jeudi, avril 06, 2017

L’éducation dans la présidentielle : des clivages brouillés


Quelle est la place de l’éducation dans la campagne présidentielle ? Le paradoxe est que si tous les candidats déclarent la main sur le cœur que c’est un sujet essentiel, il est relativement peu traité dans les débats, bien moins qu’en 2012. Il faut dépasser les discours, les formules creuses sur les “fondamentaux” ou l’autorité pour aller plus dans le détail des dispositifs et trouver des différences. 
Il y a des clivages qui sont assez traditionnels et où on retrouve l’opposition droite/gauche. C’est le cas des créations de postes. Mais d’autres clivages sont plus complexes et ambigus. Les positions à l’égard des réformes menées durant cinq ans résistent à une grille d’analyse Droite/Gauche tout comme la question de l’autonomie. 
Ce débat sur l’éducation sera t-il déterminant dans la campagne ? On peut en douter et se demander s’il existe vraiment un vote enseignant. 


Paroles, paroles...
Chaque programme présidentiel comporte son volet éducation. On y trouve pas  mal de truismes et d’idées dignes d’un discours de Miss France. Tout le monde veut « une école qui garantisse la réussite de tous et l’excellence de chacun » ou « une école de l’égalité et de l’émancipation » ou de « l’excellence pour tous »… 
Qui va dire qu’il ne veut que la réussite de quelques uns ? ou se déclarer pour le maintien des inégalités ? C’est d’ailleurs une des difficultés du débat sur l’éducation que ce soit au niveau politique ou même dans les salles des profs. Si on se limite aux discours et si on ne va pas voir dans le détail des dispositifs et des pratiques, il est très compliqué d’avancer dans le débat. 
D’autant plus que beaucoup de mots sont piégés. Chacun y met sa propre définition et beaucoup d’implicite. Il en va ainsi de notions telles que : « mérite », « excellence », « autorité », « réussite », « autonomie », et la liste est loin d’être close. Le débat sur l’éducation est également plein de fausses oppositions binaires : enseignement/éducation, exigence/bienveillance, effort/plaisir, pédagogues/républicains.  Elles pourrissent le débat sur l’éducation. Il est vrai que la nuance et la complexité ne font pas bon ménage avec les débats simplistes qu’affectionnent les médias et les hommes politiques. 

Fondamentaux
Les “fondamentaux” font aussi partie de ces mantras que répètent tous les candidats. 
Ils en font tous une priorité. Mais tous n'y mettent pas la même chose et n’y consacrent pas le même temps. Lire, écrire, compter, calculer... la liste semble simple mais certains y rajoutent la connaissance des grandes dates et personnages de l’Histoire (Fillon, Le Pen, Dupont-Aignan…), la poésie (Cheminade), la musique (Macron ?). En ce qui concerne le temps, Marine Le Pen veut que  « 50 % du temps d'enseignement (soit) consacré à l'apprentissage du français ». François Fillon veut réserver aux « fondamentaux »  « les trois quarts du temps de l'enseignement élémentaire ». Benoît Hamon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ne fixent pas d'objectif chiffré mais insistent, eux aussi, beaucoup sur ces fameux « fondamentaux ». Et tous se gardent bien de dire ce qu’on devrait supprimer.
Cette question des “fondamentaux” est une mauvaise réponse à une question bien mal posée. D’abord parce qu’elle repose sur des chiffres exagérés. Ainsi, ce n’est pas comme le disent certains candidats un élève sur deux en éducation prioritaire qui ne maîtriserait pas les “fondamentaux” mais selon le ministère de l'Education nationale, à l'entrée en sixième, la « non maîtrise » en français concerne 28 % des élèves scolarisés en REP et 40 % des élèves en REP+.  Il faut rappeler ensuite que la France est déjà le pays qui consacre le plus de temps en primaire à la lecture, l'expression écrite et la littérature, soit 37 % du temps d'instruction obligatoire contre 22 % en moyenne dans les pays membres de l'OCDE. Si on y ajoute le calcul, ces enseignements représentent 57% du temps en primaire. Des données qui indiquent qu'en matière d'apprentissages des fondamentaux, il ne s'agit pas d'en faire plus, mais de  faire mieux et autrement. Renforcer l’apprentissage de la lecture et du calcul, ça peut se faire dans beaucoup d’occasions et pas seulement dans la mémorisation et la répétition des règles d’orthographe et de grammaire. 
L’invocation des “fondamentaux” comme une sorte de mantra est un bel exemple de ces  idées qui apparaissent de bon sens mais qui ne résistent pas aux chiffres et ne résistent pas au concret dans la vraie vie de l’éducation...

Autorité et uniforme
La « restauration de l’autorité” est un autre mantra des politiques destiné à complaire à la fois aux parents et aux enseignants. On verse dans la nostalgie d’une école passée et largement mythifiée. Cela plaît aux parents qui oublient qu’eux mêmes ne cessent de négocier avec leurs enfants et sont bien en peine (et faut-il vraiment s’en plaindre ?) d’imposer quoi que ce soit sans discussion.  Cela plaît aussi aux enseignants qui ressentent vivement un sentiment de déclassement et confondent autorité et prestige social.  
On a une version soft de ce discours de restauration de l’autorité avec la proposition d’Emmanuel Macron d’interdiction du portable. Un signal "rétro" qui ne coûte pas cher : interdisons aux élèves une pratique que les adultes, dès lors qu'ils ont le choix, ne s'interdisent guère.  Et en oubliant au passage que cette interdiction existe déjà.
Ce discours là se retrouve aussi à droite et à l’extrême droite avec l’instauration d’un uniforme. C’est une proposition relativement récente.  En 2003, le ministre délégué à l’Enseignement scolaire, Xavier Darcos, l’évoquait en plein débat sur les signes religieux à l’école. En janvier 2015, après les attentats des députés  déposaient une proposition de loi visant à instaurer le port de l’uniforme à l’école. Cette disposition se retrouve aujourd’hui dans le programme de Marine Le Pen et de François Fillon. Là aussi, les mythes abusent. Il faut rappeler qu’en France, l’uniforme n’a jamais vraiment existé. On a recouru à la blouse pour ne pas tâcher les vêtements jusqu’à ce que, vers 1965 (et pas 68), le stylo à bille détrône la plume et rende inutile le port de la blouse. Quant à jouer sur le sentiment d’appartenance, il y a bien d’autres moyens que l’uniforme pour y parvenir. Et il suffit d’observer n’importe quel établissement où il est obligatoire, pour constater que cela ne réduit pas les possibilités de distinction sociale. 


Priorité au primaire
Le seul domaine qui semble vraiment faire consensus entre tous les candidats, c’est la priorité au primaire qui était déjà affirmée dans la loi de refondation du quinquennat Hollande. Tous insistent sur le constat que c’est très tôt que se cristallisent les inégalités et qu’il faut donc les combattre en mettant le paquet sur le primaire. Rappelons que notre pays est un de ceux où le coût d’un élève du primaire est le plus bas par  rapport aux élèves du secondaire. Un élève de primaire “coûte” 6190 euros par an (en 2015) alors qu’un lycéen représente un effort de 11040 euros, un étudiant 10390 euros et un élève de classe prépa 15100 euros ! 
Certains candidats vont même plus loin que cette position de principe et proposent des seuils pour la réduction des effectifs en primaire. Jean-Luc Mélenchon propose de « renforcer le dispositif “plus de maîtres que de classes”, prioritairement en CP et CE1, en y affectant 5 000 enseignants durant le quinquennat». Le projet de Benoît Hamon prévoit le recrutement de 40.000 enseignants supplémentaires dont 20.000 dans le primaire « pour qu’il n’y ait pas plus de 25 élèves par classe en CP, CE1, CE2 et pas plus de 20 élèves dans les REP, et REP +, les outre-mers et les territoires ruraux». Mais Emmanuel Macron fait encore plus fort puisqu’il propose de diviser par deux le nombre d’élèves dans les classes de CP et CE1. 
Une question très pratique se pose :  si l’on veut réduire le nombre d’élèves par classe, où va t-on les mettre ? Faut-il construire de nouvelles classes dans les communes concernées ? De fait, on voit bien que cette promesse peut difficilement être tenue. Et plutôt qu’ouvrir des classes, il serait plus pertinent de mettre deux enseignants par classe comme le prévoit le dispositif « plus de maitres que de classes ». Par ailleurs, pour ces trois candidats (Macron, Mélenchon, Hamon), le fait d'annoncer des seuils précis risque de leur compliquer la tâche s'ils sont élus. Que faire si, au lieu des 12 ou 20 élèves par classe promis, il y en a 13 ou 22 ? 
Encore une fois, on voit qu’une promesse aussi généreuse et justifiée soit-elle ne résiste pas au concret de l’organisation au plus près de la réalité des classes. 


Postes ou salaires ? 
La question des postes est un autre sujet de divergence entre les candidats. Celui là est facile puisqu’il recoupe le clivage droite/gauche. À droite, ceux qui prônent de ne pas augmenter le nombre d'enseignants (Fillon, Le Pen) et qui veulent réduire le nombre de fonctionnaires. À gauche, ceux qui lancent des chiffres plus importants les uns que les autres : 9 000 (Macron), 40 000 (Hamon), et même 60 000 (Mélenchon) ! 
Il y a donc ceux qui veulent davantage d'enseignants. C'est donc le cas de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon, avec respectivement 60.000 et 40.000 postes. Dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, on considère même que les créations de 60.000 postes durant le quinquennat Hollande n’ont pas eu lieu ou en tout cas n’ont pas eu d’effets. A noter que le programme de la France insoumise prévoit aussi de recruter en plus des 60.000 enseignants supplémentaires, 8.000 CPE et 6.000 personnels médicaux et sociaux. Emmanuel Macron annonce 4.000 à 5.000 créations de postes. 
En revanche, Marine Le Pen ne parle pas de création de postes dans l’éducation nationale. Et François Fillon ne dit pas où il supprimera des postes pour réduire les effectifs de la fonction publique (Il prévoit — 500.000 emplois de fonctionnaires donc forcément des enseignants) . 
Il y a aussi ceux qui veulent mieux les rémunérer mais c’est quelquefois en voulant les faire travailler plus. Et là aussi on voit un clivage droite/gauche. Marine Le Pen n’en parle pas mais François Fillon déclare qu’il revalorisera « les traitements des enseignants en tenant compte de leur mérite et en leur demandant d’être plus présents dans l’établissement. ». En revanche pas de contreparties chez Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Le candidat socialiste annonce le doublement de l'ISOE (indemnité destinée au secondaire) et de l'ISAE (pour le primaire), soit environ 800 millions versés aux enseignants. J-L Mélenchon propose de : « revaloriser le traitement de 7 % pour rattraper le gel du point d’indice gelé entre 2010 et 2016 » et de confier ensuite aux négociations aves les organisations syndicales la poursuite de la revalorisation. 
Il est vrai que les comparaisons internationales montrent bien le retard français sur la rémunération des professeurs. Mais on oublie en général de signaler que les enseignants des autres pays ont un temps de travail et des missions qui sont bien plus importants que les enseignants français. Cela ne fait pas partie du débat. 
On ne va pas ici entamer un débat de politique économique mais la question ne manquera pas de venir sur le tapis. Elle dépasse le seul cadre de l’éducation nationale et est au cœur du débat sur les contraintes budgétaires. Peut-on à la fois créer des postes et en même temps revaloriser les salaires ? 


Le sort des réformes
François Hollande avait fait de la priorité à l’éducation un axe fort de son quinquennat. Et la loi de refondation votée en 2013, a été le cadre de nombreuses réformes. Celles-ci, que ce soit la réforme des rythmes ou celle du collège et des programmes, ont fait l’objet de critiques chez un certain nombre d’enseignants. Le sort de ces réformes semble donc réglé pour tous les candidats, droite et gauche confondues, à l’exception de Benoit Hamon. Celui-ci, de fait, se positionne en hériter (embarrassé…) même s’il promet qu’il fera "un bilan d’étape pour les ajustements nécessaires" concernant la réforme du collège.
Marine Le Pen, François Fillon promettent l’abrogation pure et simple de la  réforme du collège. Tout comme Jean-Luc Mélenchon qui va même au delà puisqu’il  dénonce « l’idéologie du socle commun » qui « défait » « le lien aux savoirs ». Et au nom de « l’école de l’égalité » le candidat affirme qu’il abrogera « les contre-réformes du lycée et du collège mais aussi le décret Peillon sur les rythmes scolaires ». On rétablit aussi le redoublement conçu comme « un droit à favoriser ». Enfin, le candidat s’engage à la fois « garantir le principe de la liberté pédagogique » et à « mettre fin à l’évaluation par compétences » (et si ma liberté c'était de travailler par compétences, je fais comment ?). Emmanuel Macron ne parle pas d’abrogation de la réforme du collège mais il souhaite rétablir les classes bilangues et européennes et redonner toute leur place aux langues anciennes. Ce qui ressemble à un détricotage de la réforme.
A part Benoît Hamon, aucun candidat à l'élection présidentielle ne défend les nouveaux rythmes. Ce qui est un peu paradoxal dans la mesure où il défend une réforme qu'il a lui-même assouplie lors de son bref passage au ministère. Le candidat socialiste promet d'augmenter de 25 % le fonds d'aide aux communes d'ici à 2022. Contrairement à Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, qui réclament ouvertement l'abrogation de la réforme des rythmes, François Fillon et Emmanuel Macron plaident pour le libre choix des communes. 
Enfin, sur les programmes, François Fillon veut très explicitement la suppression du Conseil Supérieur des Programmes et la réécriture des programmes d’histoire et de français « par des académiciens ». Marine Le Pen souhaite elle aussi que l’enseignement de l’Histoire promeuve le “roman national”. Chez Jean-Luc Mélenchon, on réaffirme la volonté de « replacer les disciplines au cœur des apprentissages ». 
On le voit, les positions sur les réformes ne recouvrent pas les clivages droite/gauche. Mélenchon incarne un conservatisme de gauche, destiné à séduire des enseignants qui ont pu se sentir remis en question par les réformes. Seul Benoit Hamon, malgré quelques aménagements semble se situer dans la continuité de l’action menée depuis 2012. 

Une école du tri ou une école pour tous ? 
La proposition 81 des “engagements présidentiels”  de Marine le Pen préconise la « suppression progressive du Collège unique et l’autorisation de l’apprentissage à 14 ans».
Avec François Fillon c’est aussi le retour à l’apprentissage à 15 ans  qui est annoncé.  Pour l’ancien ministre de l’éducation qui a mis en place le socle commun, la France « doit avoir un système éducatif promouvant les valeurs d’excellence et de mérite, à contre-courant de l’égalitarisme voulu par la gauche ». 
C’est là une vraie ligne de fracture qu’on avait déjà vu apparaitre lors de la primaire de la droite. Il y a donc ceux qui remettent en question l’idée même d’un collège unique et promeuvent, de fait, en s’abritant derrière la promotion de l’apprentissage, une école du renoncement et du tri social. Car, même si cette proposition peut séduire une partie de l’opinion publique convaincue de la nécessité d’offrir quelque chose aux enfants qui ne seraient pas “faits pour les études” et la valorisation de l’apprentissage et du travail manuel (l’ « intelligence de la main » de Bruno Lemaire), le problème c’est de savoir qui est orienté vers ces sections. Ce ne sont JAMAIS les enfants des catégories sociales les plus favorisées... Derrière le “goût” pour les études ou le travail manuel, se cachent les inégalités sociales...
Par ailleurs, toutes les enquêtes internationales montrent que la sélection précoce est une impasse (que l’Allemagne a progressivement abandonné). C’est une régression considérable qui nous ramène 40 ans en arrière avant même le collège unique de la réforme Haby et même la scolarité obligatoire à 16 ans votée en 1959
A l’inverse, on trouve des propositions qui visent à augmenter la durée de la scolarité. Plusieurs candidats (Hamon, Mélenchon) veulent avancer à 3 ans l’âge de début de la scolarité obligatoire (c’est déjà une réalité pour plus de 90% des enfants). Benoit Hamon veut même garantir un droit à la scolarisation dès deux ans dans l’éducation prioritaire. A l’autre bout de la scolarité, Jean-Luc Mélenchon propose que l’obligation soit portée jusqu’à dix-huit ans. C’était aussi une proposition de Najat Vallaud Belkacem mais qui ne semble pas avoir été retenue dans le projet de Benoit Hamon.


Gouvernance : quelle autonomie ? 
J’ai souvent écrit que la question de la gouvernance était un angle mort des politiques éducatives. C’est moins vrai avec cette élection. François Fillon, Emmanuel Macron et Benoît Hamon, candidats à l’élection présidentielle, invoquent tous l'autonomie des établissements scolaires, à des degrés divers, pour remédier aux maux de l'école. Mais le mot autonomie est ambigu. 
S’agit-il de l’autonomie des équipes ou de l’autonomie du chef d’établissement manager ? S'il s'agit de donner aux acteurs de terrain les moyens de s'organiser comme ils l'entendent pour atteindre des objectifs nationaux, cela peut être positif, s'il s'agit de mettre en compétition des établissements pilotés par des chefs d’établissements managers pour faire du ranking grâce à des tests standardisés, c’est une autre affaire...
Pour François Fillon, la messe est dite. Il veut qu’il y ait moins de circulaires et souhaite faire des économies dans l’administration centrale. Sa conception de l’autonomie est celle d’un pouvoir accru donné à des chefs d’établissements managers qui seraient non seulement doté du pouvoir de recrutement mais aussi de rémunération par des primes au mérite. 
Emmanuel Macron envisage aussi plus d’autonomie pour les chefs d’établissement « et leurs équipes » et évoque même le pouvoir de recruter (en éducation prioritaire). Il souhaite donner plus d’initiative aux établissements et de liberté dans l’élaboration de leur projet pédagogique, en contrepartie d’une responsabilisation accrue et d’une évaluation plus régulière.
A gauche, les positions sont contrastées. Benoit Hamon associerait « les enseignants à la prise de décision par un management plus horizontal, par la création de collectifs de travail, et par la prise en compte de leurs responsabilités au sein des écoles, collèges et lycées.». Chez Jean-Luc Mélenchon, on manifeste plutôt une méfiance à l’égard de tout ce qui pourrait être une remise en cause du “cadre républicain” et les dispositifs qui « balkanisent» l’école. On affirme vouloir « reconnaitre l’expertise enseignante » mais surtout en renforçant la liberté pédagogique de chaque enseignant. Paradoxalement, on dit refuser « toute immixtion hiérarchique » (sur l’évaluation) et en même temps vouloir renforcer les corps d’inspection. 
Cette question de la gouvernance reste une question hautement inflammable. Derrière l’autonomie, beaucoup y voient la remise en cause de l’égalité républicaine. Plusieurs syndicats enseignants dénoncent tout ce qui pourrait accroître le pouvoir du chef d’établissement comme un "caporalisation" insupportable et une dérive managériale. 
Dans le même temps on voit bien aussi que le système éducatif est exagérément bureaucratique et qu’il gagnerait à être plus efficace. C’est un chantier difficile car il faut naviguer entre deux écueils, celui du conservatisme sclérosant et celui d’un libéralisme destructeur.


La place du privé
La question de l’enseignement privé est abordée sous plusieurs angles. A gauche, c’est celui de la mixité sociale qui conduit Benoit Hamon à vouloir intégrer le privé dans la carte scolaire. Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit de « mettre en œuvre le principe “fonds publics à l’école publique” ». Emmanuel Macron ne semble pas aborder ce thème, tout comme Marine Le Pen. 
Celui qui va le plus loin c’est François Fillon. Il veut favoriser le développement des établissements scolaires privés, en déplafonnant les fonds qui leurs sont alloués par l'État. On apprend enfin plus récemment qu’il compte aussi soutenir financièrement les écoles hors contrat (dans les zones sensibles) en utilisant une partie des 65 millions d'euros attribués aux associations d'éducation populaire.  Dans un discours récent (Besançon, le 9 mars), il évoque sa visite à une école du réseau Espérance Banlieues (privé hors-contrat) qu’il présente comme un modèle. « Dans les zones de revitalisation rurale et les zones urbaines sensibles, l’Etat soutiendra la création d’établissements publics ou privés indépendants et innovants », et il propose aussi de les aider  « L’Etat ne devra plus s’opposer à cette nouvelle offre éducative issue de la société civile ; il devra leur faciliter la tâche et les aider »
Si on se risque à un peu de prospective, on peut penser que cette question qui semble marginale risque de prendre de l’ampleur dans les années à venir.  Il y a un ensemble d’acteurs qui se développent aux marges de l’Éducation Nationale (écoles hors-contrats, entrepreneurs sociaux, services numériques, soutien scolaire privé, etc.). On peut le voir comme un signe de la “marchandisation de l’École” et du développement des “pratiques néo-manageriales”, le programme de Jean-Luc Mélenchon, le rappelle avec force. Mais on sait bien aussi que ces structures prospèrent sur une difficulté du service public à se rénover et à répondre aux enjeux actuels. Il suffit de regarder un peu ailleurs pour constater que notre système éducatif “à la française” avec un service public fort est loin d’être une norme dans le monde. Il faut, certes défendre ce service public mais il serait dangereux de se réfugier dans un refus de le faire évoluer. Sous peine de le voir disparaitre...


Y a t-il un vote enseignant ? 
Ces cinq dernières années, la communauté éducative a accueilli au mieux avec réserve, parfois avec une franche hostilité, des mesures qui, sur le papier, semblaient pourtant être attendues – voire acquises. C’est l’un des enseignements de ce quinquennat : en matière d’éducation, le consensus n’existe pas.  
On peut déplorer le manque de lisibilité des réformes qui n’ont pas toujours été mises en cohérence et mises en œuvre avec une précipitation qui a eu de nombreux effets pervers. Il y a aussi un problème de visibilité pour les enseignants eux mêmes. Question de timing et aussi de masse... La moitié des postes créées concerne des enseignants en formation. Et on ne voit donc pas encore les effets à long terme de ces nouveaux postes. D’autant plus que cela se combine avec la hausse démographique des dernières années. Par ailleurs les créations se sont faites surtout dans le premier degré et peu dans le secondaire. Or, étant donné le nombre d’écoles primaires en France (plus de 52.000 !), les postes créés ont eu peu d’impact sur le quotidien de la majorité des enseignants. Quant à la revalorisation des salaires, engagée et visible dans le primaire, elle arrive tardivement et ne semble pas être perçue par tous les enseignants. 
On le sait, dans le domaine de l’éducation, il est très difficile d’évaluer rapidement les effets des mesures mises en œuvre et il faut aussi laisser le temps aux dispositifs de s’installer. Le temps de l’éducation n’est pas celui du politique... 
Dans ce domaine, on aurait plus besoin de continuité de l’action que de ruptures. C’est mal parti...
Quel sera le vote des enseignants ? On sait qu’une frange, difficile à évaluer, du monde enseignant a développé un ressentiment à l’égard de la politique éducative menée depuis cinq ans. Mais on peut aussi se dire que les enseignants comme les autres électeurs ne se déterminent pas que sur un seul aspect de la politique mais prennent en compte toutes les dimensions d’un programme. Et si, au final, le vote enseignant n’existait pas ?


Philippe Watrelot



Ce billet termine une série consacrée à l'éducation dans la campagne présidentielle 2017 

Il a été précédé de cinq billets de blog consacrés aux programmes des principaux candidats 








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