vendredi, avril 29, 2016

Bilan de la refondation de l'École (2ème partie) : Fidèle aux postes ?




Suite de ma série de billets de blog consacrés au bilan de la refondation. Aujourd’hui nous nous intéressons aux postes, à leur nombre et à leur attractivité et donc aussi à la question des salaires...


Coup de poker
Souvenir de 2011...
Le 9 septembre 2011, en campagne dans l’Aisne, François Hollande lors d’une réunion à Soissons, tente un coup de poker. Les parents d’élèves présents, en cette semaine de rentrée interpellent le candidat : « Monsieur Hollande, si vous êtes élu, vous ferez quoi au sujet de ces suppressions de postes ? Concrètement ... ». François Hollande se lance et improvise : « Si je suis élu, on recréera 60.000 postes supprimés depuis cinq ans! ». Dans « L'Homme qui ne devait pas être Président » (Par Antonin André et Karim Rissouli, Albin Michel 2012), François Hollande revient lui même sur cette proposition : « Les 60.000 postes, j'ai décidé ça tout seul. Je n'ai prévenu personne. Quand les parents d'élèves m'ont demandé ce que j'allais faire, je me suis dit: si je dis simplement que j'arrête les suppressions de postes, ça veut dire que tout ce qui a été mis en cause est acté. Donc il faut bien dire quelque chose, mais quoi? Est-ce qu'il faut dire: "toutes les suppressions de poste seront compensées" ? Mais ça faisait quand même beaucoup. Donc j'ai commencé à réfléchir pendant que je leur parlais. Le programme du PS ne disait rien de précis là-dessus. J'ai commencé à faire mes calculs: Si j'en mets 60.000, ça fait 12.000 par an, donc ça coûte combien? Je calcule, ça fait 2 milliards et demi à la fin du mandat, c'est jouable. Donc je dis 60.000 postes. Il y a eu une polémique, bien sûr, mais ça correspondait à un vrai besoin. Et puis ça prenait tout le monde de court »
Ensuite, son équipe de campagne, revenue de sa surprise, se chargera de chiffrer plus précisément la proposition. L’engagement est pris de (re)créer 60.000 postes dans l'enseignement, dont 54.000 dans l'Education nationale, 5000 dans le supérieur et 1000 dans l'enseignement agricole. On a vu plus haut que ce n’était pas moins de 80.000 postes qui avaient été supprimés durant le quinquennat Sarkozy. C’est la raison pour laquelle il me semble toujours plus juste de parler de (re)créations que de créations !


Un atout ou un handicap ?
Rappelons qu’à proprement parler, ces 60 000 postes ne font pas partie de la “loi de refondation” votée en juin 2013. Mais plusieurs des dispositifs qui y sont inclus ont un impact direct sur les postes. C’est en particulier le cas du rétablissement de l’année de formation en alternance (la moitié du service en classe et l’autre à l’ESPÉ) ou encore de la “priorité au primaire”. Et surtout, cette promesse qui a certainement joué un rôle important dans la victoire, est devenue emblématique de cette “priorité à la jeunesse” martelée pendant la campagne.
http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs
Au risque de choquer, je redis que cette promesse, si elle a pu être un atout pour reconquérir un électorat enseignant qui s’était éloigné de la gauche de gouvernement, a été aussi un handicap. Car elle a limité la marge de négociation pour faire accepter les réformes. Comme je l’ai écrit dans un précédent billet, après cette promesse faite dans un contexte de restrictions budgétaires (et de gel du point d'indice),  il n’y avait plus rien à “dealer”. Or, on a bien vu que la réforme des rythmes, (tout comme la réforme du collège aujourd’hui), s’est heurtée à un très fort sentiment de déclassement et à une baisse du pouvoir d’achat. Comment accepter de (re)venir travailler une matinée de plus (oui, je sais, cinq jours c’était le cas avant Darcos, mais c’est ainsi que ça été vu...) sans compensation salariale ? Comment affirmer la priorité au primaire sans que ça se traduise par un alignement avec le second degré ? On voit bien qu’il y a eu une prise de conscience de cette limite avec la création (en 2013) puis la promesse d’augmentation de l’ISAE, une prime spécifique au Primaire et destinée à compenser l’écart avec les enseignants de collège et lycée. Une promesse qui arrive bien tard.


Receveurs des postes...
La question de savoir si la promesse de création des 60.000 postes sera tenue est un thème récurrent sur le plan syndical et politique. Et il est vrai que cette annonce emblématique de la campagne est jusqu’à maintenant peu lisible dans les établissements. La moitié des postes concerne pour l’instant des enseignants en formation. Pour cette année, sur les 31.627 postes déjà créés dans l’Education nationale, 24.300 sont encore en formation. C’est d’ailleurs l’objet d’une polémique : faut-il les compter comme des postes à part entière (ce qu’ils seront quand ces enseignants stagiaires seront titularisés et à temps plein) ou raisonner en “équivalent temps plein” et ne les compter pour l’instant que comme des moitiés de postes ? 
Net ou brut ? Une autre polémique consiste en effet à contester le terme même de “création” dans la mesure où une bonne partie de ces postes vont servir à compenser des départs à la retraite. 
Les postes créés l’ont surtout été dans le premier degré et peu dans le secondaire. Or, étant donné le nombre d’écoles primaires en France (plus de 52.000 !), les postes créés ont peu d’impact sur le quotidien de la majorité des enseignants. Une classe de maternelle sur deux compte plus de 25 élèves. Et 7.500 en ont même plus de 30. Pour la grande majorité des profs des écoles, les conditions de travail restent les mêmes ou empirent et le “plus de maîtres que de classes” reste bien modeste (2.500 postes créés sur les 7.000 attendus d'ici à 2017).Et dans le secondaire, il faut aussi tenir compte du “baby boom” de l’an 2000 et de l’arrivée de classes d’âge nombreuses en lycée. Entre 2007 et 2016, 260.000 enfants supplémentaires ont été scolarisés. Une démographie qui avait été mal anticipée alors qu’elle était prévisible.


Métier professeur...
Il faut enfin souligner que “poste créé” ne veut pas dire “poste pourvu”. Tous les postes mis aux concours n’ont pas trouvé de candidats. Même si les concours 2016 montrent une reprise des inscriptions, certains CAPES (concours du second degré) ont un rapport inscrits/postes très bas. Ce qui fait dire que la sélectivité est faible. Et, de fait, les jurys de concours ne pourvoient pas tous les postes proposés faute de candidats de qualité. L’attractivité du métier d’enseignant reste un problème non résolu d’autant plus que l’augmentation du niveau de recrutement (les concours se situent au niveau M1 (bac+4) conduit à des comparaisons en défaveur de l’enseignement.
L'OCDE a ainsi comparé le salaire enseignant avec ce que ces diplômés gagneraient s'ils avaient opté pour une autre carrière. En France, un(e) professeur(e) des écoles gagne 72 % de ce qu'il/elle pourrait escompter avec son niveau de diplôme s'il travaillait ailleurs que dans l'éducation nationale. Au collège, un professeur français gagne 86% du salaire de ses camarades d'université. Et au lycée, 95%.

La question de la rémunération se situe à deux niveaux : les enseignants du primaire à niveau égal sont moins payés que ceux du secondaire (30% de moins en moyenne) et globalement les enseignants français sont moins payés que dans la plupart des pays européens. L’OCDE dans le dernier “Regards sur l’éducation” affirme que « les systèmes performants sont aussi ceux qui offrent des salaires élevés à leurs enseignants, surtout dans les pays au niveau de vie élevé ».
Il faut cependant noter que dans la plupart des pays si les salaires sont élevés c’est avec des conditions de travail différentes marquées par un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989 où la lutte syndicale a fait un préalable de l’augmentation de salaires sans qu’il y ait au final  de réelles contreparties et évolutions. .
Mais le salaire, s’il est un élément de la considération de la société à l’égard de ses enseignants, ne peut, me semble t-il, à lui seul permettre une transformation du métier d’enseignant.  Suffirait-il de mieux payer les enseignants pour qu’ils fassent leur métier autrement et de manière plus enthousiaste ? Car au delà de la rémunération et du sentiment de déclassement qui en découle, il se pose aussi une question de conditions de travail et d’évolution des carrières. Le mythe de la “vocation” est passé et c’est tant mieux. Nous exerçons un métier avec ses joies et ses peines pas forcément “pour la vie” et il faudrait que la gestion des ressources humaines et des carrières soit améliorée.
Il faut aussi que les différentes dimensions de ce métier qui ne se réduit pas à la seule présence devant des élèves soient mieux définies et affirmées. C’est ce  que Vincent Peillon a essayé de faire évoluer avec l’accord signé en février 2014 sur l’évolution du métier d’enseignant qui reconnaissait que le métier ne se limitait pas à la mission principale d’enseignement mais incluait aussi les temps de préparation et de recherche, le travail en équipe et les relations avec les parents. Cet accord reconnaissait aussi que des enseignants pouvaient avoir des missions complémentaires avec des  responsabilités particulières faisant l'objet d'une rémunération sous forme indemnitaire, ou dans certains cas sous forme d'allègement du temps d'enseignement. On se souvient que cette “pondération” des temps d’enseignement avait fait l’objet d’une polémique parce que, par ricochet, elle avait un effet sur certaines indemnités des enseignants des classes préparatoires. Et la polémique a montré aussi que cette avancée se heurtait à des conceptions du métier qui refusaient de voir ces “nouvelles” missions formalisées au nom d’une conception stricte du métier. Pourtant, cet accord négocié avec les syndicats s’il est une réelle avancée reste bien modeste au regard de la nécessaire évolution du métier d’enseignant. Le chantier de la modernisation des métiers de l'éducation nationale a été ouvert mais est loin d'être terminé. 


Un enjeu électoral
Le 9 décembre 2015 ont été faites dans le cadre de la loi de finances, les annonces pour la rentrée scolaire 2016 et elles montrent que le maintien de cette promesse est bien un enjeu électoral.  La rentrée serait marquée par la création de 6.639 postes de personnel éducatifs, surtout dans le primaire, la hausse démographique dans le secondaire et l'accompagnement de la réforme du collège, a annoncé le ministère. L'école primaire bénéficierait de 3.835 postes supplémentaires pour 533 élèves de moins, précise le texte (soit 58% des moyens attribués). Cela devrait permettre, nous affirme t-on, de rattraper le retard pris dans l’accueil des tout petits (scolarisation des deux ans) et « le plus de maîtres que de classes » Le secondaire, quant à lui, disposerait de 2.804 nouveaux postes sur les 4.000 prévus en deux ans pour mettre en place la réforme du collège.  Encore faudrait-il que cela soit bien repéré par des dotations clairement identifiées pour éliminer complètement les accusations d’une réforme à l’économie.


Nul doute,  en tout cas, que cette question des postes reviendra dans le bilan présidentiel et dans le futur débat électoral qui s’annonce… Le gouvernement affirme que la promesse sera tenue. On peut disserter longtemps sur la réalité et le statut de ces postes créés. Il faut aussi s’interroger sur leur utilité. Certes, réduire le nombre d’élèves par classe est utile. Mais pour faire quoi, pour quelle pédagogie ?  La question n’est pas seulement celle des moyens mais aussi de savoir ce que l’on en fait… Par exemple “Plus de maîtres que de classes” ne peut s’envisager que si on se pose aussi la question de la pédagogie et de la posture de l’enseignant Les 60 000 postes correspondaient à une logique quantitative et à une réponse à une situation de pénurie créée par la présidence Sarkozy. Il fallait arrêter de dégraisser le mammouth, on attaquait l’os...
Mais ces (re)créations nécessaires, dont le rythme n’a pas été assez rapide, ont été en grande partie absorbées par une forte démographie non anticipée et par la remise en route de la formation des enseignants. Elles sont aujourd’hui encore peu visibles pour les enseignants comme dans l'opinion.


3ème partie, suite et fin de ce bilan  : Éducation : est ce que “ça va mieux” ?


Philippe Watrelot

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