogique en organisant le travail des deux années en amont. Il a aussi une fonction symbolique : “L’école française vit à l’ombre de totems, dit-il L’opinion tient à ce qu’il y ait des examens nationaux, qui renvoient au modèle de l’école de la République, une et indivisible. Un mythe, on le sait, puisque chaque établissement fait un peu ce qu’il veut, et que les différences de niveau entre les collèges sont considérables. On le sait, mais on conserve le décor.” Et enfin le brevet a un rôle sociologique. “C’est un rite de passage pour les élèves, un baptême du feu, comme les sociétés traditionnelles ont des rites initiatiques. Décrocher le brevet, c’est rentrer dans le monde des grands –moins que le bac, certes, mais cela marque une étape.

Rapports et palmarès
La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par la publication de plusieurs rapports et palmarès qui invitent à réfléchir sur notre système éducatif.
Comme le souligne Le Monde en présentant ce rapport , en dépit des politiques et des discours sur l’égalité des chances, le système scolaire français reste fortement marqué par des écarts de réussite. Il ne parvient pas à réduire ce « noyau dur » d’élèves en difficulté, qui sont en grande majorité issus de milieu social défavorisé. La dernière étude en date, réalisée par le service statistique du ministère de l’éducation nationale, la DEPP, vient confirmer ce constat. Publiée mardi 21 juin, elle montre que dans l’ensemble, à la fin de l’école primaire, près de 20 % des élèves n’ont pas les bases suffisantes en français ; ils sont environ 30 % dans ce cas en mathématiques et en sciences. Entre enfants de milieu favorisé et enfants d’origine défavorisée, c’est le grand écart : quand 90 % environ des premiers ont les « acquis attendus » dans les deux domaines, ils sont moins de 70 % en français et seulement 55 % en mathématiques et en sciences, dans les familles les plus modestes.
Dans un article sur Slate.fr, Thomas Messias revient sur un récent rapport de l'OCDE sur le lien entre le niveau en mathématiques et l’origine sociale (évoqué aussi par La Croix ). Le constat est le même que pour le rapport précédent. La France semble être le pays qui creuse le plus franchement le fossé entre les élèves les plus favorisés et les moins favorisés. À la question «avez-vous souvent entendu parler des fonctions du second degré?», environ 80% des élèves favorisés de France ont répondu par l’affirmative, contre environ 42% des élèves défavorisés. Un écart de 38 points qui fait peur lorsqu’on le compare aux chiffres venus de Shanghaï ou de Rome (10 points environ). La France tire ses élites vers l’élite, et laisse vivoter les élèves du bas de l’échelle, sans réelle perspective d’évolution. Thomas Messias rappelle aussi que les élèves issus des familles les plus aisées fréquentent généralement les établissements les plus favorisés, qu’ils soient publics ou privés. Lorsqu’ils connaissent des difficultés, ils ont souvent la chance de pouvoir se faire aider à la maison. En 2013, un rapport du Centre d’analyse stratégique estimait que 40 millions d’heures de cours particuliers avaient été dispensés en France, ce qui en faisait le pays numéro 1 du soutien scolaire dans l’Union européenne.
Sur son blog hébergé par Le Monde Éric Charbonnier, expert OCDE se penche quant à lui sur un aspect de l’enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS). TALIS 2013 confirme que la culture de collaboration au sein des établissements est un ingrédient indispensable à la réussite éducative. Il est montré par exemple, et de façon explicite, que créer une culture de collaboration au collège contribue à améliorer l’apprentissage des élèves car les enseignants unissent leurs efforts, se penchent ensemble sur les difficultés d’apprentissage, sur la conception des leçons et sur les démarches pédagogiques à adopter pour améliorer la performance d’ensemble de leur établissement. Eric Charbonnier constate qu’en France cette démarche collaborative est rarement encouragée par le système. Un chiffre parmi beaucoup d’autres, en France, à peine 2 enseignants sur 10 déclarent par exemple recevoir des commentaires de leurs collègues après une observation de leur façon d’enseigner en classe, alors que c’est le cas de plus de 4 enseignants sur 10, en moyenne, dans les pays de l’enquête TALIS. En Corée, cette proportion atteint même 84%. Notre expert conclut : “La France est donc bel et bien (avec la Région flamande de Belgique) le seul des 32 pays de l’étude qui cumule au collège une faible collaboration à la fois entre enseignants et entre le chef établissement et ses équipes pédagogiques. Alors que la réforme du collège doit se mettre en place à la rentrée 2016/2017, on est en droit de se demander si les enseignants seront suffisamment préparés à travailler ensemble sur les ateliers pluridisciplinaires. On est tout autant en droit de s’interroger sur la capacité des chefs d’établissement à élaborer des projets pédagogiques avec leurs enseignants. Certes, ils ont tous été formés quelques jours cette année à ce virage à 180 degrés. Mais est-ce bien suffisant pour que cela fonctionne dans la majorité des établissements? Est-il possible de créer une culture de collaboration en une semaine alors que le système tout entier n’a jusqu’à présent rien fait pour encourager la mise en place de cette culture pluridisciplinaire ?
En attendant la prochaine livraison de Pisa en décembre prochain, cette semaine a été proposé un nouvel indicateur. La présentation s’est faite jeudi 23 juin à l’occasion d’un colloque intitulé “scénarios pour une nouvelle école” (auquel je participais), par le Collège des Bernardins – un «lieu de dialogue et de réflexion avec la société civile» dépendant du diocèse de Paris. Il a été notamment élaboré par Bernard Hugonnier un ancien expert de l’OCDE. En se servant de données déjà disponibles dans les enquêtes internationales, et en se centrant toujours sur les élèves de 15 ans révolus, le rapport combine plusieurs critères avec en tout une trentaine d’indicateurs Parmi ceux ci, on trouve “l’efficience“, l’ “équité” ou encore “l’engagement des enseignants” et des élèves. Comme on l’a fait remarquer lors de la présentation, aucun pays n’arrive en tête sur plus d’un critère. Mais, on le sait malheureusement, on aime bien les palmarès... Et c’est donc essentiellement sous cet angle que cet outil est traité. Ainsi Le Figaro comme d’autres journaux nous apprend que l’indicateur dit « des Bernardins » place donc l’école française à la 25e place parmi les 34 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et la compilation des données montre un système éducatif français qui manque d'équité et d’efficacité, où de nombreux élèves sont malheureux d'aller à l'école, absents, peu motivés… et les professeurs moins investis qu'ailleurs. Et au risque de se répéter, là où la France est sérieusement à la traîne c’est en matière d'équité, c’est-à-dire la capacité à limiter l'impact du milieu familial sur les performances des élèves. Pour une école plus juste et plus efficace, il y a encore du boulot...

Régions
On commence à voir les effets des dernières élections régionales (et départementales). Et en particulier dans le domaine de l’Éducation.
Se rendre au lycée pour un élève non boursier coûtera deux fois plus cher dans toute l'Ile-de-France dès la rentrée, nous apprend Le Point. De 180 euros par an, le prix de la carte Imagine'R passerait à 341,90 euros à la rentrée 2016. La FCPE observe que cette hausse du coût des transports pénalise particulièrement les lycéens des établissements d'enseignement professionnel. “Ces jeunes ne pourront plus choisir librement des lycées éloignés de chez eux, ils opteront pour des établissements plus proches, au détriment du choix de la filière. Toutes les études sur l'échec scolaire montrent que ce sont ces jeunes-là qui, mal orientés, quittent l'éducation nationale au premier trimestre de seconde. ” estime un responsable de cette fédération.
La politique menée par Valérie Pécresse, la présidente de Région donne lieu à des confrontations de tribunes. Ainsi, le socialiste Yannick Trigance dans une tribune publiée sur le Huffington Post s’insurge contre une autre tribune publiée sur le même site par Agnès Evren, vice présidente de la Région chargée de l’Éducation. Et il s’indigne surtout contre le fait qu’au nom de la “liberté scolaire” Mme Pécresse a décidé d'accorder des financements non obligatoires aux lycées privés - manuels scolaires, équipement, etc. Il en résulte que les lycées publics se voient mathématiquement retirer des moyens de financement, cette mesure étant prise à budget quasi constant. Elle aurait aussi réduit de 2M€ le budget « Réussite pour tous » qui soutient les projets de lutte contre le décrochage.
C’est ce qui semble se produire aussi dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Fin mai, le conseil régional décidait de supprimer l'ensemble des subventions accordées aux organismes de lutte contre le décrochage scolaire. Cela va notamment avoir des conséquences très douloureuses pour une des pionnières, l’association La Bouture qui va perdre 65.000 euros, soit la moitié de son budget annuel. Or,"La Bouture" a un rôle central dans la région, notamment à travers le CLEPT de Grenoble, le collège lycée élitaire pour tous qui a ouvert ses portes en novembre 2000 et qui accueille chaque année une centaine de volontaires âgés de 15 à 22 ans. D'autres dispositifs du plan de raccrochage de la région Rhône Alpes sont dans les mêmes difficultés.
Plusieurs années d’un travail de longue haleine et dont les résultats ne se voient pas immédiatement sont sacrifiées. Et on voit bien que plus encore que l’argument de l’austérité budgétaire, ces décisions sont aussi et avant tout idéologiques.

Lectures
Il y aurait encore bien d’autres points à aborder dans cette semaine somme toute assez riche sur le plan de l’éducation. J’invite tous mes lecteurs à se reporter à la revue de presse quotidienne qui détaille cette actualité. On peut aussi aller voir la veille pratiquée sur Twitter ainsi que les articles présentés sur mon “mur” Facebook (et souvent très débattus !) pour en savoir plus .
Cette semaine, un des articles les plus rediffusés sur les réseaux sociaux que j’anime a été un article paru dans La Croix et intitulé Enfants : et si on les laissait s’ennuyer ? ”. “Le temps libre et l’ennui sont indispensables pour accéder à nos pensées longues, à notre imaginaire, et c’est ce voyage intérieur qui aide un enfant à devenir plus autonome” explique le psychothérapeute et philosophe, Stéphane Szermann. Et il ajoute : “Les parents sont souvent persuadés qu’il faut les occuper, leur proposer des tas d’activités pour les aider à grandir, mais c’est au contraire de calme et de temps morts dont ils ont besoin pour s’épanouir. ”.
Pas loin derrière en nombre de “like” et de retweets”, vient un article de Slate.fr qui demande “Et si on obligeait les élèves et les profs à lire quinze minutes par jour?”. En fait, le texte relate l’expérience menée depuis quinze ans dans lycée francophone d’Ankara : un temps de lecture obligatoire quotidien de quinze minutes, pour tous les personnels et les élèves, du CP à la Terminale. La formule semble séduire et suscite de nombreux commentaires positifs.
Finissons avec une note d’optimisme... Enfin, pas vraiment... puisque l’objet de cet article paru dans “M” le magazine du journal le Monde est plutôt de déplorer le manque d’optimisme dans notre beau pays. Du moins de l’optimisme affiché et collectif car comme le remarque un observateur il s’agirait d’une manière d’afficher sa solidarité lorsqu’on ne s’estime pas si mal loti. Le problème c’est que ce pessimisme confine à la prophétie auto-réalisatrice. Pour Simon Kuper du Financial Times : “les Français pensent qu’ils sont moroses parce que la situation est terrible. En fait, la situation leur semble terrible parce qu’ils sont moroses. ”.
Quel rapport avec l’éducation ? Simon Kuper suggère de payer les enseignants à complimenter les élèves. Parce que, a-t-il observé, les Français entendent des critiques depuis leur premier jour d’école, ce qui compromettrait définitivement leur capacité à se réjouir. Claudia Sénik, une économiste qui a étudié cette question fait valoir que les immigrés, qui ne sont pas passés par le système éducatif français avant 10 ans, n’affichent pas le même déficit de bien-être et de confiance en l’avenir. Une autre hypothèse éducative voudrait que notre pessimisme soit culturel, qu’on nous ait inculqué très tôt que “l’intelligence critique est plus valorisée que d’avoir un esprit positif”. Et c’est ainsi que, comme le note le philosophe Michel Serres, “l’optimiste passe pour un imbécile”...
Sachons donc dans l’enseignement comme dans l’engagement, “conjuguer le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté” selon la belle formule de Romain Rolland reprise par Gramsci. À bas le cynisme, vive l’optimisme !

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, juin 19, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 13 au 19 juin 2016



- Marronnier – Bac 2.0 – Bac pro – Lectures - Médias .


Bac, Bac, bac... Il n’y en a (presque) que pour le bac dans ce bloc notes. Le baccalauréat est le marronnier par excellence . Au passage, on apprendra d’où vient cette expression du jargon de la presse. Le bac dans tout son rituel et sa permanence, mais aussi le bac de demain. Et aussi un rappel qu’il n’y a pas que le bac général dans la vie mais aussi le bac techno et surtout le bac pro dont on ne parle pas assez. On complètera cette revue de presse avec un peu de lectures et une séquence d’éducation aux médias.


Marronnier
Commençons par un peu de culture générale.
Tout commence à la Révolution française, le 10 août 1792.Ce jour-là, alors que le roi Louis XVI a quitté Versailles pour résider à Paris, dans son palais des Tuileries, le peuple attaque les Tuileries : 20.000 hommes —dont nombre de sans-culottes avec des fourches— partent à l’assaut de la bâtisse défendue par 950 gardes suisses. La quasi totalité est massacrée par la foule. Beaucoup de gardes suisses seront enterrés au jardin des Tuileries, sous un gros marronnier rose. Chaque année, au printemps, l’arbre fleurissait au-dessus des tombes. Et chaque année, au même moment, les journaux publiaient des articles qui rappelaient cette fameuse journée du 10 août. C’est là l’origine du mot “marronnier” pour désigner les articles sur des sujets qui se répètent et qui sont prévisibles.
Incontestablement, le baccalauréat fait partie des marronniers de la presse. Chaque année, entre le Festival de Cannes et de Roland Garros, on voit poindre les premiers sujets sur les révisions. Puis ensuite arrivent les articles sur les plus jeunes candidats, les plus vieux, les triplés qui passent le bac, les prévisions sur les sujets possibles, etc. Et tout s’accélère et atteint son paroxysme avec l’épreuve de Philosophie qui est supposée marquer le début de ce grand rituel national. En oubliant au passage que les bacs professionnels et technologiques (et même certaines épreuves du bac général) ont déjà commencé depuis plusieurs jours....
Cette année cela n’a pas manqué. Même si l’importance de l’actualité nous a relativement préservé des sujets les plus futiles. Le rituel est bien rodé avec la conférence de presse de la Ministre qui lui a permis d’ironiser sur le tout aussi sempiternel refrain du “niveau qui baisse et de défendre ce rituel bicentenaire .
Cela permet aussi de rappeler quelques chiffres et quelques dates. L’examen existe depuis 1808. Il concerne cette année pas loin de 700.000 lycéens qui vont produire 4 millions de copies. On dépense 80 euros par élève pour l’organisation des épreuves et avec les couts indirects la facture s’élèverait à une centaine de millions.
On peut aussi comme le font plusieurs journaux adopter un angle comparatiste et faire un tour d’horizon de ce qui se passe chez nos voisins allemands, suisses, anglais et espagnols comme le fait le JDD.fr ou encore Ouest France qui rappelle qu’une très grande majorité des systèmes éducatifs pratiquent un examen national externe à la fin du second cycle du secondaire. Mais une des particularités du bac “à la française” est qu’il cumule deux fonctions en une : il sanctionne la fin d’un cycle d’études mais il ouvre aussi les portes de l’enseignement supérieur ou du moins de l’université.
Chaque année aussi a son lot de polémiques. L’an dernier c’était déjà l’épreuve anticipée de Français avec le fameux “Tigre bleu” de Laurent Gaudé qui avait fait le buzz... Cette année, les élèves de S et ES sont tombés sur un corpus de textes avec pour thème : l'éloge funèbre... Parmi les auteurs présents on trouvait un texte d'Anatole France. Beaucoup d'élèves l'ont pris pour une femme. On trouve quelques réactions assez drôles sur Twitter : «je croyais que c'était une station de bus...», « on me demande “sur quoi t'es tombé au bac?” en fait, je suis juste tombé...», «c'est à mon bac qu'on devrait faire un éloge funèbre». S'ils manquent quelquefois de culture générale, nos lycéens ne manquent pas d'humour... On a droit aussi à une pétition pour demander à l'Éducation nationale le retrait d'un texte de l'épreuve d'anglais qui «relevait d'une certaine complexité au niveau du sujet et nécessitait d'une certaine culture». Précisons qu’il s’agissait pour ce texte, où les mots “Manhattan” “Harlem” et “Hudson River” figuraient, d’indiquer dans quelle ville se situait l’action...
Toutefois, chaque année on trouve la preuve que même avec des marronniers on peut faire des articles de fond qui apportent de la réflexion. C’est le cas avec un article de Mattea Battaglia dans Le Monde . Intitulé “Le bac, fabrique de réussite artificielle ”, il permet de remettre en perspective cet examen multiforme et qui ne concerne pas tout le monde. Et surtout, il permet de nuancer la “démocratisation” dont on parle abusivement à propos de cet examen. On devrait plutôt évoquer comme le sociologue Pierre Merle une “démocratisation ségrégative”. Rappelons qu’on ne trouve, en terminale scientifique, que 32 % d’enfants d’employés ou d’ouvriers alors qu’en terminale professionnelle, 69 % des élèves sont de cette origine sociale. L’historien Claude Lelièvre dans un billet de blog sur Médiapart enfonce le clou. En 2015, 55% de la classe d'âge a obtenu un baccalauréat général ou technologique. Autant mais pas plus qu'en 1995, vingt ans plus tôt ! En revanche 22,2% de la tranche d'âge a obtenu un baccalauréat professionnel en 2015 contre 7,4% en 1995 ; soit un triplement en vingt ans. “Il est donc difficile de parler tout uniment de la massification « du » bac ” nous rappelle Claude Lelièvre.

Bac 2.0
Si le bac semble un rituel immuable, il évolue malgré tout. Et, surtout, on réfléchit à son avenir (ou à sa disparition).
Louise Tourret dans un article sur Slate.fr nous dit que la bonne vieille copie papier est remise en question. Le réseau des lycées français de l’étranger (Aefe) promeut une nouvelle manière d’organiser la correction des copies du bac… en faisant travailler les enseignants en ligne avec des copies numérisées. Et cette modalité est déjà mise en œuvre aussi dans certains examens en Métropole et pour certaines épreuves du bac. Le bac est-il numérisable ?
Peut-on aussi l’alléger ? Dans une interview au Figaro, le directeur général de l'Essec, (et ancien Dgesco) Jean-Michel Blanquer, prône un resserrement du bac autour de quatre épreuves. La fondation Terra Nova va plus loin encore. Dans une note intitulée Comment sauver le bac ? et publiée avec un certain sens du timing le mercredi 15 juin, les auteurs préconisent un examen limité à quatre jours répartis entre les deux dernières années de lycée. Les étudiants passeraient deux épreuves en première (l’une de français, l’autre de leur choix) et deux en terminale (l’une de philosophie, l’autre de leur choix).Toutes les autres disciplines seraient évaluées pendant la scolarité par des contrôles continus. Un exercice se situant au croisement du mémoire et des travaux personnels encadrés (TPE) viendrait valider officiellement la fin de la terminale. Les deux dernières années du lycée seraient découpées en quatre semestres au cours desquels les élèves auraient à valider sept unités d’enseignement de quatre heures hebdomadaires. L’idée contenue dans cette proposition est de “responsabiliser les étudiants dans leurs choix de disciplines et donner plus de souplesse à la construction de leur parcours d’orientation. Ils capitalisent des crédits et doivent valider certains modules en fonction de ce qu’ils veulent faire après le bac ” pour reprendre les mots d’une des auteurs, Armelle Nouis, proviseure du lycée Hélène Boucher (Paris 20e).
La réforme du bac et du lycée a été évitée durant ce quinquennat. On se souvient que la première tentative de Xavier Darcos de réformer le lycée a mis les lycéens dans la rue. Et la réforme menée par Richard Descoings sous le ministre Chatel a finalement peu modifié les équilibres. Et s’est bien gardée de toucher au “monument national” (expression de Jack Lang) qu’est le bac. Il reste à faire le bilan de cette réforme. Et se dire qu’on ne pourra repousser éternellement à plus tard, une remise à plat de l’architecture générale du lycée et de l’examen terminal. Même les monuments nationaux ont besoin de rénovation voire même de reconstruction...

Bac pro
Restons encore sur le bac en réparant un oubli. Nous n’avons pas évoqué dans le bloc-notes de la semaine passée le bac pro et le lycée professionnel.
Or, à l’occasion des trente ans de cette filière, Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) a publié un rapport et des préconisations sur ce sujet. Cela a aussi donné lieu à une tribune de la Ministre dans Les Échos . Pour approfondir on pourra aussi (réécouter)l’émission de Rue des Écoles sur France Culture sur ce pan de l’éducation nationale trop souvent négligé par les médias. Alors qu’il concerne 36% des élèves et que le bac pro est un des éléments clés de la massification du baccalauréat.

Lectures
Pour ne pas parler que du bac, voici quelques lectures... Plusieurs rapports sont sortis récemment et dont la lecture est intéressante.
Rappelons d’abord celui signalé la semaine dernière sur l’efficacité de la réforme des rythmes scolaires. Contrairement à ce que j’ai écrit, il est lisible sur le site du Ministère. Mais on le trouve à sa date de remise (mai 2015) et pas à sa date de publication, c’est-à-dire juin 2016. Adrien Sénécat, de l’équipe des “décodeurs” du journal Le Monde se livre à une analyse comparative des différents rapport qui ont été publiés sur ce thème. C’est à lire si on évite le titre (j’y reviendrai).
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ar emis au gouvernement mercredi 15 juin, un rapport où il pointe le déficit d’éducation à la sexualité. Cette étude a été commentée dans plusieurs articles dans Le Monde , Libération ou encore dans Ouest France
Et pour finir, un peu d’économie... France Stratégie est un organisme gouvernemental qui est chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques, héritier du commissariat au Plan. Dans une étude publiée cette semaine, France Stratégie démontre qu'en améliorant le niveau de la France aux tests PISA, la croissance du PIB pourrait être augmentée... Il s’agit de travaux qui s’inscrivent dans une tradition de l’analyse économique assez connue. L'éducation affecte la dynamique de la croissance en modifiant la productivité du facteur travail et en augmentant les capacités d'innovation de l'économie. Depuis les années 1980, les économistes essaient d'identifier son impact sur le progrès économique et la croissance. D’après le modèle de calcul, en portant le score PISA de la France au niveau de celui de l'Allemagne, le PIB Français serait augmenté de 24,7 milliards d'euros par an entre 2015 et 2075, soit un gain de 0,12 à 0,37 point sur la période. Un deuxième scénario, plus ambitieux, montre qu'en obtenant les mêmes scores aux tests PISA que la Corée du Sud, le gain de PIB serait de 57,6 milliards d'euros par an, soit une augmentation de 0,28 à 0,83 point... Évidemment il faut être très prudent sur ce genre d’analyse. Les phénomènes économiques ne se réduisent jamais à une seule causalité. Et bien sûr, la quantité ne fait pas tout. Augmenter les ressources éducatives ne suffit pas en soi à améliorer les compétences des élèves. Il est également nécessaire d'identifier les réformes éducatives qui permettraient d'améliorer durablement et significativement les performances des élèves.

Éducation aux médias
Coup de gueule pour finir en forme d’éducation aux médias.
Nous évoquions plus haut un article du Monde sur les rythmes scolaires. Cet article a pour titre “Rythmes scolaires et fatigue des élèves : ces études que Najat Vallaud-Belkacem préfère ne pas voir”. Exemple parfait d'un titre accrocheur qui ne correspond pas au fond de l'article... Car dans ce texte le journaliste se livre surtout à une analyse assez juste et nuancée des différents rapports qui viennent de sortir sur les rythmes scolaires. Ce qui n’a pas grand chose à voir avec le titre !
En général, les titres dans les journaux (et sur le web) ne sont pas décidés par les journalistes eux-mêmes mais par le rédacteur en chef ou le secrétaire de rédaction. Avec un objectif de plus en plus affirmé qui est d’attirer l’œil et l’attention du lecteur. La surenchère est d’ailleurs poussée à son paroxysme avec certains titres sur les sites de certains pure players” sur le web. On vous promet des révélations extraordinaires pour un texte au final qui ne tient pas les promesses du titre...
Pour ne pas accuser que Le Monde, voici un autre titre complètement décalé (et malveillant) du Figaro cette fois-ci. “L’énorme bourde du ministère de l’Éducation nationale sur les sujets de philo du bac ” c’est le titre qu’on peut lire sur le site du Figaro Étudiant En fait d'«énorme» bourde il s'agit juste d'une erreur dans l'envoi des sujets de bac de philo par le service de presse aux journalistes spécialisés. On a envoyé les sujets tombés la veille en Guyane avant de rectifier quelques minutes après...! Vraiment «énorme»... (d’ailleurs l’adjectif a disparu du titre actuel). Et pas de quoi en faire un article...

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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mardi, juin 14, 2016

Utopistes en bande organisée




Ce texte est la version longue d’un article initialement paru dans le n°525 des Cahiers Pédagogiques de décembre 2015Pédagogie : des utopies à la réalité” coordonné par Cécile Blanchard et Yannick Mével.
J’ai demandé l’autorisation de le republier sur mon blog. D’abord parce que, à la relecture, je trouve que ce texte dit des choses sur la force de l’engagement collectif et la spécificité d’un mouvement pédagogique. Il évoque aussi ce que fut mon travail militant durant toutes ces années.
Et puis, peut-être que sa publication, ici, peut vous donner envie d’acheter tout le numéro et, même plus, de soutenir l’action du CRAP-Cahiers Pédagogiques en y adhérant.
Plus on est de fous...
PhW
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Les utopies pédagogiques se construisent quelquefois très tôt…Et elles s’incarnent et se  renforcent dans le militantisme qui permet de partager son utopie avec d’autres.  Mais maintenir des valeurs et être fidèle à ses convictions est parfois difficile lorsqu’on est dirigeant d’un mouvement pédagogique. Il faut quelquefois faire des compromis (en évitant les compromissions). Et l’éthique de conviction doit composer avec l’éthique de responsabilité.


À quoi tiennent les convictions pédagogiques ?
C’est l’histoire d’un petit garçon qui a une très bonne mémoire qui lui permet d’apprendre facilement. Un petit garçon qui aime la lecture et qui lit tout ce qui lui passe par la main depuis que la sœur de la voisine lui a donné plein de livres de la bibliothèque verte quand il avait huit ans : il a fallu trois brouettes pour tout rapporter jusqu’à la maison ! Mais c’est aussi l’histoire d’un enfant d’ouvrier, issu d’une famille de mineurs, qui, dans les années 60-70 trouve que l’École est bien loin de son univers et même le méprise. Il en développe une double honte : celle de son milieu puisque les livres et tout ce qu’il étudie lui disent qu’il faut oublier tout cela pour apprendre et presque une honte de réussir parce qu’il a peur que cela l’éloigne de ses parents et de son milieu. Selon les enseignants qu’il a en face de lui, c’est la honte ou le désir d’apprendre qui l’emporte. En Troisième, en mathématiques, face à un professeur qui avait dit à ses parents qu’il n’arriverait à rien, c’est clairement la honte c’est-à-dire l’échec qui l’avait emporté.
Arrivé malgré tout au lycée au début des années 70, la classe de Seconde fut une révélation. Deux enseignantes (Français et SES) proposent un travail interdisciplinaire sur la condition ouvrière à partir de Germinal. Travaux de groupe autour d’un projet qui font sens pour celui qui a toujours le sentiment d’être un imposteur dans cet établissement où les enfants d’ouvriers sont alors si peu nombreux. Et ce projet lui permet de comprendre qu’on apprend mieux lorsqu’on se sent impliqué et qu’on agit plutôt que de subir.
Agir”, c’était le slogan qu’on retrouvait sur les autocollants des CEMEA qu’il va rencontrer lors d’un stage BAFA pour devenir animateur dans les centres de vacances du comité d’entreprise. Les “principes qui guident l’action” de ce mouvement pédagogique insistent sur l’autonomie, l’importance du milieu dans la mise en activité et l’apprentissage, le respect des rythmes, la pédagogie de projet...
Et c’est tout cela qui conduit à devenir enseignant et militant pédagogique. Un choix qui se nourrit de rencontres et d’expériences personnelles.
Chaque parcours est unique et singulier. Il serait excessif de tirer des généralités à partir de cette “belle histoire”, qui est aussi une reconstitution. Mais si j’ai voulu commencer par cette insertion biographique, c’est pour montrer que les convictions pédagogiques (ou même politiques) ne sont pas uniquement le produit d’une réflexion mais aussi d’un ressenti et d’un parcours de vie.


Utopiste seul ou accompagné ?
Comme pour beaucoup de militants, mes convictions pédagogiques (ou même politiques) ne sont donc pas uniquement le produit d’une réflexion mais aussi d’un ressenti et d’un parcours de vie. Elle s’inscrivent dans l’enfance et le parcours scolaire et vont ensuite s’exprimer dans ma pratique d’enseignant et d’éducateur (à travers les colonies de vacances). Mais surtout, très vite, elles vont me conduire à chercher la compagnie et le soutien de mes semblables dans le militantisme associatif.
Car, on ne peut être solitaire dans l’action. L’Éducation, l’enseignement sont des œuvres collectives. Construire une utopie, seul, est voué à l’échec.
On sait aussi que le conformisme et la pression sociale peuvent être de puissants freins à la volonté d’innovation. Et que celui ou celle qui est porteur d’idées qui dérangent et d’une part de rêve peut être moqué,  voire combattu. La figure de l’innovateur “rebelle” seul face à une administration conservatrice doit être complétée et nuancée aujourd’hui par celle de l’enseignant innovant face au conformisme de la salle des profs. On peut même dire qu’aujourd’hui, c’est celui ou celle qui applique vraiment les textes qui peut passer aux yeux de certains pour un(e) rebelle... Et dans un tel contexte, les convictions, l’utopie, peuvent alors s’émousser...
Pour les enseignants convaincus de la nécessité de changer l’École et porteur de toutes ces utopies et projets, les mouvements pédagogiques comme le CRAP jouent un rôle essentiel. Car les utopistes sont souvent isolés dans leurs établissements et peuvent en venir à douter et s’essouffler. Les rencontres du CRAP, les réunions mais aussi tous les lieux virtuels que sont les réseaux sociaux ou les listes de diffusion sont des espaces où on peut recréer de la “ré-assurance” et se construire un réseau pour échanger et mutualiser. Et, bien sûr, la revue est le vecteur privilégié pour nourrir la réflexion et capitaliser les expériences  et échanger sur les pratiques.
Et puis, on réfléchit mieux à plusieurs. Alors que le petit monde de la pédagogie est souvent peuplé de “loups solitaires” et médiatiques qui s’accommodent mal du collectif, les mouvements pédagogiques sont indispensables pour “frotter notre cervelle à celle d’autrui” et confronter nos utopies, discuter et affiner nos convictions. Et surtout pour les faire vivre.
Et devenir président d’un mouvement pédagogique, comme je l’ai été pendant huit ans, et en porter la parole dans le débat public, c’est s’appuyer sur la réflexion du collectif pour en tirer une légitimité.


Entre soi et/ou  vers les autres
Si l’on s’en tient au vocabulaire de la science politique que j’enseigne, un mouvement pédagogique n’est pas qu’un lieu de réflexion c’est aussi un “groupe de pression” comme le sont tous les corps intermédiaires.
Les “utopistes en bande organisée” sont des hommes et des femmes qui non seulement agissent dans leurs classes et dans leurs établissements mais aussi à un niveau plus global pour faire avancer des idées. Pour reprendre le titre d’un livre d’entretien avec Philippe Meirieu, le pédagogue est “dans la cité” et pas seulement dans sa tour d’ivoire (ou plutôt sa chaire ou sa classe).
Car, si comme on l’a dit, les mouvements pédagogiques peuvent être un lieu de “réassurance”, cela comporte aussi un risque. C’est celui de l’entre-soi, des certitudes renforcées par la résistance aux agressions et la force du groupe… Comment y résister ? comment faire vivre le collectif sans le repli sur lui-même ? Quel équilibre entre l’entre-soi réconfortant et mobilisateur du mouvement  et la projection vers l’extérieur, le prosélytisme inhérent au militantisme ? L’inscription dans un mouvement pédagogique ne peut se limiter à l’entre-soi.
Pour un « mouvement-média » comme le CRAP qui s’est construit dès sa création autour d’une revue ayant une diffusion bien plus importante que les seuls adhérents, la logique de la diffusion vers “l’extérieur” peut sembler assez évidente. Elle est renforcée aujourd’hui par la place prise dans les réseaux sociaux. Mais les « Rencontres du CRAP », une semaine en internat au mois d’aout correspondent bien à la première logique. En fait, il s’agit de travailler en tension entre ces deux logiques pour qu’elles se nourrissent l’une l’autre.


Président c’est pas de la tarte !
Évidemment l’implication dans le débat public et les institutions politiques est variable au sein d’un mouvement. Mais lorsqu’on accepte d’être président d’un mouvement pédagogique, on est évidemment bien plus exposé !
D’abord sur le plan médiatique. Le débat public sur l’École est depuis longtemps en France marqué par l’excès (voire même l’hystérie). C’est un sujet très sensible où tout le monde a son mot à dire. Il y a en France 66 millions de spécialistes de l’École... Et les médias ont pris l’habitude de ranger les individus dans des cases et des catégories un peu faciles. “Pédagogues” vs “Républicains” reste encore une typologie en usage même si, selon moi, elle n’a pas grand sens. Et depuis longtemps les polémistes bâtissent des succès de librairie sur un discours caricatural de déploration. Le débat sur la réforme du Collège a (ré)activé un discours “anti-pédago” très vif et on a vu fleurir un peu partout le terme très dévalorisant de “pédagogiste”. Or, si l’on veut porter une parole et des convictions dans le débat public, il faut malheureusement endosser cette étiquette et se confronter au débat. Cela signifie qu’il faut jouer (un peu/beaucoup) le jeu des médias et quelquefois faire des compromis.  C’est un choix qu’il faut assumer mais qui n’est pas celui de tous. Bon nombre de “pédagogues” s’y refusent en estimant qu’ils ont mieux à faire que de se compromettre dans des débats qu’ils estiment biaisés. L’utopie a quelquefois du mal à s’accommoder du choc du réel.
Ensuite sur le plan “politique”. Depuis leur création, les Cahiers Pédagogiques se sont situés dans une relation complexe avec le pouvoir politique. Créés au départ pour accompagner la création des “classes nouvelles” dans le cadre du plan Langevin-Wallon, les Cahiers ont du aussi au cours des années 60-70 se passer du soutien ministériel et devenir autonomes. Les subventions ne sont revenues qu’après 1981. On ne peut que se réjouir de voir aujourd’hui repris dans le discours officiel des idées et des pratiques qu’on ne cesse de défendre dans nos publications. Mais c’est aussi en courant le risque de la dénaturation de certains concepts dans une sorte de vulgate technocratique qui en oublie le sens initial. Animer un mouvement pédagogique, c’est donc aussi intervenir dans des instances officielles, négocier, jouer (un peu/beaucoup...) le jeu de l’institution en se demandant sans cesse si le jeu en vaut la chandelle. Le sociologue Max Weber distinguait l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Diriger un groupe de pression c’est forcément tenter de concilier ces deux exigences. Car l’enjeu c’est de contribuer à faire évoluer le système et de saisir de toutes les opportunités, de tous les interstices d’une structure bureaucratique pour y trouver des marges de manœuvre. Plutôt que de vouloir garder les mains propres de la pureté utopique, il faut mettre les mains dans le cambouis. Au risque de se les salir...
Un mot aussi sur un plan personnel. A force de parler pédagogie, dans les médias, dans les instances officielles, a t-on encore le temps d’en faire dans sa  classe avec ses élèves ? Militer demande du temps et diriger un mouvement, encore plus. Il peut y avoir alors un paradoxe à être (très modestement) une représentation de la pédagogie et à quelquefois ne plus avoir assez de temps pour pouvoir en faire autant qu’on le voudrait dans sa classe !


Radicalement réformiste...
Depuis de très nombreuses années le slogan du CRAP est “Changer l'école pour changer la société, changer la société pour changer l'école". Cette tension est au cœur de notre engagement. “Changer l’École” parce que nous sommes d’abord des éducateurs et que la pédagogie c’est très “politique”. Ce sont des valeurs mises en action. “Changer la société” parce que nous savons que tout ne se joue pas à l’école et qu’il faut aussi faire advenir une société plus juste.
L'un va avec l'autre mais chacun est différent. En d'autres termes, il ne suffit pas de construire dans sa classe et son établissement des dispositifs pédagogiques mais il faut aussi s'impliquer dans une transformation sociale. Mais inversement, il ne suffit pas de se réfugier dans l'attente du grand soir pour penser que l'École va se transformer d'elle même et ne rien changer dans sa pratique. Les travaux des sociologues comme les études internationales nous montrent que l’École Française contribue non seulement à renforcer les inégalités mais en crée même de nouvelles. Il faut donc la transformer sans attendre. Et cela signifie qu’on ne peut accumuler les préalables dans une sorte de procrastination collective mais se saisir de tous les leviers et de toutes les occasions. Le maximalisme peut conduire à l’immobilisme et peut sembler quelquefois bien confortable.
“Réformiste” n’est ni un gros mot, ni une insulte. Lorsqu’une réforme nous semble aller “dans le bon sens”, même si elle ne correspond pas tout à fait à ce que nous avions rêvé, il est alors important de jouer le jeu et de l’accompagner. Sans que cela pour autant enlève quoi que ce soit à la critique sociale et à l’action politique que l’on peut avoir par ailleurs. Plutôt qu’un gaucho-conservatisme, nous sommes radicalement réformateurs...
Car la nécessaire transformation de l’École ne peut attendre !


Utopie ou indignation ?
Au final,  est-ce bien l’utopie qui fonde le militantisme ? On peut aussi considérer que c’est aussi et surtout l’indignation qui est le moteur d’un engagement. Ne pas se résigner au fatalisme social, vouloir dépasser les déterminismes et surtout ne pas s’accommoder des inégalités sociales, voilà des motifs puissants de l’action.
Bien sûr, cela peut se lire aussi de manière positive. L’“utopie” c’est alors la volonté de construire une École qui soit accueillante pour tous et qui offre un enseignement qui ne soit pas favorable qu’aux “héritiers”. Une École où les valeurs d’autonomie et de coopération l’emportent sur la soumission à l’autorité et la compétition.
Il est alors tentant de construire cette École “ailleurs” comme nous y invite l’étymologie du mot utopie. On peut bâtir des écoles alternatives ou hors du système. Alors que l’indignation nous conduit à vouloir transformer l’École “ici et maintenant” pour reprendre un vieux slogan bien oublié. Au risque de se satisfaire d’avancées quelquefois bien modestes.
Peut-être suis-je plus indigné qu’utopiste... 



Philippe Watrelot
Ancien président du CRAP-Cahiers Pédagogiques (2007-2015)
Texte paru dans le  n°525 des Cahiers Pédagogiques de décembre 2015 “Pédagogie : des utopies à la réalité”


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dimanche, juin 12, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 6 au 12 juin 2016




- Hors contrat et à la maison – Re-Redoublement - Rythmes – Droite - .

Le mot clé de ce bloc notes est (comme trop souvent) : “polémiques”... La ministre a annoncé jeudi des mesures pour lutter contre les dérives des écoles hors-contrat et de l’école à domicile. Et cela a provoqué quelques inquiétudes chez certains. On voit aussi resurgir la énième discussion sur le redoublement avec toujours les mêmes débats. La réforme des rythmes scolaires est elle aussi l’objet de débats récurrents. Et on peut compter sur les leaders de la droite pour relancer la fabrique à polémiques. Ça promet !




Hors contrat et à domicile
Le ministère de l’Education nationale a annoncé jeudi 9 juin un ensemble de mesures pour renforcer le contrôle des établissements privés hors contrat et de l’école à domicile. S’agissant des établissements privés hors contrat, le nombre d’élèves scolarisés est passé de 13 000, en 2004, à 33 000 aujourd’hui. Côté enseignement à domicile, le taux a doublé : sur la totalité des enfants soumis à l’obligation scolaire, 25 000 élèves soit 0,30% ont recours à ce mode, contre 0,16% en 2007. Pour rentrer dans le détail de cette galaxie du hors contrat et du “home schooling” on pourra se reporter à l’excellente synthèse des décodeurs du Monde
On ouvre plus facilement une école en France qu’un restaurant ou un bar” constatait Najat Vallaud Belkacem lors de sa conférence de presse. Aujourd’hui, il suffit d’être bachelier, âgé d’au moins 21 ans, disposer de locaux et faire une déclaration en mairie pour pouvoir ouvrir un établissement privé hors contrat. L’ouverture de ces écoles est soumise à un régime de “déclaration avec opposition” : si l’administration constate que l’intéressé ne remplit pas les conditions, elle ne peut pas s’opposer à l’ouverture de l’établissement et se contente à informer la personne qu’elle va commettre un délit. A la rentrée 2017, ces établissements devront désormais répondre à un régime d’autorisation a priori, autrement dit l’Etat pourra s’opposer en amont à leur installation. Les porteurs d'un projet devront déposer une demande quatre mois au minimum avant l'ouverture de l'école. Côté scolarisation à domicile, avec seulement deux tiers des enfants inspectés, les contrôles sont jugés imparfaits. Le ministère veut faire appel à des enseignants volontaires, clarifier les règles sur les modalités et le lieu du contrôle, et enfin préciser les sanctions en cas de refus réitéré d’inspection. Pour ce dernier point, les parents qui refuseront deux fois de suite, sans motif légitime, de soumettre leur enfant au contrôle pédagogique seront désormais mis en demeure de l’inscrire dans un établissement d’enseignement public ou privé.
Même si on se souvient d’affaires récentes concernant des écoles hors contrat et des craintes de dérives sectaires ou intégristes dans le cas de l’école à la maison, et que les risques sont réels on voit se profiler un début de polémique chez certains défenseurs de ces formes d’enseignement. Les Associations familiales catholiques (AFC) y voient une remise en cause insidieuse de la sacro-sainte ( !) liberté d’enseignement (lire le rappel historique de Claude Lelièvre sur Médiapart) . Et du côté des écoles alternatives on met en avant le caractère très normatif du système scolaire français, qui met en échec les enfants qui « ne sont pas dans le moule » et crée de la phobie scolaire et on craint que cela ne remette en question l’alternative qu’elles proposent. On voit aussi des réactions chez les libéraux de la Fondation pour l’École. Dans une interview au journal Le Monde , la Ministre se défend de vouloir raviver une guerre scolaire. “L’Etat ne peut être ni aveugle ni naïf : on voit parfois se développer des enseignements trop lacunaires, ne garantissant aucunement un socle minimal de connaissances aux enfants, voire attentatoires aux valeurs républicaines. Un peu partout, on réclame plus de responsabilité de la part de l’Etat sur ces sujets. Et c’est justement ce que l’on s’apprête à faire.”.
Le risque de surenchère sur ce sujet comme sur bien d’autres existe. Dans cette période particulière, tous les prétextes sont bons pour déclencher des polémiques.

Re-redoublement
Vous l’avez aimé en 2013, vous l’avez aimé en 2014 (et en 2015), vous aimerez “redoublement 2016” !
Alors que la saison des conseils de classe continue, plusieurs articles évoquent de nouveau l’interdiction du redoublement. On trouvera un dossier dans Le Figaro avec plusieurs articles consacrés à ce sujet. Le sujet est aussi abondamment traité dans la presse régionale. Sur le site VousNousIls, on nous apprend que le SNES dénonce cette interdiction du redoublement. Pour "limiter ses effets néfastes", il propose des "modalités d'actions" collectives aux enseignants visant à indiquer leur désaccord en conseil de classe.
On semble aujourd’hui redécouvrir cette information qui est pourtant le résultat d’un décret paru en novembre 2014. En vertu de ce texte, le redoublement ne sera plus possible qu'en cas de « rupture d'apprentissage ». Il faut aussi rappeler que cette disposition était déjà contenue dans la loi de refondation votée en juin 2013 par la représentation nationale. Régulièrement donc le sujet revient à la Une et mon bloc-notes s’en est fait l’écho à plusieurs reprises.
C’est le signe que sur ce sujet l’évolution est lente pour une pratique dont la vanité est pourtant démontrée par les études nationales et internationales. Selon les différentes enquêtes internationales, les pays qui affichent les meilleures performances sont aussi ceux qui l'ont fortement réduit. Un rapport récent de la DEPP et qui est rapporté par le journal Le Monde apporte de nouveaux arguments. Ce rapport montre que cinq ans après être entrés en classe de troisième, près de la moitié des élèves qui étaient alors considérés comme « faible scolairement » obtiennent le baccalauréat. Est considéré comme faible un élève ayant obtenu une moyenne de 8/20 aux épreuves écrites du diplôme national du brevet (et qui n’a donc pas obtenu ce diplôme). Trente-deux pour cent des élèves en difficulté obtiennent un baccalauréat professionnel, 11 % un baccalauréat technologique et 5 % un baccalauréat général.
La focalisation sur cette question récurrente en dit long sur l'état du système éducatif et de l'opinion publique. 
D'abord, on voit que l'opinion s'accommode très bien d'un système qui sélectionne très tôt et dont la fatalité du redoublement n'est qu'un des symptômes. 
Ensuite cela nous montre bien la difficulté du système à innover et trouver des solutions alternatives et à favoriser la remédiation. 
Enfin, on ne peut s'empêcher de voir cet attachement au redoublement chez certains enseignants comme le symbole d'un pouvoir perdu alors que la profession se sent dans une logique de déclassement.

Rythmes
Un autre rapport risque de faire parler de lui. Il s’agit d’un rapport des inspections générales (IGEN/IGAENR) sur les rythmes scolaires dont Le Monde indique qu’il a été rendu public vendredi . On peut le lire aussi  sur le site du Ministère à la date de juin 2015.
C’est à partir de la lecture qu’en font les journalistes du Monde qu’on évoquera cette question. Ce rapport prend en compte essentiellement le ressenti des acteurs éducatifs français. Le retour de la cinquième matinée de classe, que la droite avait supprimée en 2008, est approuvé pour ce qu’il apporte : plus de temps pour traiter et approfondir le programme, aider les élèves en difficulté, mener des projets… Mais des interrogations demeurent à la fois sur l’alourdissement des semaines et sur l’accroissement de la complexité des journées des enfants. Le ressenti des professeurs indique que les nouveaux rythmes provoqueraient une moindre attention des élèves, en contradiction avec des données plus scientifiques évoquées dans l’article (étude menée à Arras par le professeur François Testu).
Dernier point de discorde : les activités périscolaires même si ce n’est pas le point principal de ce rapport. Ce thème avait déjà été traité par la Sénatrice Françoise Cartron dans un rapport récent. Plus de neuf communes sur dix ont organisé des activités sur les trois heures dégagées par la réforme, mais un tiers a renoncé à la gratuité. Autre problème majeur : même si la sénatrice a voulu montrer que la réponse des petites communes a été à la hauteur, l'offre concrète a été plus importante dans les grandes villes dynamiques que dans les communes rurales.
Comme le souligne Le Monde, il est difficile de gommer le sentiment qu’ont encore bien des parents d’une école « à plusieurs vitesses ». Avec une offre plus riche dans les grandes villes que dans les petites ; des ateliers mieux pensés dans les agglomérations pionnières, que dans celles qui, jusqu’à la date butoir de la rentrée 2014, ont traîné des pieds, à l’image de Marseille. On peut apporter à ce constat, la formule qui était celle de l’ancien maire d’Angers (commune pionnière) : “ça marche mieux quand on fait tout pour que ça marche”. Formule réutilisable pour bien d’autre sujets !

La droite
Cette semaine, la droite s’est déchainée sur l’École...
C’est surtout le (pas encore ?) candidat Sarkozy en meeting à Lille mercredi dernier qui a estimé que les militants du « parti pédagogique» se sont «échinés à détruire méthodiquement le respect de l’autorité, l’apprentissage de la langue, la transmission de notre histoire nationale, de nos mœurs, de nos valeurs». Et il a ajouté «Nous reconstruirons les Humanités, car l’école doit redevenir le creuset de la République française.».
Dessin de Jimo
Jean-François Copé n’est pas en reste. On pourra lire dans Le Parisien un résumé de ses positions qu’il a exprimé longuement sur son blog. L'ancien patron de l'UMP veut «redonner l'amour de la France, l'amour de la collectivité, le sentiment de partager une communauté de destin». Ce qui pourrait être possible d'après lui si l'on «rend obligatoire le lever du drapeau à l'école (une fois par semaine le lundi matin par exemple)» ainsi que «le chant de la Marseillaise» et «le port de l'uniforme dans les écoles publiques».
Pour faire bonne mesure, il faut aussi citer Eric Ciotti. Il a réagi à l’annonce récente d’une «prime» (c’est ainsi que c’est présenté par Le Figaro ) annuelle de 600 euros pour les 16-18 ans boursiers «décrocheurs» qui décideront de reprendre le cours de leurs études. Cette somme viendra compléter la bourse (de 393 à 834 euros annuels selon les échelons) pour, au final, un montant annuel d'au moins 1000 euros par an. La mesure fait partie du plan jeunesse, présenté le 11 avril dernier, qui prévoit par ailleurs des mesures concernant les apprentis, les bacheliers professionnels et l'insertion. Au total 12.500 «primes bourses» de 1000 € seront créées à la rentrée 2016.
Mais pour Éric Ciotti, les décrocheurs n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux mêmes... Il écrit sur son blogJe dénonce avec la plus grande force cette mesure qui exprime la réticence idéologique de la gauche à l’expression de toute forme d’autorité et traduit une dangereuse inversion des valeurs. L’assiduité à l’école n’est pas un choix, c’est une obligation prévue par la loi, envers la République. Si l’absentéisme scolaire doit être sanctionné, le respect de la loi ne peut en aucun cas être récompensé, car il s’impose à tous !”Il faut se rappeler qu’une des premières du gouvernement fut l’abrogation de la “loi Ciotti” qui supprimait les allocations aux familles d’enfants absentéistes.
Nous devons évoquer aussi la campagne tout aussi indigne sur “l’enseignement de l’arabe à l’École” qui a occupé toute la semaine dernière. La Ministre y a répondu cette semaine nous dit L’Express. L'intéressée s’est adressé directement aux signataires des pétitions ce mercredi sur le site de Change afin de répondre aux quatre pétitions l'interpellant, et écrit-elle, "mettre fin à certaines rumeurs et clarifier l'intérêt pour les élèves de ces choix".
La période qui s’annonce risque de voir se multiplier les escarmouches de ce genre. Toute une partie de l’opposition semble faire de Najat Vallaud-Belkacem, après le départ de Christiane Taubira, une de ses cibles favorites. Et on voit bien que tout peut devenir objet de polémiques et d’indignations surjouées. Alors que la Droite semble faire de la question de l’identité et de la “restauration” de l’autorité un axe fort de sa campagne, l’École se retrouve de nouveau au cœur du débat.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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samedi, juin 11, 2016

À propos de l’exigence


J’ai participé à l’émission Rue des Écoles diffusée dimanche 5 juin 2016 à 17h intitulée “Les vertus scolaires : L’exigence”. Les deux autres invités étaient Cécile Ladjali et Augustin d’Humières. L’émission avait été enregistrée le vendredi après-midi. Pour plusieurs raisons, et entre autres les inondations,  je n’ai pas pu me rendre à Paris et être présent dans le studio. Je suis donc intervenu par téléphone et cela a évidemment limité les interactions et mon temps de parole dans un débat déjà déséquilibré (C’est souvent du 2 contre 1 à Rue des Écoles...). 
D’une manière générale, on ressort toujours frustré de ce genre d’exercice et avec le sentiment de ne pas avoir dit tout ce qu’on voulait faire passer. Alors, comme je l’ai déjà fait pour une précédente émission je vous propose un “écrit de rattrapage” pour compléter cet oral frustrant et décevant...


L’exigence à tort et à travers
Vous le savez, je publie une revue de presse consacrée à l’éducation depuis 2004 sur mon blog. J’ai utilisé la fonction “recherche” de celui-ci pour voir à quelles occasions le mot “exigence” apparaissait. Il y a de très nombreuses occurrences. On peut même dire que le mot est utilisé à tort et à travers. Louise Tourret en mars 2014 présentait dans un article de Slate.fr et dans son émission le portrait d’un jeune enseignant qu’elle présentait comme un “professeur à l’ancienne” qui “réinvente l’exigence”. Si l’on s’en tient à la période plus récente, Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la réforme du collège, dans une interview au Figaro,  déroule une sorte de condensé de l’argumentaire : «Voici qu'on nous ressert le pédagogisme, c'est-à-dire le contraire de ce qu'il convient de faire. [...] La seule chose qui compte, pour les auteurs de cette réforme, c'est que l'enfant « ne s'ennuie pas ». Dans la République ce qui devrait compter, c'est que l'enfant apprenne. Et pour apprendre, il faut faire des efforts. […] La République c'est l'exigence. Et c'est parce que l'on sera exigeant que l'on pourra tirer tout le monde vers le haut. Cette réforme, c'est le contraire de l'exigence, c'est le nivellement qui tirera tout le monde vers le bas. ». Toujours dans cette logique, en juin 2015, trois anciens ministres (François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement et Luc Ferry) avec quelques intellectuels lancent une pétition «pour un collège de l'exigence». Il y aura bien une tentative de Najat Vallaud Belkacem en septembre 2015 de présenter les nouveaux programmes dans une tribune dans le Monde comme le rétablissement d’une “école de l’exigence”. Mais le Monde préfèrera titrer sur le rétablissement de la dictée... Et le mot “exigence” semble durablement accaparé par un camp.


Hold up sémantique
On le voit, l’“exigence” est devenue un thème politique souvent associé au refus du “laxisme” voire même de la “bienveillance”. Tout se passe comme s’il y avait eu une sorte de hold-up sémantique où ce concept avait été confisqué par ceux qui se réclament de la tradition et de la préservation d’une École qui serait en train de disparaitre. On le trouve aussi beaucoup utilisé avec la crainte du “nivellement par le bas” et le fameux “niveau qui baisse”. Ainsi, on voit apparaître régulièrement des critiques sur la baisse des exigences dans les examens et en particulier le baccalauréat. Pour les déclinistes, le bac serait “donné” et le niveau attendu plus faible qu’avant. Vieille rengaine infondée qui se téléscope  aussi avec le débat sur les notes chiffrées. Avec implicitement l’idée que seule la note permettrait de dire la vérité sur le niveau et que la disparition des notes serait une étape de plus vers la baisse des “exigences”.
Connaissances/compétences, didactiques/pédagogie, enseignement/éducation, exigence/bienveillance, effort/plaisir… Le débat sur l’éducation est plein de ces fausses oppositions binaires que j’avais déjà essayé de recenser.  Elles pourrissent le débat sur l’éducation. Il est vrai que la nuance et la complexité ne font pas bon ménage avec les débats simplistes qu’affectionnent les médias. La figure du “pédagogiste” (forcément délirant) est un épouvantail facile dans certains discours conservateurs. Sans chercher très loin,  il suffit de relire les interventions récentes de Nicolas Sarkozy qui fustige l’“esprit de 68” et qui, en meeting à Lille, le 8 juin 2016, a estimé que les militants du « parti pédagogique » se sont « échinés à détruire méthodiquement le respect de l’autorité, l’apprentissage de la langue, la transmission de notre histoire nationale, de nos mœurs, de nos valeurs. »


Prendre les savoirs au sérieux
Il nous faut réfuter l'opposition souvent entretenue par les médias qui consiste à opposer des pédagogues/laxistes à des prétendus "républicains" rigoureux et exigeants. L’exigence n’est pas une valeur du passé. Et il est presque insultant pour les enseignants d’aujourd’hui de postuler qu’il y aurait un recul de l’exigence. Ceux-ci sont dans leur immense majorité, fiers de transmettre des contenus “difficiles”. Ce n’est pas non plus parce qu’on a des objets de travail modernes qu’on n’est pas exigeant.
S’adapter n’est pas antinomique de “être exigeant”. S’adapter c’est inventer des chemins d’accès, des passerelles. Il y a un devoir d’invention pour prendre les élèves là où ils sont et les élever vers la culture. Pour l’enseignant, il y a un rôle de passeur culturel à jouer. En fait, iI n'y a pas plus exigeant que les méthodes actives et le travail des pédagogues qui ne se contentent pas de la récitation pour croire que les élèves ont compris mais construisent des situations pour que les élèves s'emparent des concepts et les utilisent de manière pertinente.
En définitive, la vraie exigence c’est de prendre les savoirs au sérieux et de ne pas se contenter de la récitation apprise par cœur et de l’exposition de quelques “savoirs décoratifs” oubliés juste après l’interrogation. L’enjeu c’est la maîtrise durable et efficace de ces connaissances. Ce qui suppose de placer les élèves face à des tâches complexes où ils doivent faire la preuve de leur capacité à mobiliser des ressources apprises et appropriées.
Etre exigeant pour un enseignant, c’est donc aussi l’être d’abord avec soi même. Pour cela il faut se méfier des évidences et de ce qui semble “aller de soi” et être le plus explicite dans la définition de ce qui est attendu. Il faut aussi se donner les moyens pour que les élèves progressent. Parmi les idées toutes faites et les représentations fausses sur les pédagogies actives, il y aurait l'idée qu’on laisserait aux élèves “le plus de marge possible". En d'autres termes, on les laisserait se débrouiller tout seuls. C'est faux. Il n'y a pas plus directif que la pédagogie active ! Simplement elle se situe en amont lorsque l'enseignant installe les dispositifs qui vont permettre aux élèves d'être actifs sinon acteurs dans les apprentissages. Il est aussi présent dans l'accompagnement des élèves dans la voie de ces apprentissages. Dans une pédagogie du “côte à côte" plutôt que du seul "face à face" qui laisse souvent les élèves dans une situation de spectateur. "Laisser de la marge" aux élèves c'est d'abord leur permettre de s'approprier les savoirs. C'est bien moins fatiguant de faire un cours "magistral" qui permet surtout de répondre à une logique narcissique que de préparer des situations qui permettent aux élèves d'apprendre de manière coopérative et autonome...


La maison n’accepte pas l’échec...
L’exigence ne s’oppose donc pas non plus à la “bienveillance”. Car, il en va de l’exigence comme du cholestérol : il y a une bonne et une mauvaise exigence. Il y a celle qui fait réussir, se dépasser et encourage et il y a celle qui décourage et qui s’inscrit dans une culture scolaire de la sélection et s’apparente à de l’intransigeance.
Notre système éducatif s’est construit sur le mythe de l’élitisme républicain et de l’égalité des chances. La sélection est donc inscrite dans l’ADN de l’École. Dans une sorte de “distillation fractionnée”, il s’agissait de faire émerger les meilleurs et ainsi de renouveler les élites. Mais, on le sait, ce système là dysfonctionne pour deux raisons. D’abord parce qu’il est construit sur l’exclusion et l’échec: que fait-on des “vaincus” du système ? Ensuite parce que l’égalité des chances ne fonctionne pas et que ce sont les “héritiers’ qui se reproduisent.
Certains confondent “mixité sociale” et hétérogénéité des élèves. Lorsqu’on regroupe tous les bons élèves de quelque milieu social que ce soit dans des classes homogènes, il est plus facile alors d’être “exigeant” avec ceux là. De même, il est moins difficile d’être exigeant pour les “bons” de chaque classe que d’être exigeant avec chacun à sa mesure .
Comme le soulignait Michel Lussault lors des journées de la refondation «c’est être peu exigeant que d’accepter autant d’échecs».  Une école de l’exigence est incompatible avec le fatalisme. Et si la vraie exigence était de faire réussir tous les élèves et de lutter efficacement  contre les inégalités ? C’est le défi que les enseignants ont à relever de façon collective.

Philippe Watrelot

10 juin 2016

Note : Pour préparer une intervention, je demande souvent des conseils et des contributions aux membres du CRAP-Cahiers Pédagogiques.  Ce présent texte est issu de discussions au sein du bureau du CRAP. J'espère que les contributeurs s'y retrouveront !


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